La conne quête de l’espace

Catégorie: Essais
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C’est à l’aube pré­cise de son his­toire que débute une lan­gueur de l’homme dont il ne sau­ra jamais se défaire: celle pour l’espace et l’au-delà. Un contexte trop étroit, un monde trop limi­té, une Terre trop petite, une pla­nète per­due dans l’univers – autant de conclu­sions into­lé­rables, impos­sibles à endos­ser. Las: muni du dot unique de l’imagination, l’homme la mit aus­si­tôt au travail.

La liste des fan­tai­sies et des vision­naires jalonne un long fleuve qui sourd au début des temps et s’écoule encore. Ce conti­nuum est illi­mi­té dans la durée – Dédale, Icare, Démo­crite, Lucien de Samo­sate, da Vin­ci, Kepler, Vol­taire, Mil­ton, Irving, Verne, Flam­ma­rion, Wells, Asi­mov… Mais il se perd aus­si dans le del­ta des fic­tions qu’il porte avec – extra­ter­restres, luniens, mar­tiens, droïdes, pla­nètes, étoiles, mondes, galaxies, uni­vers, civi­li­sa­tions, res­sources, facul­tés, exploits. Du coup l’on se rap­pelle la sagesse disant que l’imagination est limi­tée, mais pas la réa­li­té. À plus forte rai­son dès lors d’essayer sans relâche, encore et toujours.

Jusqu’à notre époque, cette pour­suite constante a sans cesse été frei­née, voire ren­due uto­pique, par un obs­tacle majeur: le fac­teur tech­nique. Si Dédale a bien exis­té et qu’il a pu bri­co­ler des ailes pour les col­ler sur son dos et sur celui de son fils, l’exploit, même que si proche de la cible-Soleil, fut raté, tra­gique et sans suites. Issue iden­tique à la fin du XIXe siècle pour le pre­mier homme et Alle­mand volant, qui s’écrasa sans gloire aucune d’une hau­teur de 15 m après avoir pla­né sur 250 m. L’avenir se pré­sen­tait mal.

Coup de gueule sovié­tique: à peine 60 ans après l’homme, c’est sa meilleure amie, une bâtarde âgée d’environ trois ans, ramas­sée dans la rue, qui est deve­nue le pre­mier être vivant envoyé en orbite. Bien sûr, la chienne s’est sacri­fiée héroï­que­ment quelques heures après le lan­ce­ment, mais par son geste suprême elle a aus­si accom­pli, tout aus­si héroï­que­ment, trois exploits inima­gi­nables: ache­ver la série d’échecs humains, prou­ver que l’impossible est pos­sible et ouvrir la voie à la conquête de l’espace. Ces axiomes furent vite scel­lés par – cette fois – les pre­miers hommes vivants pla­cés en orbite: un Sovié­tique d’abord, ensuite un Amé­ri­cain, puis un Sovié­tique, puis un Amé­ri­cain… Tous ren­trés vivants !

À tra­vers ces deux vaillantes nations, l’humanité entière trou­va son nou­vel El Dora­do. Il n’en fal­lut qu’une poi­gnée d’année pour que la ban­nière étoi­lée puisse être plan­tée soli­de­ment, fiè­re­ment et pro­fon­dé­ment dans la rocaille de la Lune, tan­dis que la France fêtait un immense trem­ble­ment social et que la Tché­co­slo­va­quie célé­brait l’écrasement de son socia­lisme dit “à visage humain”. C’était déjà trop tard: tant pis pour les cala­mi­tés, les conflits, les atro­ci­tés et les trem­ble­ments frap­pant les socié­tés terrestres.

Famines au Bia­fra, Sahel, Éthio­pie, Soma­lie, Sou­dan, Niger ? Guerres du Viêt Nam, Mozam­bique, Six Jours, Kip­pour, Ango­la, Liban, Cam­bodge, Afgha­nis­tan ? MS Achille Lau­ro ? Sep­tembre noir ? Sabra et Cha­ti­la ? Olym­piade de Munich ? Bloo­dy Sun­day ? Bri­gades rouges ? Baa­der-Mein­hof ? Seve­so et Bho­pal ? Aum Shin­ri­kyō ? Tcher­no­byl ? Fuku­shi­ma ? Sida ? Chocs pétro­liers ? Tian’anmen ? Chute du com­mu­nisme ? Crise des “sub­primes” ?

Rien n’a pu et ne peut stop­per la vaillante conquête de l’espace. Les pro­grammes natio­naux Apol­lo, Arte­mis, Dra­gon, Explo­rer, Gemi­ni, ISS, Mars, Mer­cu­ry, Mir, Pio­neer, Ran­ger, Salyut, Shut­tle, Sky­lab, Soyuz, Viking, Voya­ger, Vos­tok l’attestent, dont plu­sieurs se déroulent en ce moment. Certes, il n’est pas ques­tion d’estimer – même à la louche – le coût total de ces mis­sions d’état depuis 60 ans alors que ce n’est pas au contri­buable de connaître ces chiffres. Trou­vés au hasard sur inter­net, les divers mon­tants qui sont arti­cu­lés jouent dans la ligue des mil­liers de mil­liards. Com­bien ? Des dizaines ? Des cen­taines ? Plus peu-être ?

Para­doxa­le­ment, c’est deve­nu presque secon­daire, car depuis peu, ces dépenses natio­nales pha­rao­niques ont com­men­cé à se voir éclip­sées par celles de socié­tés pure­ment pri­vées. Leur cré­do n’est pour­tant guère dif­fé­rent: “Vers l’infini et au delà !”. 1 À un détail près, et de taille: elles se doivent d’être ren­tables. Et voi­là com­ment s’ouvre toute grande la porte du tou­risme spatial.

On y pénètre fur­ti­ve­ment, sur la pointe des pieds ou, plu­tôt, on guigne par le trou de la ser­rure, puisque les tarifs pra­ti­qués pour ce genre de pro­me­nades défient l’imaginaire: il fau­drait cinq ans de labeur conti­nu pour un tra­vailleur d’un des pays les plus pauvres de la pla­nète pour se payer une seule minute d’une telle sor­tie en orbite. Cepen­dant, la loi uni­ver­selle de l’équilibre opère heu­reu­se­ment aus­si dans ce domaine, de telle sorte qu’un tra­vailleur pauvre d’un pays par­mi les plus pauvres de la Terre ne nour­rit pas de tels idéaux. Ils sont propres à ceux qui ont des moyens et qui pour ce faire s’alignent sage­ment en file d’attente.

Fina­le­ment, il y a un point où idéaux et finances se rejoignent.

Cela com­mence avec l’immobilier spa­tial. On vend des sur­faces de la Lune et de Mars. On devient pro­prié­taire d’un cra­tère ou d’un petit désert, comme notre voi­sin de son jar­din. Qui vend ? Pas des luniens, pas des mar­tiens, mais des ter­riens, évi­dem­ment. 2 Les prix sont attrac­tifs, il faut l’admettre: envi­ron 70 USD en moyenne pour pos­sé­der un hec­tare sur la Lune au lieu-dit Ocea­nus Pro­cel­la­rum. Cer­taines loca­tions sont – il est vrai – déjà tota­le­ment occu­pées, alors que pour d’autres l’on concède des rabais qui vont jusqu’à 20%.

On conti­nue avec les colo­nies dans l’espace. La Sta­tion Spa­tiale Inter­na­tio­nale plane dans le ciel depuis bien­tôt 25 ans. Elle a accueilli plus de 250 humains. Son objec­tif pre­mier est l’étude de la vie à bord sur plu­sieurs mois. L’expérience ain­si accu­mu­lée ser­vi­ra à ouvrir la voie aux villes flot­tantes. À l’avenir, on pense déjà à la pos­si­bi­li­té de pro­duire dans l’espace et, plus lar­ge­ment par­lant, d’y mon­ter toute une éco­no­mie. Cela com­pen­se­rait un tant soit peu les coûts fara­mi­neux de construc­tion sur Terre, aus­si que ceux d’exploitation et d’entretien de ces structures.

Puis il y a la vraie colo­ni­sa­tion, sur sol ferme. Cela pré­sup­pose l’alunisage et pour l’instant l’amarsisage, en atten­dant l’avénusage et autres aju­pi­té­rages ou aas­té­roï­dages. La démo­gra­phie explo­sive de la popu­la­tion ter­restre et la consom­ma­tion incon­si­dé­rée des res­sources de notre pla­nète sont des rai­sons suf­fi­santes pour une telle démarche, sans même par­ler de la menace cli­ma­tique qui fera de la Terre le no men’s land de Mad Max. Les vision­naires y avaient déjà réflé­chi depuis long­temps, c’est bien pour cela qu’on les a appe­lé ain­si. De quoi et com­ment vivrait-on là-bas sans eau, avec des gra­vi­tés dif­fé­rentes et des tem­pé­ra­tures qui s’étalent sur 1000 C° ? Des scien­ti­fiques actuels, très sérieux, y ont déjà pensé.

Cela passe par la ter­ra­for­ma­tion . En clair, on trans­forme toute une pla­nète pour la rendre conforme à notre phy­sio­lo­gie et à nos besoins. Dans ce but on conver­tit – disent-ils – l’atmosphère de la pla­nète choi­sie en la pilon­nant rien qu’avec quelques 1016 tonnes d’hydrogène ou 1017 tonnes de cal­cium ou de magné­sium, ou alors on la meut en lui jetant des­sus comme des boules de neige les satel­lites d’autres pla­nètes, on lui change le cycle de rota­tion comme on lance une tou­pie, on lui fixe autour divers miroirs et bou­cliers – bref, on fait comme le Grand Archi­tecte Uni­ver­sel pour cer­tains ou la Mère Nature pour d’autres: on joue aux boules avec les pla­nètes. Même si ubuesque, rien d’étonnant à tout ce ciné­ma, car cela fait des lustres que dans le domaine de la pro­di­gio­si­té l’homme se veut l’égal du Sei­gneur Créa­teur ou de la Nature Créa­trice.3

Ce qui res­sort donc de ces élu­cu­bra­tions venues des ins­tances scien­ti­fiques les plus sérieuses est sur­tout le fait que n’ayant pas eu assez de mal­trai­ter sa propre pla­nète, dans sa quête sans répit vers l’infini et au-delà l’homme est prêt à se conduire de la même façon par­tout ou il met les pieds. Et il serait vain de s’égarer dans l’analyse du finan­ce­ment de telles énor­mi­tés: le nombre de zéros néces­saires serait insuf­fi­sant, comme la tota­li­té du PIB mon­dial sur des années. Évi­dem­ment, sans tou­cher à l’aspect des limites tech­niques et des contraintes physiques.

Pen­dant ce temps… Eh bien, pen­dant tout ce temps-là, soit depuis le lan­cer dans l’espace de la chienne Laï­ka, il y a 65 ans…

…20 à 30 mil­lions d’humains sont morts dans 160 conflits plus ou moins bar­bares, plus ou moins longs, plus ou moins par­tout dans le monde, chiffres qui tiennent haut la com­pa­rai­son avec celui de tous les morts mili­taires de la Seconde Guerre mondiale,

un enfant sur 50 tra­vaille chaque jour,

un humain sur 6 est encore analphabète,

un humain sur 5 soit n’a pas de toit, soit ce n’est pas le sien,

un humain sur 8 a encore faim en per­ma­nence et

un humain sur 3 ne sait pas quand, où et com­ment il man­ge­ra, n’a tou­jours pas l’accès à l’eau potable ni à l’hygiène de base.

Et sou­vent c’est le même humain.

*

Hmm, la conne quête de l’espace !… alors qu’elle est encore si loin, la conquête de l’espèce 4.

[21 mars 2022]

  1. Le slo­gan glo­rieux crié à tout va par le per­son­nage Buzz l’Éclair dans le film “Toy Sto­ry” de John Las­se­ter, Pixar, 1995) 
  2. https://lunarregistry.com
  3.   https://fr.wikipedia.org/wiki/Terraformation_de_Vénus
  4. humaine
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4 réponses

  1. On ne peut arre­ter la conne marche vers l’abisse — l’homme espe­re­ra tou­jours gran­dir des ailes, juste avant d’y tom­ber. Ou bien, pour etre plus pre­cis, ceux qui nous menent vers l’abysse, espere qu’au moins quelques uns de ce betail expe­ri­men­tal deve­lo­pe­ra des ailes, alors l’experiment aura valu la peine. Il est plu­tot sur­pre­nant que le fana­tisme « pro­gres­siste » est plus pousse en direc­tion mani­pu­la­tin gene­tique de toute sorte, robo­tique et inter­face bio-robo­tique, que dans ces vols.

    1. Pas tel­le­ment sur­pre­nant que ça pour moi, mon petit matheux. Même logique, dirais-je. D’abord on mani­pule, on fabrique, on robo­tique et ce n’est qu’ensuite qu’on envoie sur Zorg ces petits cyborgs. On ne va quand même pas envoyer des schnoks pen­seurs comme toi et moi !

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