N’oubliez jamais
N’oubliez jamais
I heard my father say
J’entendais mon père
Every generation has its way
Chaque génération suit sa route
I need to disobey
J’ai besoin de désobéir
N’oubliez jamais
N’oubliez jamais
It’s in your destiny
C’est dans ton destin
I need to disagree
J’ai besoin de m’opposer
When rules get in the way
Quand les règles bloquent la voie
N’oubliez jamais
N’oubliez jamais
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Joe Cocker 1997 (traduction de l’auteur)
Qui n’a pas contesté les préceptes surannés de papa et maman ? Qui ne s’est pas insurgé contre les “vieilleries” imposées par ses parents ? Qui ne les a pas défiées au risque de blâmes et autres punitions ? Las: les talons aiguille, les mini-jupes, les cheveux longs des garçons, la cigarette pour les filles ne sont que des frivolités banales et gentilles comparé à l’abysse, à la rupture colossale, au renversement dont il est question dans cet écrit.

La nomenclature de l’image est connue. Ici l’attention se porte sur la génération Y, couleur lilas, celle dite des milléniaux 1, nés juste avant la fin du millénaire écoulé. Et pourquoi donc ? Eh bien parce qu’avec elle on enregistre probablement le seul et plus spectaculaire bond de la vision sur le devenir entre pas deux, mais – symétriquement – trois générations: d’une part cette Y et sa précédente, la X, et d’autre part la même Y et sa suivante, la Z, celle appelée des “zappeurs”.
Demandez à un Y dans sa trentaine de vous décrire le tableau de son avenir. Vous risquez fort de rester perplexe à l’écoute de son discours qui brosse un paysage de désolation du jour d’après où s’entassent pêle-mêle spectre du chômage durable, rejet des acquis du capitalisme et planète mourante – le tout sur fonds de condamnation à peine voilée de votre génération X comme des antérieures, toutes responsables de ce désastre.
Outré, vous lui parlez de l’endurance foncière de l’homme devant les coups de temps difficiles, de sa hargne de vaincre les épreuves, de sa force qui n’a de pareil que sa volonté, de ses ressources insoupçonnées de résistance. Vous lui rappelez les guerres comme des leçons de souffrances incomparables, puis de renaissance héroïque. Larmes aux yeux, vous lui évoquez la génération silencieuse de vos propres parents suivie par celle des baby boomers. Vos mots choisis peinent à lui faire ressentir au mieux les temps glorieux que vous n’avez pas vécu vous même, mais qui vous ont été révélés par ceux qui les ont subi.
Vous verrez qu’il y a toutes les chances pour que le Y en question ne vous contredise pas, peut-être par respect pour votre émotion, peut-être par manque d’arguments contraires. En revanche, il pourra se retrancher derrière le verdict que – de toute façon – tel qu’il entrevoit l’avenir, avenir il n’y aura pas. Par conséquent, vous apprendrez que dans ces conditions et mû par un devoir basique envers le destin clairement sombre de potentielles progénitures, progéniture il n’y aura pas. Y n’enfantera pas. Point à la ligne. Fin de l’histoire. Ainsi, et pour autant que cette vision se généralise, Y viendra se ranger éventuellement aux côtés des derniers hommes.
En réalité c’est qu’il y a plus. Et il y a pire. Car la source de cette babylonie eschatologique sui generis vient d’une originalité apparemment nouvelle: pour le Y, l’humanité et son histoire commence pile l’année de sa propre naissance. En clair, pour lui, le passé avec ses figures et ses événements c’est de l’abstrait. Grâce à ses parents, à peine s’il peut esquisser la face du monde au temps de leur adolescence à eux. Comment faisait-on concrètement de vivre sans tous les acquis de l’époque actuelle n’est pas un sujet en soi. Y n’a ni dette ni déférence envers le passé, comme il en fait preuve curieusement pour l’avenir. Y est celui par lequel la merveilleuse chaîne de la passation se brise. 2
L’homme nouveau c’est Y. Mais à vrai dire et à y regarder de près, le Y n’est pas une nouvelle déclinaison du même homme tel que la Terre a connu depuis 123456… ans. Il n’est point le surhomme de Nietzsche, ni le triomphant homme nouveau du marxisme, ni l’arien du nazisme. À son insu et par son net déni du passé, l’ironie du sort fait qu’il n’est paradoxalement que le produit de consommation du même monde qu’il incrimine. C’est une première de l’Histoire qu’un volet entier se détache, autosuffisant, en tant qu’électron libre suspendu dans le temps. Il a déjà été montré avec davantage d’autorité: à la base, Y n’est pas plus un homme qu’un usager, un simple client statistique.
Et c’est là que surgit Z, dont il est encore trop tôt pour se prononcer avec pertinence sur les tenants et aboutissants. Lorsqu’il se tourne vers lui, notre Y est pris par le vertige. Il ne comprend strictement rien de cette génération de zappeurs, nés sous Internet, ouverts avec Facebook®, épanouis avec Instagram® et Snapchat®, pour lesquels la Russie est la capitale de l’Angleterre et qui pensent que la partie colorée de l’œil s’appelle Jésus. Y voit avec un mépris hautain ce rejeton (cependant pas tellement plus ignorant que lui-même) qui aujourd’hui est en train de se forger un avenir – raté pour Y – dans ce contexte en ruines qu’il rejette. Un Z qui pourtant – par la loi de la nature – lui succédera sous peu dans la vie de tous les jours. Aujourd’hui homme, demain femme, après demain ni l’un ni l’autre, chat même peut-être. Il ne saura pas dire si ce nouveau venu perpétuera sa trouvaille qui est de travailler le moins possible quitte à vivre chichement, pendant que Z se soucie clairement plus de la fonte des glaciers arctiques que du voisin grabataire au seuil de la mort dans le 2 pièces du 5ème. Je me dis alors que si le regard du Y sur le Z – qui lui est si proche par l’âge – est tellement perplexe si ce n’est terrifié, il est inutile d’aspirer à comprendre davantage autant l’un que l’autre.
On parle ici d’un corpus significatif d’éléments fondamentaux pour tout ce qui constitue notre particularité en tant qu’espèce humaine par rapport au reste de la Nature, inerte ou vivante: cumul, expérience, valeurs, vision, aspirations, respect. On parle d’un temps où contrairement à tout autre moment du passé, au moins trois générations vivantes ne sont plus en mesure de préfigurer la face du monde à venir, puisque même la quatrième, celle qui arrive maintenant dans la fleur de l’âge, est incapable de voir autre chose qu’un paysage dévasté, mûr pour l’extinction.
*
La tâche est lourde de pouvoir fermer l’œil au “No future” du négativisme, de garder espoir et optimisme face à cet horizon cataclysmique et d’ouvrir l’oreille au “plus jamais ça” des chantres pour un monde meilleur destiné aux chères générations futures.
À moins de s’appuyer sur la foi.
[13 mai 2023]
- Pour des raisons de fluidité et de simplicité – et aucunement par une quelconque préférence – on arrêtera un moment cette pratique d’alourdir et encombrer inutilement le texte avec toutes les déclinaisons possibles propres aux deux genres.
- https://lecorbeaublanc.me/essais/bouleversations-1-2/La descendance
2 réponses
🙁 de quoi n’avoir aucune envie de se voir, en tant que X, devenir grand-parent…mais au-dela de toutes nos lamentations, on devrait au moins identifier la source de ce derapage – a mon avis l’apparition de l’internet. Y’aura-t-il un temps ou l’homme apprendra a penser deux fois avant de proposer quelque projet/produit au monde?!…
Predrag mi-a recommandat viguros asta https://www.amazon.de/grand-virage-lhumanit%C3%A9-Philippe-Guillemant/dp/2813224863?source=ps-sl-shoppingads-lpcontext&ref_=fplfs&psc=1&smid=A3JWKAKR8XB7XF. Oi cumpăra-o și oi citi-o.