“Bonsoir! Bienvenue à votre émission d’enquêtes préférée “Qui sommes nous ?”. Je suis Lars Winkler et aujourd’hui j’ai le privilège de vous convier à une rencontre singulière. Notre équipe est allée en Allemagne pour vous… Non, je ne veux pas brûler les étapes et passe directement la parole à notre investigateur. Tu es là Alex ?”
“Oui-oui Lars, bonsoir et merci ! Un progrès évident du monde actuel est l’augmentation de la longévité humaine. Au temps des croisades, l’on mourait souvent à 35 ou 40 ans et souvent par l’épée. Aux XVIe et XVIIe siècles, on n’avait toujours pas trop avancé, souvent pour cause de pandémie. Il a ainsi fallu attendre la fin de la dernière guerre pour voir doubler cet âge dans une poignée de pays. Pourtant, juste quelques dizaines d’années plus tard, en ce XXIe siècle bien entamé, il n’y a jamais eu de par le monde autant de centenaires, femmes et hommes. Et le tapage qui s’amplifie autour du titre de plus vieux humain fait monter en conséquence le compteur des années vers des chiffres jamais rencontrés, bien sûr sans compter ceux du Vieux Testament.
Pour revenir donc, arrivés au seuil de la maturité, rares étaient jadis les enfants qui voyaient encore leurs géniteurs. Autrement dit, des grands-parents vivants étaient des exceptions au sein d’une règle générale disons, où la vie était rendue courte entre autres par les éléments, l’ignorance, la violence, l’insalubrité, la précarité. Vu du Moyen Âge, ce n’est pas que le “tableau” offert de nos jours par l’exemple que je vous présenterai serait tout à fait impensable. C’est qu’il aura déjà été élevé au niveau de la légende des Nibelungen. En ligne droite verticale, notre famille allemande de ce soir a donc six étages. Elle est composée de six générations, toutes vivantes, bien sûr. Cette famille allemande reçoit ici un pseudonyme qui assure son anonymat: Alterhaus.
Les Alterhaus vivent, tous, dans cette petite ville de la Sarre située près de la frontière lorraine. Plus exactement, ils sont même les piliers de cette ville dont au fil des siècles, certains des ancêtres de leur grande famille furent qui chevalier, qui abbé, apothicaire, maire-adjoint ou député régional. Une place porte leur nom. Le buste d’un aïeul, professeur émérite de chimie, se dresse sur le parvis du lycée, alors que le nom d’un autre précurseur est frappé dans l’obélisque de granit érigé en mémoire des soldats tombés pour la patrie. Quand on parle de la localité, ce nom revient presque sans faute, car peu de choses ne lui sont pas reliées, du supermarché au parc, en passant par le club de foot actif dans la Regionalliga West, le dispensaire et la gare.
Ainsi, il n’en fallut pas plus à notre équipe pour que cette histoire, cette situation – si ce n’est unique, en tous les cas hors du commun – suscite notre intérêt. Et vous le constaterez, nous n’avons pas été déçus. Dans un premier temps, nous nous sommes proposé de convier l’ensemble de ces générations – six – autour d’une même table et d’un même sujet que nous avions préparé à l’avance. Mais nous avons vite trouvé ce choix lourd et sûrement peu fructueux pour réunir des témoignages individuels sincères, donc crédibles. Alors nous avons choisi de retrouver séparément chacun des membres de cette lignée. Le résultat, le voici. Quant à moi, je vous rejoindrai au final de l’émission pour tracer ensemble avec vous les conclusions de ces entretiens.”
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(Voix off) Nous avons préparé deux questions que nous avons posées à chacun: “Comment voyez-vous la vie de la génération qui vous a précédé par rapport à celle de votre génération ? Et la vie de la génération qui a suivi la vôtre, toujours par rapport à celle-ci ?” Aucune limite de temps pour s’exprimer n’a été fixée et nous les avons invités à le faire en toute liberté. Après quelques petites retouches inévitables, voici ces témoignages en leur intégralité.
1.Frau Edith Alterhaus, arrière-arrière-arrière grand-mère, infirmière retraitée (1903 -).
[…]
[25 juin 2020 – 12 novembre 2021]