Un mal basqué

Catégorie: Essais
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https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Albrecht_Dürer_-1500_­self-por­trait(High_resolution_and_detail).jpg

Voi­ci un des plus célèbres por­traits de l’histoire de la pein­ture. Et pro­ba­ble­ment un des plus accom­plis, pro­fonds, cap­ti­vants. En réa­li­té c’est un auto­por­trait: celui de l’Allemand Albrecht Dürer.

On remarque en un clin d’œil la dif­fi­cul­té de ce pro­di­gieux exer­cice: les mains sont à vue, c’est-à-dire qu’après chaque coup de pin­ceau ou presque, le peintre doit se tour­ner vers le miroir, poser son outil et reprendre la pose étu­diée de sa main droite, la gauche étant peu visible; il doit bien mémo­ri­ser ou véri­fier tel ou tel détail, reve­nir au che­va­let, reprendre le pin­ceau et conti­nuer son tra­vail. D’une part. D’autre part, en se retour­nant face au miroir, il doit chaque fois assu­rer les même boucles somp­tueuses, les mêmes plis de son habit, la même posi­tion des poils de sa four­rure, mais avant tout il est cru­cial qu’il retrouve exac­te­ment le même faciès, le même air, la même appa­rence, le même regard calme et péné­trant. Cela jour après jour, par beau ou mau­vais temps, se garan­tis­sant le même éclai­rage, les joues bien rasées, jovial, serein ou alors de mau­vais poil après une dis­pute avec sa femme ou son voi­sin. Que tout cela a dû être dur pour Dürer !

Mais ce n’est rien vis-à-vis de ce que le por­trait ne montre pas ! L’année du Sei­gneur est 1500, année impor­tante si elle en est, pas seule­ment parce qu’elle marque pile la moi­tié du mil­lé­naire, mais sur­tout parce que l’Europe, Nurem­berg avec, est à l’épreuve de la suette. Ce fléau livre une fièvre impor­tante, une sueur abon­dante (d’où son nom) et fina­le­ment une mort fou­droyante. Il est vrai que depuis quelque temps les cas sont plu­tôt rares, mais l’artiste est avi­sé. La mala­die est conta­gieuse ? Il cherche la soli­tude. Elle voyage par les airs ? Il porte un masque. Et c’est ce que le fameux tableau expo­sé à la Alte Pina­ko­thek de Munich ne montre pas.

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Le peintre est jeune. C’est quelqu’un d’intègre, raf­fi­né, de belle pré­sen­ta­tion. Il est tou­te­fois méti­cu­leux. Comme bon nombre de vir­tuoses, il construit soi­gneu­se­ment ses œuvres, le plus sou­vent par des esquisses ou des ver­sions pré­pa­ra­toires. Dont pour cet auto­por­trait. Sauf que dans ce cas, dite ébauche – inache­vée – est res­tée dis­si­mu­lée pour une rai­son étrange, incon­nue. Voi­ci donc la vraie appa­rence d’Albrecht Dürer au temps de la pan­dé­mie et avant qu’il n’enlève son masque, cer­tai­ne­ment par coquetterie.

Pour cer­tains ce n’est – et ce ne fut – pas une décou­verte. Par­mi eux, trois siècles et demi plus tard, un cer­tain Giu­seppe Ver­di s’y ins­pi­ra pour créer son opé­ra «Un bal mas­qué». C’était à point nom­mé, car le monde venait d’être frap­pé de plein fouet par la peste chi­noise, dite aus­si bubo­nique. Sur scène, dans les salles et les foyers, inter­prètes, spec­ta­teurs et per­son­nel de ser­vice étaient tous rigou­reu­se­ment mas­qués. L’opéra connut un franc suc­cès. En revanche, chose à vrai dire sur­pre­nante, les pro­tec­tions étaient déri­soires: avec des trous pour les yeux, para­doxa­le­ment elles ne cou­vraient que le haut des visages, lais­sant nez et bouches com­plè­te­ment à l’air libre. Ce fut l’amorce de la der­nière et pire pan­dé­mie de peste connue. Un siècle et plus de quinze mil­lions de morts plus tard, elle fut consi­dé­rée éteinte.

Oublier l’histoire c’est être réduit à la revivre, vrai ? Soixante ans passent et la leçon du pas­sé paye. Face à une vilaine grippe, la pla­nète met le masque. Cette fois au bon endroit et dans toutes les situa­tions i(ni)maginables: au tra­vail, à la poste, dans le bus, à l’opéra, dans l’ascenseur, en vélo, au maga­sin, dans la rue, au ski, en moto, à la pis­cine, au res­tau­rant, en balade, en voi­ture, sur le bateau, au cha­let, en classe, au jog­ging, à la plage, au stade, au lit.

À cela s’ajoute la cerise sur le gâteau de l’esprit artis­tique qui explose, pas tant au tra­vers des huiles sur toiles que par des objets divers ou des séri­gra­phies sur tis­sus. Ces masques figurent ou arborent des dra­peaux, crânes, pay­sages, mous­taches, slo­gans, gueules d’animaux, choses cochonnes, son propre visage, ou sont faits de macra­més, bou­teilles de PET, monstres pas­ta­fa­ri, feuilles de choux – tout un réper­toire ima­gi­naire que l’on pen­sait éteint.

*

Cepen­dant le mal ne fai­blit pas. Pire: il change de stra­té­gie. Et de nom. Alors, un mal bas­qué ? Un mal bâclé, peut-être ?

[5 décembre 2021]

Post scrip­tum

Avant qu’un tel s’excite envers un autre tel ou telle qui ne porte pas de masque, tous les États du monde et l’OMS se met­tront d’accord

– sur le/s type de masque/s qui protège/nt effec­ti­ve­ment du Covid 19,

– com­bien de temps por­ter un tel masque est réel­le­ment efficace,

– si lorsqu’on a déjà eu la mala­die on peut encore répandre le virus,

– com­bien de temps après la mala­die reste-t-on immunisé,

– sur le temps minime pour cho­per le virus trans­mis par un malade,

– où va le virus exha­lé dans un masque qui ne sau­rait col­ler au visage,

– si un seul masque est suf­fi­sant quand deux per­sonnes sont en contact,

– sur la vraie dis­tance de sécu­ri­té entre deux per­sonnes à l’intérieur,

– que deviennent les virus exha­lés au-delà de la dis­tance de sécurité.

Acces­soi­re­ment, il s’accorderont aus­si sur l’utilité de por­ter un masque

– seul dans son auto, sur sa moto, son vélo, sa planche ou sa barque,

– seul dans la forêt, à la plage ou en géné­ral dans la nature,

– en jouant au ten­nis, bas­ket ou foot sur un ter­rain vague,

– pen­dant un jogging,

– sous la pluie,

– sur une piste de ski,

– seul dans la Grande Roue, une auto-tam­pon­neuse ou un carrousel,

– seul dans une rue, sur un trot­toir, place, stade, etc.

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