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3. Herr Gotthold Alterhaus, arrière grand-père, mécanicien de précision retraité (1946 -).
«Je ne sais pas ce que ma mère a pu vous raconter mais je dois dire que pour moi c’est mieux comme ça. Elle parle beaucoup et parfois… Bon, l’âge… C’est à vous de… enfin… d’apprécier. Ces gens, elle, comme c’est gens qui ont vécu la guerre, ils ont des opinions qui peuvent… je ne sais pas, ça peut parfois… disons choquer. Moi j’ai une certaine estime pour cette génération qui a tout fait pour relever l’Allemagne. Les yeux fermés. Travailler, combattre, innover, se sacrifier… Je vous dis très franchement: je ne parle pas des nazis. Je ne veux même pas en parler et ça ne m’intéresse pas. Je parle de tout ce peuple, tout le reste de ce peuple qui… ils ont subi les foudres du monde entier alors qu’il était mené dans une folie meurtrière par… enfin… par une élite… de fous. Bien sûr que beaucoup ont composé avec le régime, même qui ont adhéré. Je sais… Bon, moi je sais tout ça parce qu’on parlait déjà à l’école… vous savez, j’était tout petit, 1o ans peut-être, mais j’ai connu encore la dénazification. Et à la maison… eh bien à la maison c’était un autre son de cloche. Marthe et moi on ne savait plus à quel saint se vouer, pour ainsi dire. Puis les choses se sont un petit peu calmées… disons que tout commençait à rentrer dans l’ordre. Comme disait ma mère, il y avait un pays à reconstruire, de nouveau…On nous a aidés, très bien, je ne dis pas le contraire, mais… comment vous dire ? un peu comme le Japon, eux ça a été pire que nous, mais à part les deux bombes, l’Allemagne était table rase, enfin… donc comme le Japon, à peine vingt ans après la guerre on était… pour ainsi dire on était de nouveau debout !! Vous vous rendez compte ? Ces gens-là, comme mes parents, c’est eux qui ont remis l’Allemagne sur pieds. Si vite. De ça, moi je suis fier, fier d’eux. Moi je faisais juste mon apprentissage. Et aussi tous ceux qui ont été recrutés par les militaires: les médecins, les ingénieurs, les professeurs… les artistes. Et même les ouvriers. Je ne vais jamais oublier mon maître d’apprentissage, Herr Schleiss, qui m’a appris le métier. Non ! Qui m’a appris d’aimer mon métier ! Vous me direz que je ne suis pas objectif, mais pour moi c’est eux qui ont poussé, qui ont relancé la société, ceux de l’âge de mes parents, et ensuite… ils nous ont passé le relais si vous voulez. Moi je crois que pour la plupart ça a été… leur génération a été une génération… je dirais sacrifiée. Certains comme soldats à Stalingrad, ou ici en Moselle, ou dans les U-Boot, Dieu sait où, d’autres comme ouvriers chez Krupp ou Hoechst, ou comme commissaires politiques à Leipzig ou… je ne sais pas, manœuvre à Rostock. Ou comme élèves à Berlin en bas du mur !… Moi je n’ai absolument pas honte de saluer cette génération.»
«Celle de nos enfants… enfin, ceux qui sont venus après nous. Évidemment, ceux avant nous ils disent que tous ces sacrifices, la guerre, la misère, ça a été fait pour nous. Ils l’ont fait pour nous. Ma génération. Et je suis prêt à le confirmer. Le fait est que lorsque Anja et moi, Anja est Danoise, quand on a eu Karsten, c’était l’année des Olympische Spiele in München. Quelle meilleure preuve qu’on était à nouveau pleinement reconnus ? D’accord, il y a eu cet horrible tragédie avec les Arabes et les Juifs… mais ça n’a rien eu à voir avec l’Allemagne, et Brandt a fait tout le possible pour… enfin, pour arrêter ça au plus vite. [N.D.L.A. Discutable…] Mais tout ça c’est du passé, le fait est que nos enfants ont… quelque part, vous savez ? ils ont encore profité des efforts de la génération d’avant la mienne. De la notre aussi. Mais les années ’70, puis un peu ’80, ont nettoyé les malheurs passés. Et eux ils n’ont eu qu’à profiter de cette prospérité. Moi j’avais un salaire confortable chez Märklin, cantine, quatre semaines de vacance, Anja tenait une épicerie cinq jours par semaine de… de sept heures du matin à sept heures du soir avec… quatre vendeuses, sur la Schubertstrasse. On allait en vacances avec les enfants, Karsten et Gerda, on allait chaque année en Italie ou en Grèce, ou l’Espagne. Eux ils ont fait du sport, Karsten du basket, il fait 1m92, elle de l’athlétisme. Et aussi du piano. Vous savez, parfois je me demandais… j’étais en déplacement avec le travail à Frankfurt, je buvais une bière sur une terrasse, je regardais la ville et je me demandais comment on a fait ?! Comment nos parents avaient fait ? Et nous après. C’était le temps de ces déments de Baader-Meinhof… des gens de mon âge qui avaient perdu la boussole, mais l’Allemagne se portait déjà bien et moi j’étais aussi fier de ce que je voyais… pas seulement de ce que mes parents avaient fait. On avait gagné deux fois la coupe du monde. Surtout on avait Kaiser Franz. Oh oui, ça a été une belle époque. Le monde s’arrachait nos voitures, et pas que ça. J’étais fier du Made in Germany, oui, oui… Mais c’est vraiment le sport où… tous les quatre ans on était parmi les meilleurs aux Jeux Olympiques… tu ne pouvais pas te mesurer aux Américains, cinq fois plus nombreux et qui ont des moyens… vous savez, ni aux Russes qui mettaient tout leur budget national dans le sport ! Ha-ha-ha. Oui-oui, tous ces jeunes ont pu profiter de cet… de cette prospérité, l’économie marchait bien, nos jouets se vendaient bien, rien à dire. Mais le meilleur cadeau a été la chute du mur. Je me rappelle comme hier, ces filles et ces garçons que dansaient sur les décombres. On avait tous les larmes aux yeux. Pour nous ça a été irréel. Ah, vous savez, c’est des pages d’histoire qu’on est content d’avoir vécu.»
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[25 juin 2020 – 12 novembre 2021]