L’humain est un cas tordu, toujours en conflit avec lui-même.
Il cherche longtemps et obstinément à s’armer, non par une quelconque crainte de l’ennemi, mais par besoin de sécurité préventive. Lorsqu’après un gaspillage insensé de moyens il finit par s’armer jusqu’au dents, il perd l’intérêt au combat. Ça le blase, puisqu’il est déjà trop armé et par conséquent il se sent invincible. En fait, la confrontation avec quelqu’un nettement moins bien préparé ne présente plus l’attrait requis et attendu.
Longtemps aussi il s’efforce de s’assurer l’alimentation la plus exquise possible : nourriture, boissons et tutti quanti. Ce n’est que lorsqu’enfin il se retrouve complètement immergé dans la plus absolue surabondance que brusquement il se lasse et déchante. Il se met à rêver de simplicité, de retour aux sources même de la mère nature. En effet, la variété infinie des saveurs lui aura ennuyé le palais, la gourmandise et jusqu’à l’appétit.
Idem pour la richesse. Une vie entière il s’acharne à l’acquérir, d’abord pour atteindre la quiétude matérielle, puis pour la consolider et enfin pour s’assurer le confort de ne plus y penser. Mais une fois l’objectif atteint, vient l’angoisse de perdre – dans l’ordre inverse – la paix de l’esprit, la paix tout court et pour finir le statut. Et c’est là qu’il se met à lorgner jalousement vers le démuni qui, lui, à part sa vie, n’a strictement rien à perdre.
C’en est pareil pour la gestion du temps. Travailler plus est pour lui une cible à démolir. Travailler le moins possible afin de pouvoir disposer de temps pour soi-même et sans diminuer les ressources ? C’est un but à conquérir. Sauf qu’une fois acquis – à l’âge actif, pas à la retraite – le trésor du temps devient lourd à garder, sous le poids de sa propre personne qui se retrouve tout à coup sans le fil conducteur tant et si longtemps honni.
Quid de sa propre santé physique et de celle mentale. Alors justement, comme puisque pour lui le travail n’est pas la santé, l’homme la cherche dans l’infini des comprimés, poudres, sérums, potions et autres sirops – souvent très chers – offerts par l’industrie. Cela au mépris de l’armada de ses propres gardiens, minuscules, fidèles, silencieux et gratuits qui veillent 24/7 sur son corps et son mental, et sont là pour les défendre.
La même loi des contraires règne sur les connaissances et le Savoir. Une vie durant il s’échine à grimper laborieusement l’escalier de la compréhension pour remplir le plus possible son bagage de sagesse. Sauf que chaque marche gravie, à part de l’élever à une hauteur qui lui permet de voir encore plus loin, lui découvre la distance sans cesse croissante qui le sépare de l’horizon et, par là, lui ouvre l’abysse béant de son ignorance.
Scénario identique pour l’affection et son pinacle – l’amour. La quête y est effrénée, la soif intarissable, l’emportement parfois volcanique, et ce dans les deux sens: aimer comme être aimé. On peut mourir par amour ou pour l’amour, comme on peut tuer ou se faire tuer. Quelle meilleure preuve alors ? Et pourtant, une fois l’amour gagné, vie et temps l’érode et l’on se lasse devant le seuil de l’oubli, au point mort de l’indifférence.
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En réalité, le cœur de l’intérêt se trouverait ancré au fond de l’aspiration constante et farouche vers l’état ultime dans toutes choses de la vie: sécurité, gastronomie, richesse, loisirs, santé, savoir, amour. Parmi bien d’autres. Elle serait à l’œuvre aussi longtemps que dure l’ascension et que cet état n’aura pas encore été atteint. Ce conflit de toujours est donc là, et l’homme ne fait qu’appliquer la loi de son meilleur ami: il se mord la queue.
Les exceptions ? Elles n’intéressent pas et ne s’y opposent pas.
[12 décembre 2021-23 janvier 2022]