Midi, mais on dirait minuit. Les rafales d’une pluie froide fouettent les trottoirs et balaient la foule dans tous les sens. On dit que le métro est sous l’eau ; en tout cas les bus sont bondés. Ah, encore un de perdu ! Son parapluie déployé à l’envers, c’est bon plutôt pour la photo souvenir, de toute façon elle est trempée jusqu’à l’os, elle a faim et aussi elle en a marre. Probablement comme tout le monde, d’ailleurs.
Bruit infernal, tel le gargouillis d’un estomac géant, puissance mille. Dans la rue, un tapis de voitures stagne, donc klaxonne, on ne sait pas qui et pourquoi. Au milieu, une stretch limo noire, vitres noires, frappe l’œil : interminable myriapode mécanique comme sorti d’une bande dessinée. Et voilà que la vitre arrière descend mollement malgré les averses. Une main enjouée se glisse à travers la fente, un soutien-gorge d’un blanc brillant au bout de l’index, l’agite gauche-droite pour qu’on le voit bien, puis le lance à la rue. La vitre remonte.
C’est à rester baba : comme pieds de nez, c’est génial ça, il y a difficilement mieux. Ou plutôt pire. Du coup, ça lui donne à réfléchir.
(“L’être le plus riche pèse cent milliards. Une dépense, un gain, une perte ou un investissement d’un milliard, ce serait 1% (un pour cent) de son avoir total, le prix du plus gros paquebot actuel, pouvant tenir 8500 personnes, alors que cent millions ce serait 1‰ (un pour mille) de cet avoir, le prix d’un gros porteur de 200 places.
Hmmm…
Un nanti très fortuné possède, justement, cent millions, 1‰ de la fortune du précédent. Pour se retrouver avec les mêmes rapports ci-dessus, soit de nouveau 1% et 1‰, ses dépense, gain, perte ou investissement devraient être d’un million, grosso modo le prix d’un yacht de 50 pieds et – respectivement – de cent milles, le prix d’une voiture d’un certain niveau, pour ne pas dire d’un niveau certain.
Hmm…
Un quidam plus ou moins aisé dispose de cent milles. Le pas (mille fois moins) et les rapports (% et 1‰) resteraient inchangés. Cette fois, les montants des dépense, gain, perte ou investissement seraient de mille, soit le prix d’un banal téléviseur et – respectivement – de cent, le prix d’une paire quelconque de chaussures.
Hm…
Un pauvre n’a rien. Pour garder toujours ce pas de un pour mille, disons qu’il pourrait oser emprunter cent. Avec les mêmes rapports de 1% et 1‰, les montants seraient 1, le prix d’un timbre-poste et – respectivement – 0.1, le prix d’une pochette d’allumettes. Cela dit, pour lui l’idée d’investir n’entrerait même pas en ligne de compte. Sans oublier qu’en principe il devrait rembourser l’emprunt.
…
Dans chacun de ces cas, à part toutes sortes de variables ou de circonstances diverses, sans parler de possibles différences caractérielles ou de toute autre nature, la vision de chacun de ces quatre hommes quant à la somme dépensée, gagnée, perdue ou investie devrait en théorie être plus ou moins la même, si ce n’est strictement identique.
Autrement dit, est-ce que l’être le plus riche du monde considérerait – en termes uniquement financiers – un avion de ligne long courrier de la même façon qu’un nanti très fortuné regarderait une voiture haut de gamme, un quidam relativement aisé une banale paire de chaussures et un pauvre une boîte d’allumettes ?”…)
*
L’on ne distingue que dalle à travers les trombes d’eau. Ah, mais oui ! le tapis métallique bouge enfin, et quelque part semble se profiler la lumière verte d’un taxi… libre ?! Vite, viiite, faut l’attraper, gauche, droite, fonce, gauche, attention torrent, triple saut, droite, gau…
Iiiiiiiiiiiiiii…zGRstNbCprtZgganabam…bam-bam-BAM !!! … ✝……………….
[14 janvier 2016]