L’histoire extroyable de Félix Doussett (2/4)

Catégorie: Fiction
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Le pré­lude

L’avènement

L’éclosion

La cou­pure

Les suites

Le tour­nant

La cas­sure

L’envol

L’éclat

La véri­té

Le chan­ge­ment

L’épreuve

La déci­sion

Le sage

L’apogée

La fin

[…]

[Dans toute his­toire d’action et notam­ment d’amour telle que celle-ci, à un cer­tain moment don­né du récit vient inévi­ta­ble­ment une sorte de bou­le­ver­se­ment angu­laire qui déclenche un dérou­le­ment dif­fé­rent, où le cours bas­cule et où plus rien n’est comme avant, le rythme se casse, les séquences changent, l’intrigue s’accélère, la direc­tion se perd, une espèce de pous­sée appa­raît, le volet dra­ma­tique s’amplifie, la dyna­mique prend des à-coups, les revi­re­ments s’entassent, les impré­vus prennent le des­sus, les situa­tions s’entrechoquent, les contra­rié­tés se suivent, les pro­blèmes déferlent et le doute s’installe. Eh bien, il faut admettre que pour Félix Dous­sett et son l’histoire, ce temps n’est pas venu. Pas encore du moins.]

Les suites

Très vite, notre héros reprend déjà ses esprits, puis un com­plet sur mesure offert par le rec­teur, enfin un second ori­gi­nal de son diplôme, cette fois sous cris­tal Lalique. Soi­gné aux frais de l’ITC dans l’aile pri­vée des Étblssmnts St. Vicaire-au-Monts, il gué­rit aus­si très vite. Mor­gand est fou­droyé par le déses­poir au rap­pel du tableau pas­sion­nel dont il a été le témoin acci­den­tel. De son cer­veau répu­té aride jaillit aus­si sec un effrayant tor­rent d’idées bar­bares. Tout au contraire, Yvy et sa Médæa de mère unissent eupho­ries, sou­pirs et sou­haits dans un hymne unique. Pour elles, le récent impré­vu explo­sif n’est qu’un signe expli­cite des dieux.

Tout s’emballe. Elles invitent le Félix récem­ment réta­bli venir occu­per une pièce avec vue au deuxième étage de leur manoir – l’Aqaïa. Il accepte et passe la grande porte du riche uni­vers des Oltent, chau­de­ment accueilli par les Zou­lous Bon­ga­ni et Thu­lile, maître et maî­tresse de mai­son. Une petite semaine lui suf­fit pour récol­ter toutes les faveurs: du jar­di­nier à la cui­si­nière, en pas­sant par le chauf­feur et les femmes de chambre. Il est aimé de tous. Enjoué, déli­cat, dis­cret, habile, éclai­ré, zélé, ins­truit, moins d’un mois plus tard on le veut res­ter. Félix se cherche, car il a d’autres plans. Pour­tant les Oltent lui font une offre qu’il ne peut refuser.

Feu l’époux-père a bâti un lourd groupe indus­triel – chi­mie, méca­nique, éner­gie, bâti­ment – dont Médæa est la pré­si­dente du conseil d’administration en plus de celui – aca­dé­mique – de l’ITC, école finan­cée par sa fon­da­tion. Elle lui pro­pose une affec­ta­tion d’assistant chez le vice-pré­sident tech­no­lo­gique même. Le jeune homme sent la finesse: le but est Yvy, pas l’emploi. Yvy, il l’aime bien, sans plus. La fille a des rêves de mariage, tan­dis que lui il en a de car­rière. Le jeune ingé­nieur méca­ni­cien entend vite abor­der une deuxième for­ma­tion, juri­dique. Par­tant, il veut pas­ser chez les Gul­dens­tandt, ses parents (adop­tifs), prendre bon conseil.

Puis Félix se laisse gen­ti­ment sub­mer­gé par la défer­lante de la fille et de la mère. Rien n’est trop peu et tout y passe. Sans effort, sans insis­tances dépla­cées, sans inti­mi­da­tion aucune de leur part, les pers­pec­tives qui se des­sinent finissent sim­ple­ment par l’avoir. Pour lui, c’est l’occasion de faire ses preuves dans la pra­tique, et en même temps déjà de bâtir son expé­rience. Pour Yvy de faire tran­quille­ment ses études de phy­sique, son bien-aimé à ses côtés. Pour sa mère, d’assurer dans la famille les pré­mices de la relève. Ren­dez-vous est donc pris avec le secré­ta­riat du vice-pré­sident tech­no­lo­gique, M. Egon I. Kri­cken. Oui-oui, le père de Morgand.

Le tour­nant

Une déro­ga­tion sans pré­cé­dent à la loi sur le tra­vail per­met à notre ado­les­cent de se lan­cer sur une orbite astrale unique, parce que le mis­sile Félix Ier car­bure au tri­glo­mé­rat fait d’intelligence, d’excellence et d’ardeur. La majo­ri­té à peine là, il dirige le corps de contrôle de l’unité chi­mique. Laques, sol­vants, engrais – tous les pro­duits finis et avec eux la gloire de la mai­son sont entre ses mains. Il y passe deux ans féconds, puis accepte la place vacante de coor­do­na­teur au centre de recherches du groupe. Il écarte les pre­mières offres de la concur­rence. Ses com­pé­tences et sa nature irra­dient déjà très loin. De toutes parts on se l’arrache pour chef.

En pri­vé, Médæa pré­pare posé­ment sa retraite du groupe et de l’école. Dans ce but, elle prend tou­jours plus habi­tude d’associer Félix aux réunions de direc­tion et aux séjours d’affaires. Le jeune homme loge tou­jours au manoir Aqaïa, mais depuis a tro­qué sa man­sarde pour un appar­te­ment à l’aile gauche du pre­mier étage, oppo­sé à celui qu’Yvy occupe près du kiwi. La suite de la mère se trouve entre les deux, les trois avec vue sur le par­vis d’accueil. Le vou­voie­ment est désuet: il y règne un cli­mat farou­che­ment filial, franc, fra­ter­nel. Par une vive res­sem­blance, on pour­rait croire les deux jeunes frère et sœur, ou l’inverse. Seule la barbe les sépare.

Vingt-deux ans les deux et dix jours entre. Vierges, ascen­dants jumeaux. Coïn­ci­dence ou non, ils conso­lident conjoin­te­ment une conni­vence com­plice: lui lui concède son com­por­te­ment par trop conve­nant, elle lui conteste sa conduite pas trop conve­nue. Par contre et de concert, ils concoctent des com­bines coriaces à des convives conquis. Cette conjonc­ture fait que leur connexion n’est plus contes­tée, au point qu’un soir, content, le com­mis de cui­sine se pré­sente devant Thu­lile avec un billet où il est écrit «madam FYlyx ont coman­der des oufs à la cock»! Par consé­quent, ce coco consacre conco­mi­tam­ment la conju­gai­son de leurs co-personnes.

Et Kri­cken senior alors ?!… Et son junior de bel­phé­gor, avec sa for­ma­tion chao­tique, sa frus­tra­tion dan­tesque et son tor­rent de plans féroces de rétor­sion ?! Ah-la-la, patience, patience pour les rebon­dis­se­ments. Il s’agit donc des FYlyx. Entre pro­fes­sion­nel, pri­vé et public, c’est disons le méli-mélo dans la vie de ce Félix. Il trempe dans l’harmonie d’une famille qui n’est pas la sienne, sa car­rière explose dans un contexte de tous les dan­gers et, pour un som­met, il com­mence encore un pro­jet péda­go­gique impor­tant dans l’institut même où le sou­ve­nir de sa “per­for­mance finale” est res­té dans les mémoires des quelques nul­li­tés encore scolarisées.

Le par­cours de Félix Dous­sett est ponc­tué par deux pro­verbes de valeur: ‘Qui trop embrasse mal étreint’ et ‘Qui se brûle avec la soupe souffle dans le yaourt’. Vingt-six ans cha­cun main­te­nant et déjà douze de com­pli­ci­té. L’été indien berce la pro­prié­té entière d’une douce lumière cris­tal­line. Les ven­danges battent le plein. Les pru­niers plient sous la charge. L’année est bonne. Yvy et Félix choi­sissent ce bel après-midi d’octobre pour s’unir. Ce n’est que simple logique et cela ne contra­rie per­sonne ou presque. La liste des invi­tés fait huit pages. Le pré four­mille de convives, les tables dra­pées débordent et l’air est rem­pli d’un vif Dixie­land revival.

Le tour­nant vient le len­de­main. La mariée et ses demoi­selles se pré­lassent. Le marié se pré­ci­pite vers ses nou­velles obli­ga­tions de délé­gué à l’assemblée des action­naires, pro­gram­mée l’après-midi. De pas­sage au siège, il paraphe le récent contrat d’Énergolte pour la livrai­son de gaz aux ménages de la région, sur dix ans. Médæa a déci­dé à l’avance de s’offrir des jours de repos après le raf­fut de la veille. Bon­ga­ni et Thu­lile en tête, tout l’effectif d’Aqaïa s’affole à mettre en ordre le domaine et les envi­rons. Sous ces aus­pices, le fait de retrou­ver un petit chien pattes en l’air dans les buis­sons  qui entourent l’étang passe pour ain­si dire qua­si­ment inaperçu.

C’est un extra qui fait la décou­verte. Un sac, et la dépouille est posée par terre dans le bûcher. Les heures passent et per­sonne ne passe. Il fait chaud. Tard le soir, notre com­mis vient cher­cher du bois pour le four et y tré­buche. Le sac ne contient pas “un” chien: c’est bien le joyau de la famille et le ché­ri de Félix, le car­lin Lou­ki lui même. Le Lou­ki a la bave à la gueule. La per­plexi­té se pro­page telle une décharge élec­trique dans l’eau. C’est l’alarme de guerre, puis le conseil de guerre. Quand, com­ment, qui, pour­quoi ?! On inter­pelle l’extra. Il jure sur la tête de sa fille. Que faire ? Appe­ler la police ? Ne rien bou­ger ? Et si ce ne serait qu’un pur accident ?

Mais que non ! C’est un pro­jet clair de tuer. Nuit blanche. Le matin, Lou­ki est por­té au dépo­si­toire, pour exa­men. Ver­dict net: sep­ti­cé­mie, due à un éclat d’os en baké­lite qui a per­fo­ré l’intestin. Et, sur­tout, l’on trouve des grains de phé­no­car­boxate cya­nu­loïde mélan­gés à de la sauce bolo­naise, dont le joyau raf­fo­lait. Le doute est dépas­sé: c’était un appât trem­pé dans de la “mort aux clebs”. Le deuil – immense – s’installe. Le jeune délé­gué à l’assemblée est anéan­ti. Sa patriarche de belle-mère aligne les AVC. Cinq mois après, la jeune phy­si­cienne fait une fausse couche. Qui pour leur vou­loir tant de mal ? Grand Dieu, et pour quelle rai­son funeste ?!

La cas­sure

[C’est connu: la vie est une suite conti­nue de mys­tères, fai­sant pen­ser qu’en réa­li­té et en majo­ri­té elle ne serait qu’un puzzle de hasards. Pas dans notre cas, cepen­dant. À des­sein ou à son insu, chaque action ou iner­tie d’un homme entraîne une réac­tion, bonne ou sou­vent mau­vaise. Alors qu’au QG le frais retrai­té vice-pré­sident tech­no­lo­gique ignore tout des plans délé­tères our­dis par son reje­ton, même que reje­té en bloc par sa famille épui­sée celui-ci s’emploie à l’ouvrage. Et ce n’est pas l’occasion en or d’une fête à huit cents invi­tés qu’il manque. Trou­ver donc un allié par­mi, ou alors ne serait-ce que la demi-sœur d’un allié, ou au moins une amie d’un col­lègue de la demi-sœur d’un allie, n’est pas si difficile.]

Hélas, la déso­la­tion est un plat qui se digère len­te­ment. La fin tra­gique de Lou­ki est un sou­ve­nir ferme. Les FYlyx ne sont plus tout à fait les mêmes. Le temps passe et ne panse pas, sur­tout que l’enquête bat le pas et prive l’énigme de réponses. La fougue de Félix a reçu un coup et c’est presque par devoir qu’il prend la tête de Meca­nolt plus la place au CA qui va avec, car depuis ce jour d’automne-là Médæa ne cesse de fai­blir. Au tra­vail, à tel point le per­son­nel l’entoure de ses pré­cieuses ami­tié, éner­gie et loyau­té, que le pre­mier exer­cice comp­table de Félix comme PDG s’achève sur un béné­fice net en hausse de 26%. On dirait le cap dépassé.

On dirait… Des choses, on en dit plein. En cette année si pas comme les autres, Yvy est à nou­veau enceinte mais perd sa mère, l’amie d’une vie. Sa fin est lente. Qu’importe, le choc est cruel et le sou­ve­nir de Lou­ki, irrem­pla­çable, s’estompe. Le drame revient: IVG pour rai­son de psy­chose pré-par­tum. De fait, mère et enfant per­dus la même année, c’en est trop. Les FYlyx ont beau être sur leurs vingt-neuf ans: Félix a le vent en poupe alors que la car­rière d’Yvy semble gelée par des tra­gé­dies, et on lui apprend qu’elle ne pour­ra plus enfan­ter. Adieu donc famille tant dési­rée ! Ton­nerre: trois mois plus tard, elle fait le bond jusqu’alors invraisemblable.

Le froid est sec. Hagarde, elle se fait ouvrir à grande peine par la sœur céno­bite Xén­nia le por­tail mil­lé­naire en chêne rond fer­ré du Couvent St. Vicaire-au-Monts. Ren­tré au soir, le mari n’a qu’a décou­vrir aba­sour­di le papier fer­mé que lui remet Bon­ga­ni. Il lit: “Mon amour, doré­na­vant je m’occuperai d’essayer à sau­ver ce qui serait encore de bon dans mon âme. Tu sais ce qui m’arrive. Je ne puis res­ter ta femme. Ce pas vient de mon seul juge­ment. Tu n’as rien pour t’en vou­loir. Te connaître a été un bon­heur. Vivre avec toi, un don du Ciel. Par­donne-moi et soit béni ! Puisses-tu avoir une vie heu­reuse. Ne me cherche pas. Je t’aimerai à jamais. Yvy”

Arides sont – oh ! – les mots qui illus­trent le fleuve de pen­sées lui inon­dant l’esprit et le flot de pro­jets qui le jette sur le cana­pé. Le brave Bon­ga­ni se pointe fur­ti­ve­ment avec pilule, carafe d’eau et verre de whis­ky. Cas­sé, Félix dégrin­gole dans le gouffre de son des­tin. Yeux fer­més, il s’endort aus­si­tôt. Ou il s’évanouit. Ou les deux. Le matin venu, à 39.7° de fièvre il manque en pre­mière les rap­ports de son adjoint. Pris de délire, il reste au lit le jour entier et se lève encore fri­leux la nuit tom­bée. Le chauf­feur le conduit au couvent, où il frappe au por­tail une fois, dix fois, cent fois, et encore plus fort. Autant dire que le por­tail reste fer­mé pour lui.

Pour lui mais aus­si pour les autres, qu’il y dépêche en son nom. D’une part, la fatigue de ces ten­ta­tives vaines s’installe. D’autre part, il pense que les délé­gués ont une chance de trom­per cette vigi­lance des sœurs, elles qui ne peuvent tout de même pas avoir un don sur­na­tu­rel pour tou­jours faire le bon tri. Illu­soire. Croire qu’en effet elles l’en ont bien, ce don sur­na­tu­rel. Et ça s’enchaîne durant de très longues semaines, à divers moments du jour et de la nuit, à deux, à trois ou en équipe. Entre temps, son tra­vail est en deuil, l’état de Meca­nolt éga­le­ment. Sept mois jour pour jour après le départ d’Yvy, il se force d’arrêter. Son “deuil” prend fin.

Peu après arrive la tren­taine. Le len­de­main matin d’un sou­per fes­tif en petit comi­té, une colombe pas­sée par la baie ouverte de sa chambre à cou­cher dépose un billet sur son épaule. L’homme connaît l’écriture et lit: «Je ne pour­rai jamais te savoir assez gré pour l’arrêt de tes efforts. Suis ton che­min lumi­neux dans la paix. Sache que mon affec­tion est avec toi pour tou­jours. Je crois fort en Dieu, et après Lui je crois fort en toi et prie pour ce que tu vas deve­nir. Sœur Yda.» Un nou­veau coup, alors qu’il vient de ran­ger cette étape der­rière lui. Se réjouir, s’attrister ? Il tranche que joie et tris­tesse peuvent aller ensemble. Et sur ce, il part à son travail.

L’envol

Pri­vé des deux femmes ayant pesé le plus dans sa vie, Félix sent le poids d’états d’âme contras­tés, voire oppo­sés. Condam­né à leur absence, elles lui manquent dure­ment. En revanche, un hori­zon ample, unique et inédit s’ouvre: la liber­té totale d’ériger des plans à la hau­teur de ses idéaux et le pou­voir de les mettre en œuvre. Non, Yvy et sa mère étaient tout sauf des far­deaux, mais cet air frais grise. Son com­bat inté­rieur l’épuise et alour­dit la remon­tée de la pente. Le tra­vail se res­sent, aus­si que les résul­tats finan­ciers. La mort de Médæa Oltent impose le scru­tin légal pour com­plé­ter le CA, où Félix manque de volon­té pour prendre la commande.

Et puisqu’il s’agit de la dis­pa­rue. L’ouverture prompte de son tes­ta­ment, long­temps res­tée confi­den­tielle, demeure sans effets tant que le laby­rinthe des socié­tés du groupe et les par­ti­ci­pa­tions croi­sées de la défunte empêchent le lan­ce­ment de la suc­ces­sion. Pour finir, le notaire invite le jour venu une cen­taine d’intéressés  dans le grand salon du manoir. Les hom­mages, l’exposé, la lec­ture des dis­po­si­tions, les débats, les ques­tions-réponses et enfin les pauses occupent l’après-midi. L’issue d’un tel évé­ne­ment est sans sur­prises: les déçu(e)s dépassent le nombre des satisfait(e)s. Un seul absent notoire: Félix, qui, de sur­croît, est le gagnant du lot.

Par simple res­pect pour la mémoire de sa noble ins­pi­ra­trice, il répugne à notre héros d’assister au escar­mouches entre cha­cals qu’il pres­sentent, ain­si choi­sit-il exprès de pas­ser sa jour­née seul, au lac St. Vicaire, loin du manoir, où il ne retourne que tard, le soir de l’envol, pour se faire remettre dans une enve­loppe scel­lée le papier offi­ciel du notaire. Il ne l’ouvre pas, remer­cie le bon et fidèle Bon­ga­ni et tombe dans son lit comme un roc, se refu­sant le loi­sir de se dou­ter qu’un pan nou­veau de sa vie s’ouvrirait au réveil. Cette fois il croise toutes les femmes de sa vie sans aucune excep­tion, réunies dans un rêve sin­gu­lier qu’il n’oubliera pas.

Sont là: Alice Gneil, sa toute pre­mière et vraie mère, qu’il peut ain­si connaître, Claire Gul­dens­tandt, sa deuxième mère, qui le sauve des ruines, Elvi­ra da Sil­va, sa troi­sième comme une mère, qui lui sauve son l’école, Médæa Oltent, sa qua­trième comme une mère, qui le pro­pulse vers son ave­nir, Yvonne Oltent-Dous­sett, sa pre­mière femme, qui le quitte pour Dieu, Talul­la, sa pre­mière secré­taire, qui le prend pour un demi-dieu, Alma, sa deuxième secré­taire, qui lui obéit tel à un demi-dieu, Thu­lile, la maî­tresse de mai­son, qui lui est tou­jours fidèle, Ena, la cui­si­nière, qui choie ses plats et Adi­la, la femme de chambre, qui range sa chambre.

Infi­ni pré près de la mer. Marche lente le long du pro­mon­toire jaune. Chambre, avion, monas­tère, école, manoir, refuge, voi­ture, bureau, salon, lac, train, audi­toire… Presses hydrau­liques. Lou­ki. Man­chots. Dia­logue… Raille­ries. Fre­de­ric, Egon, M’sieur da Sil­va, Bon­ga­ni, Mor­gand… Aucun Félix… Coup dans le dos… Vide noir, béant, froid. Écho… Chute. Plon­gée… Averse de bouses. Culbute… Piqué… Frein… Filet de mains… Alice, Thu­lile, Médæa, Claire… Elvi­ra, Yvonne, Talul­la, Ena, Adi­la, Alma, Claire… Sable blanc, mou. Chœur suave de colombes. Marche lente le long de la plage chaude. Voi­lier dégar­ni. Pont désert. Vent levé. En avant ! Réveil.

Félix ouvre le pli. Les conclu­sions du tes­ta­ment disent que par une clé pré­cise, deux dizaines d’aspirants se par­tagent deux-tiers du patri­moine. Trois pages lui sont dédiées. Il lit leur en-tête. “Je pleure mon des­tin qui m’empêche d’admirer ton épa­nouis­se­ment afin de m’en aller com­blée. Accepte donc ce qui me reste encore à t’offrir de tout mon cœur, en signe de gra­ti­tude pour m’avoir si soi­gneu­se­ment ensei­gné à me réjouir des plus petites et simples choses de la vie. Moi, Médæa, qui aurait tant aimé être ta mère.” Yvy – fille unique – ayant depuis fait vœu défi­ni­tif de pau­vre­té, la suite dis­pose que cet héri­tier reçoit la moi­tié des avoirs Oltent.

[…]

[26 octobre 2021]

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