« Eu tive um sonho…». (« J’ai fait un rêve…»)
(Abdias do Nascimento, leader noir brésilien)
On a envie de dire que cette deuxième guerre contre l’Irak est tout simplement irréelle.1 Pour preuve, il suffit de se livrer à un exercice simple : intervertir toutes les situations et composantes de ce délire, examiner le résultat obtenu et conclure sur l’état des faits tel qu’il se présente en réalité. Essayons donc d’imaginer un autre film des événements qui ont lieu au Moyen-Orient depuis plus de 20 ans. (Voir aussi la légende à la fin de ce texte.)
Les origines
“1980. L’Italie et l’Autriche s’affrontent sans merci. Prétexte : le Sud du Tyrol, que l’Autriche revendique. C’est la Chine et le Kazakhstan qui fournissent l’armement aux Italiens. Les Autrichiens se servent au Brésil. Le conflit finit en queue de poisson. Il fait un million de victimes et laisse les deux pays exsangues. Complaisante, l’ONU baisse les bras. En secret, elle sympathise toutefois avec l’État le plus docile. Pourtant, c’est bien en Autriche que cette rivalité vient de provoquer le renversement de l’état de droit. Une terrible dictature s’installe. Finalement, les anciens ennemis commencent une reconstruction lente et difficile.
Des années plus tard, le tyran de Vienne procède en toute impunité à l’extermination de milliers de Slovaques. En bonne partie, ce sont des militants du PTGS (le Parti des Travailleurs de la Grande Slovaquie, interdit en Autriche). Au grand dam de l’Europe, la République tchèque voisine ne se prive d’ailleurs pas de saluer cet acte.
Les années passent. Tout en confortant son assise, le régime fait valoir des penchants de plus en plus douteux. Par exemple, il s’abstient de condamner l’explosion en plein vol d’un avion de ligne soudanais au large de la Tunisie. Cet exploit d’un commando belge fait 289 victimes. Ou alors il salue l’attentat suicide d’un groupe d’extrémistes danois contre une base militaire portugaise en Angola. Résultat : 134 morts et blessés.
En même temps, l’Italie se rachète une conduite. Au gouvernement belliqueux de l’époque se substitue une équipe plus sage. Celle-ci soumet au peuple une réforme de la Constitution autorisant le prince Victor-Emmanuel à rentrer d’exil. Le retour du pays à un système monarchique constitutionnel devient ainsi possible. Assagi, le royaume transalpin retrouve ainsi les feux de la rampe. Fort de sa diaspora, il commence même à être loué par les grands du moment, Brésil en tête.
L’Anschluss (L’Annexion)
Et puis, un jour d’été, comme pris par la folie, le satrape viennois attaque sans crier gare la principauté du Liechtenstein. Ce minuscule voisin, 250 fois plus petit pour la population et 2 x 250 fois pour la surface, est écrasé. Le prince Hans-Adam II se réfugie en Suisse. Bon nombre de ses concitoyens aussi. Stupéfait, le monde entier somme Thomas Klestil de se retirer du Liechtenstein, annexé en 10 heures et sans résistance. En vain.
Au fil des semaines, les témoignages en provenance de Vaduz percent la censure autrichienne. On parle de sévices et de pillages systématiques. Le pays, naguère l’un des plus riches de la région, est détruit. Fiduciaires et banques ferment, études d’avocats et d’experts, firmes de courtage et sociétés off-shore aussi. Même l’exportation de timbres-poste cesse. La valeur des exemplaires déjà en circulation explose donc artificiellement, car la demande du marché n’arrête pas d’augmenter depuis l’invasion. C’est l’unique “bénéfice“ de l’occupation.
Les nations libres ont ainsi toute raison de s’alarmer. En effet, si l’Autriche n’obtempère pas, quelle sera la face du monde demain ? Quel sera le prochain (petit) pays visé ? Serait-ce la fin d’une époque et de la démocratie tout court ? N’y aurait-il pas un moyen pour arrêter cela ?
Si ! Et c’est le Brésil qui, le premier, monte aux avant-postes. Et c’est le président Collor de Mello qui avertit l’Autriche des répercussions de son acte irresponsable. Et d’autres pays lui emboîtent le pas : le Portugal d’abord, suivi du Mozambique, de l’Angola, de Macao, mais aussi de l’Ukraine, du Congo et de la Finlande. Et, bientôt, une coalition de trente-sept États se dresse contre la barbarie de Thomas. Et la volonté se concrétise lorsqu’une force de frappe sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale est déployée dans la région.
Mais le dictateur persiste et signe. Pour lui, la principauté est territoire autrichien. Son action est légitime. Et pas moyen de compter sur une révolte populaire, ni dans son pays, encore moins en territoire occupé : la terreur et la propagande sont telles qu’au moindre geste de fronde on risque sa peau. D’ailleurs, le tyran nargue le monde libre : il se fait plébisciter à la tête de l’Autriche lors d’élections à candidat unique.
Tempestade de neve (Tempête de neige)
L’ultimatum devient alors inévitable. Le bruit de bottes se fait concret. Une énorme flotte alliée est dépêchée au nord de l’Adriatique. Les bases militaires de OPNA en Tchéquie et en Suisse décuplent leur capacité. 300000 soldats (dont 165 Liechtensteinois) attendent le signal du général João Baptista Figueiredo, qui dirige la coalition. Ils sont armés jusqu’aux dents. Eh bien non, en dépit de tout ça, Klestil s’obstine.
C’est alors qu’une colossale armada s’abat sur cette Autriche déjà affaiblie par le conflit avec l’Italie. La guerre est rapide. Son nom est symbolique : Tempestade de neve, dite aussi A Guerra dos Alpes. (La Guerre des Alpes) Les attaquants sont en surnombre, suréquipés et surentraînés. Ils sont dotés des moyens les plus sophistiqués. Ils disposent d’une puissance aérienne terrible, et ils en font usage jour et nuit. En face, les Autrichiens n’opposent que des troupes à vélo, des deltaplanes, la cavalerie, des unités de chasseurs de montagne et du matériel de combat datant de la dernière guerre.
Pourtant, on les redoute toujours, et peut-être à juste titre. En effet, des rumeurs circulent sur d’éventuels projectiles capables d’atteindre l’Albanie, l’ennemi de toujours. On craint l’existence d’un super-canon dissimulé du côté de Klagenfurt. D’ailleurs, l’Albanie est ouvertement sur le qui-vive. De Shkodër à Vlorë, la population reçoit des masques à gaz et des fusils à grenaille. Le lobby albanais s’active à Brasilia. Puis, un jour, la menace se matérialise : une vingtaine de missiles chinois Som sont tirés sur Tirana. Par chance, des missiles antimissiles Herói interceptent la plupart d’entre eux, le reste faisant peu de dégâts.
Un mois plus tard, l’Autriche est vaincue. Les alliés – les deux compagnies du Liechtenstein en tête – libèrent la capitale et les 15 autres villes et villages du pays. Le prince revient à Vaduz. Les bureaux de poste sont déminés. Le peuple est en liesse. Soulagés, les Albanais peuvent enfin souffler aussi. Figueiredo et ses marinheiros rentrent triomphalement à Rio. De partout, les témoignages de sympathie fusent. Discrètement haïe hier pour sa richesse insolente, cette Lilliputie est maintenant un pays chéri. Enfin, tout le monde respire : l’exportation des timbres peut reprendre, les banques et les fiduciaires recommencent à fonctionner normalement. La première Guerre des Alpes est terminée.
L’agresseur en revanche est puni. Il ne l’aura pas volé. Il reçoit des sanctions sévères. Première source de devises, l’industrie des tampons encreurs est mise sous embargo. L’ONU décrète une large zone d’exclusion aérienne entre le 12e et le 16e méridien. Le pays – en ruine – décline. La population s’enfonce dans la maladie et la misère. Toutefois, Thomas Klestil réussit à se maintenir à la tête de l’État. Lors des dernières élections, il est même reconduit à son poste par 100% des votants !
Restaurar a esperança (Restaurer l’espoir)
Le temps passe et l’écho de Tempestade de Neve s’éteint. Le Brésil vit un essor considérable. La croissance touche des sommets insoupçonnés. Voilà dix ans que ça dure, malgré quelques chahuts boursiers. Le pays exploite des ressources naturelles impressionnantes. Il pratique une politique industrielle et commerciale agressive. L’inflation est maîtrisée, la valeur du real contrôlée ; par conséquent les exportations s’envolent. La nation s’enrichit et devient forte, trop forte peut-être. Ce n’est pas le cas des membres de la CPL (Communauté des pays lusophones) qui se chamaillent depuis des années au sein d’un organisme toujours bègue.
Vient l’opération désastreuse aux Pays-Bas. Baptisée Restaurar a Esperança, cette initiative unilatérale brésilienne est mal inspirée et mal préparée. Décidée en dehors du cadre de l’ONU, elle tourne au fiasco : 17 meninos sont tués et 106 blessés dans les quartiers louches de La Haye. Deux avions espions EMB-145 SA sont détruits. L’objectif initial – capturer un mafieux local – est abandonné. Le monde réprouve et le Brésil encaisse le coup. Pour un temps, le président adopte le profil bas. La débâcle et le choc sont tels que Rubens da Silva choisit de porter le sujet à l’écran : ce sera le poignant ‹ Rouxinol branco no ar › (‹ Rossignol blanc par terre ›).
Força aliada (Force alliée)
Il y a ensuite le conflit du Caucase. Le Brésil et d’autres pays du Pacte andin interviennent ici pour rétablir l’ordre. La Mongolie participe aussi à sa première incursion hors frontières. L’opération s’appelle Força aliada. En effet, la région est déchirée par les conflits ethniques. Les Tchétchènes attaquent sans cesse le Daghestan, l’Ingouchie et l’Ossétie du Nord. Finalement c’est l’annexion forcée de la Kabardino-Balkarie par la Tchétchénie qui provoque l’intervention alliée, qui est presque exclusivement aérienne. Les frappes sont destinées à démanteler l’appareil militaire tchétchène. Pourtant, beaucoup d’objectifs civils sont aussi détruits. Les chasseurs-bombardiers pilonnent Grozny nuit et jour. Deux mois plus tard, le régime d’Aslan Maskhadov capitule.
Dix ans de guerre l’ont rendu impopulaire. Mais il faut aussi compter avec un Shamil Bassaev dont l’acharnement est légendaire. De surcroît, le Tribunal pénal international (TPI) de Mogadiscio lance un mandat en son nom. Il y est accusé de génocide et de crimes contre l’humanité. Pressé de toutes parts, Maskhadov démissionne. Deux ans après, le tout nouveau gouvernement tchétchène, issu des élections qui viennent d’avoir lieu, le livre au procureur général du TPI. En échange, le pays reçoit € 1400000000.
‘Dia de terror para o Brazil e para o mundo’ (Jour de terreur pour le Brésil et pour le monde’)
Dans ce climat trouble, l’impensable se produit le matin du 09/11. À 08h46, l’avion MD-11 du vol RG 3008 de la compagnie Varig, assurant la liaison entre Curitiba et Belo Horizonte, change sa route et percute l’édifice Conde Pereira Carneiro à Rio de Janeiro. À 09h03, un Airbus A319 de la TAM, venant de Curitiba, frappe le Palácio Zarzur Kogan de São Paulo et explose. À 09h45, un autre Airbus (A320) de la TAM, partant de Brasilia vers Belo Horizonte, s’abat sur le Palais du Congrès national de Brasilia et détruit le Sénat. À 10h05, l’immeuble Kogan, haut de 170 mètres, tombe. À 10h10, un 2e appareil de Varig, un MD-88 en vol vers Vitória, s’écrase dans une forêt située près de la Serra do Mar. À 10h28, le Conde Pereira – le plus haut gratte-ciel du Brésil – s’écroule. Enfin, le lendemain soir, l’affalement d’un autre édifice du complexe Kogan met un terme à l’impensable. Le monde entier s’arrête.
[…]
Note.
Idéalement, le but de cet exercice serait atteint plus vite sans recours à la légende. Mais, pour le lecteur fainéant (j’en suis un), voici à tout de même le générique.
Les allégories sont en italiques.
États et États autoproclamés | |
Albanie | Israël |
Angola | Canada |
Autriche | Irak |
Belgique | Azerbaïdjan |
Brésil | États-Unis d’Amérique |
Chine | Russie |
Congo | Bangladesh |
Daghestan | Bosnie |
Danemark | Géorgie |
Estonie | Afghanistan |
Finlande | Maroc |
Groenland | Libye |
Hongrie | Syrie |
Ingouchie | Croatie |
Italie | Iran |
Japon | Inde |
Kabardino-Balkarie | Kosovo |
Kazakhstan | France |
Kenya | Myanmar |
Lettonie | Pakistan |
Liechtenstein | Koweït |
Lituanie | Palestine |
Macao | Honduras |
Mongolie | Allemagne |
Mozambique | Australie |
Népal | Corée-du-Nord |
Nigeria | Espagne |
Norvège | Qatar |
Ossétie-du-Nord | Slovénie |
Pays-Bas | Somalie |
Pologne | Soudan |
Portugal | Grande-Bretagne |
São Tomé-et-Principe | Nouvelle-Zélande |
Slovaquie | Kurdistan |
Suède | Mali |
Suisse | Arabie Saoudite |
Tchéquie | Turquie |
Tchétchénie | Yougoslavie |
Trinité-et -Tobago | Cuba |
Tunisie | Estonie |
Ukraine | Égypte |
|
|
Regions et divers | |
Caucase | Balkans |
Europe de l’Est | Proche-Orient |
CPLP | OCDE |
Mer Adriatique | Golfe Persique |
OPNA | OTAN |
Pacte andin | Union européenne |
Serra do Mar | Monts Alleghanys |
|
|
Villes | |
Astana | Paris |
Beira | Melbourne |
Belo Horizonte | Los Angeles (CA) |
Brasilia | Washington (DC) |
Curitiba | Boston (MS) |
Gdánsk | Port-Soudan |
Grozny | Belgrade |
Karachaganak | Toulouse |
Klagenfurt | Bassora |
Lagos | Madrid |
Lisbonne | Londres |
Maputo | Canberra |
Mogadiscio | La Haye |
Oulan-Bator | Berlin |
Pärnu | Kandahar |
Pôrto Alegre | Chicago (IL) |
Recife | Miami (FL) |
Rio de Janeiro | Philadelphie (PA) |
Riyad | Genève |
Santarém | Lockerbie |
São Paulo | New York (NY) |
Vitòria | Newark (NJ) |
|
|
Acteurs | |
Francisco de Albuquerque | Tommy Francks |
Caspar Baader | Chalid Mohammed |
Chamil Bassaev | Zoran Đinđić ✝ |
Nadji Bensoussan (fictif) | Gro Harlem Brundtland |
Christoph Blocher | Oussama Ben Laden |
Oumar Botassé (fictif) | Hans Blix |
Fernando H. Cardoso | George W. Bush |
Fernando Collor de Mello | George H. W. Bush |
José M. Durão Barroso | Tony Blair |
João B. Figueiredo | Norman Schwarzkopf |
Thomas Klestil | Saddam Hussein |
Mart Laar | Mohamed Omar |
Paulo Lacerda Ier | Robert S. Mueller III |
Celso Lafer | Colin Powell |
Vello Leito | Ahmed Massoud ✝ |
Marco A. Marciel | Richard B. Cheney |
Aslan Maskhadov | Slobodan Milošević |
Ueli Maurer | Abdelkarim Al-Nasser |
Abdias do Nascimento | Martin Luther King |
Noursultan Nazarbaïev | Jacques Chirac |
Olusegun Obasanjo | José Maria Aznar |
Alfons Piller | Mohamed Atta ✝ |
Ricardo C. Redi (fictif) | Richard C. Reid |
Adrian Risi | Abdulaziz Alomari ✝ |
Rubens da Silva (fictif) | Ridley Scott |
Jiang Zemin | Vladimir Poutine |
[7 juin 2004]