Lui (puisque dans la grande majorité des cas il s’agit d’un mâle) est dans le bel âge. Entre 45 et 55 ans. Assez pour avoir à son actif une bonne expérience, voire une certaine notoriété, pour ne pas dire une célébrité certaine. Pas trop, pour abattre encore le 100m en 11”, ronger un câble en polypropylène avec ses dents et ne pas être plombé par le rhumatisme. Il est enfant unique et n’a pas de passé, si ce n’est celui d’un anti-système tenace. Souvent il est bel homme, souvent selon l’optique de la production. Souvent il est fauché, même que souvent soit il a été riche, soit il a eu l’occasion de l’être, auquel cas il a rejeté cette option car soit elle mettait à l’épreuve sa verticalité morale, soit cela le rangeait du côté des méchants. Car lui, c’est un bon. Un dur, mais un bon. Et un bon a ses faiblesses. Dans son cas, ce sont souvent la patrie, son ami et collègue, et sa famille. De famille, en fait il n’en a plus vraiment, puisque sa belle femme soit est morte de chagrin, soit à divorcé de lassitude, alors que sa fille – puisque souvent il s’agit d’une fille unique, elle est soit à l’école primaire, soit dans la fleur de l’âge – soit ne le connaît presque pas, soit ne le reconnaît plus. Dès lors, il vit tout seul, souvent totalement reclus, souvent au fond d’une forêt, mal rasé, à fendre d’un seul coup des bûches. En tout cas, loin du monde qui l’a rejeté. Et Dieu! rejeté il fut, soit suite à une bavure qui a entraîné la mort de son ami et collègue, soit suite à un choix peu orthodoxe qui a poussé à bout ses supérieurs. Cette retraite n’a pourtant pas suffi pour lui faire perdre ses aptitudes dans les domaines qui l’ont rendu irremplaçable. Car il est le seul dépositaire d’un bagage qu’un seul homme ne possède plus de nos jours. Il est seul a pouvoir résoudre une équation insolvable où se joue souvent l’avenir de l’humanité. Alors à quitte ou double, en pesant le pour et le contre et à contre cœur, les cols blancs de sa hiérarchie, souvent pourris et souvent par chantage, sont réduits à l’extraire mordicus de son repaire en utilisant comme souvent ses facultés au service d’une dernière mission de vie ou de mort, qu’il est resté seul à pouvoir mener à bien, souvent seul, dans un choc inégal face à une adversité écrasante. Il est ex service secret, pilote, truand, espion, juge, physicien, escroc, policier, militaire. Lui, c’est l’héros principal positif, celui qui devra et va vaincre.
En face donc se trouve ni plus ni moins la synthèse du mal absolu, l’héros principal négatif qui devra et va être brisé. Le plus souvent il se présente sous la forme d’un individu – un richissime exalté, un savant allumé, un anarchiste cinglé, un enragé sadique. (Cela dit, ce personnage peut être un mâle tout comme peut être, plus rarement toutefois, une femelle. Belle.) Leur point commun premier est qu’ils agissent toujours tout seuls, alors qu’ils sont entourés d’une armada de fantômes vivants, ternes et sans noms qu’on dirait hypnotisés, ensorcelés ou lobotomisés, tellement ils lui obéissent au doigt et à l’œil. Leur deuxième point commun est que leur dessein est et monstrueux et planétaire. Pourtant ce mal absolu peut souvent prendre aussi la forme d’une organisation, souvent occulte et illégale, ou bien d’une société monopolistique ayant acquis sa domination par la voie de la corruption et de la terreur, voire même sous la forme d’un État appelé voyou. Leur dessein destructeur commun à tous est l’omnipotence globale et leur unique point commun est la possession des moyens ultimes, qu’ils soient nucléaire, chimique, bactériologique, informatique, climatique, sur terre, sous terre, sur mer, sous les mers, dans l’air ou dans l’espace. Ils sont là depuis quelque temps déjà, n’ont fait que se renforcer, et chaque tentative de les détruire – officielle ou officieuse, ouverte ou discrète, à petites doses ou à grande échelle – a échoué, au point qu’est venu le moment où le pic de l’horreur se dresse inéluctablement, et avec lui vient l’impitoyable compte à rebours. Leur euphorie égale le désarrois des militaires et des officiels du gouvernement jusqu’à cet instant là où un stagiaire, un commissionnaire, un sous-fifre, un temporaire, qui par des légendes urbaines diverses a eu vent de certains exploits, glisse au premier officiel rencontré le nom de l’héros principal positif.
Les années ayant passé, celui-ci est un peu déboussolé entre les prouesses technologiques et les niou iMœurs. Stoïque, il encaisse les railleries de ses ex-pairs et les moqueries des jeunes. Il revient de loin mais tente d’abord de rejoindre son ex- femme (si elle est en vie), puis sa fille, mais c’est la fin de non recevoir. Deux fois. Il subit à nouveau, mais se tourne résolument vers sa mission qu’il commence à préparer à sa façon sous la perplexité de l’entourage. Ses moyens et méthodes viennent d’une autre époque, et plus le temps s’écoule, plus ses commanditaires s’interrogent et haussent les épaules, tant ils n’ont pas une solution de rechange. Pourtant ce que nul ne sait ou ne se souvient pas, c’est ce qui se trouve au delà du regard neutre de l’homme: une force de caractère, une hargne, une maîtrise, un savoir-faire et un vécu sans pareil. C’est appuyé sur ces attributs que le jour J il se lance dans sa mission. Il sait par cœur que chaque accomplissement exige des sacrifices inévitables et il est bien préparé pour faire partie du lot. En son for intérieur il est prêt à suivre les instructions de ses supérieurs jusqu’au point où il sait trop bien qu’en fonction de ce que son jugement lui dictera, il ne les suivra plus. C’est lui seul qui trace ses limites, et il sait d’emblée que celles-ci changent suivant les circonstances, que rien n’est tabou. Sauf sa famille. Et aussi la vie des innocents. Même que… Enfin… La mission lancée, l’épreuve s’annonce titanesque. C’est David seul contre Goliath puissance cent. Mais ce serait sans compter sur son arsenal d’endurance, de ruse, de ténacité, de vision, de savoir, de réactions, de sagacité, aussi que sur son réseau. Réseau vaste, bigarré et surprenant: un jockey ci, une pharmacienne là, un cireur, un conducteur de bus, une patineuse, un paléontologue, une chanteuse de cabaret, un portier. À des moments nommés, chacun et chacune et d’autres encore feront la différence face aux vagues de pions décérébrés qui s’envoleront comme des mouches, alors que l’héros principal positif creusera l’écart tout en se frayant un chemin de plus en plus étroit vers son but. Pourtant l’infâme mollusque a huit bras.
Et ils sont longs. Si d’une part il vient d’en perdre trois, puis quatre, d’autre part à présent le moment tant redouté est arrivé où il lui en reste au moins un, voire deux, pour enlacer à la gorge la famille de l’héros principal positif. À partir de là, sa mission s’emballe. Lui, il se rend compte que tout n’est pas si propre dans le gouvernement et par quelques accointances qui, bon gré mal gré, lui sont restées fidèles, il nettoie sa hiérarchie des pourris qui sapaient son action et, par là, il découple ses forces et se rue directement vers le mollusque quadripode qui menace sa fille et son ex-femme. Les voilà face à face. Cela se passe souvent soit dans le donjon d’un château médiéval scandinave, soit au fond d’une mine, soit au bord d’un méga yacht, soit dans un bunker, soit sur les échafaudages d’une usine désaffectée. Peu importe en fait, puisque dans tous les cas de figure – château, mine, yacht, bunker, usine – à la fin tout explose, avant que l’héros principal positif, crade, écorché et moitié nu ne retrouve sa fille indemne, béate de fierté et de gratitude, ainsi que son ex-femme encore sous le choc mais qui est prête à tout lui pardonner au nom d’une seconde chance ensemble. Comment ceci aura-t-il été possible ?! Souvent c’est parce que l’héros principal négatif est à un tel point imbu de lui-même et de sa suprématie qu’il ne peut s’empêcher de la lui exposer dans des comptes rendus à endormir debout par l’ampleur. Souvent c’est parce que l’héros principal positif aura eu l’intelligence de placer au préalable et savamment des charges dissuasives à des points clé. Souvent c’est aussi parce que celui-ci feint l’imbécile et que l’autre l’est tellement qu’il se prend au jeu. Dans un cas comme dans l’autre, par là sa tâche vient fortement allégée et lance le final qui peut se dérouler comme nous l’avons vu. À retenir donc de l’histoire la force inébranlable de l’homme atypique dans sa lutte perdue d’avance par les vecteurs du Mal.
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À mesure que les clichés primaires se soient mus en stéréotypes ineptes puis en doctrines hypocrites, soigneusement structurées, zeu américains filmes ont tant tripoté ceux qui les consomment, au point de les transformer en de vrais fantômes vivants, ternes et sans nom. Des pions décérébrés, avec moi-même en premier.
[23 octobre 2022]