Le nouveau désordre mondial

Catégorie: Essais
Publié LE

Peu de temps en arrière, le Pré­sident russe a lan­cé un pavé dans la mare avec la force et le sérieux qu’on lui connaît. Il a  annon­cé l’avènement d’une ère nou­velle, où le monde sera libé­ré de la domi­na­tion de l’Ouest. Et du Nord. Pas tout le monde, mais seule­ment celui domi­né: celui de l’Est et du Sud. En d’autre mots et en jetant un coup d’œil aux sta­tis­tiques, plus de 85% de la popu­la­tion ter­restre. En face, à peu près 45% du PIB (pro­duit inté­rieur brut) mon­dial réa­li­sé rien que par les sept pre­miers pays du Nord-Ouest. Quant aux fleu­rons que sont les moyens, la tech­no­lo­gie, l’innovation, la recherche et le déve­lop­pe­ment, ce n’est même pas la peine de com­pa­rer Nord-Ouest et Sud-Est.

L’immensité des pro­blèmes inhé­rents à – et entraî­nés par – cette décla­ra­tion glace. En ral­liant la Chine, l’Inde et peut-être le Bré­sil, cet appel glace à la vue du fos­sé abys­sal qui sépare ces deux “blocs”. Une cre­vasse béante entre les acquis intel­lec­tuels et maté­riels de l’Occident d’un côté et ceux du reste du monde de l’autre, accen­tuée par l’obligation avant tout de pas­ser par une autre dyna­mique. Un retour­ne­ment radi­cal de doc­trine. Une nou­velle stra­té­gie qui, lors d’un bref coup d’œil, res­semble beau­coup à une authen­tique décla­ra­tion de guerre. “Domi­nés de tous les pays, unis­sez-vous !” ? En nous rap­pe­lant l’appel lan­cé en 1848 dans le Mani­feste du Par­ti Com­mu­niste de Karl Marx et Frie­drich Engels, à peine si l’on peut s’éviter des sueurs froides.

Gros­so modo, à force de com­mu­nisme étouf­fant et muti­lant à l’Est et de colo­nia­lisme déver­gon­dé au Sud, il a fal­lu un siècle au Nord-Ouest pour en arri­ver à ce stade. Cela dit, le monde de 2020 est beau­coup plus loin de celui de 1920 que celui-ci ne l’était de 1820, n’en déplaise à la révo­lu­tion indus­trielle. Car il ne s’agit pas seule­ment d’avancée éco­no­mique, mais sur­tout de pro­grès humain et social, ain­si que de méta­mor­phose poli­tique mue par le chan­ge­ment abso­lu appor­té par la com­mu­ni­ca­tion. Et même si le nou­vel ordre mon­dial – désor­mais si bien éta­bli – fait grin­cer beau­coup de dents, dans ces condi­tions com­plexes com­ment lui sub­sti­tuer un autre, net­te­ment dif­fé­rent et meilleur ?!…

Cette nou­velle confi­gu­ra­tion à plu­sieurs couches montre qu’il ne s’agit plus de lutte des classes mais de lutte des blocs. Avec des forces à prio­ri tota­le­ment inégales. Nous ne sommes plus en 1984 mais en 1894, où les empires espa­gnol, bri­tan­nique, fran­çais, japo­nais et russe se tuent pour le par­tage du monde. Les trois pre­miers n’existent plus. Le japo­nais est allé­go­rique. L’empire russe som­bra en tête, mais seule­ment par le nom. La chute du com­mu­nisme ne fit qu’ouvrir large la voie de la renais­sance d’une vieille et solide vision pour la Grande Rus­sie: celle des tzars. Et depuis, c’est le nou­vel empire amé­ri­cain qui mène les débats.

Mais fichtre!, com­ment faire pour inven­ter un autre meilleur ordre alors que cha­cun de ces quatre cava­liers com­posent tant bien que mal avec les capi­ta­lismes les plus féroces et les résul­tats les plus contras­tés ? Com­ment réunir sous une seule et même torche révo­lu­tion­naire quatre hommes sur dix de reli­gions dif­fé­rentes, dont une bonne par­tie vit sous le seuil de pau­vre­té, sans eau cou­rante, élec­tri­ci­té, accès aux soins et à l’éducation ? Com­ment conci­lier cette détresse géné­ra­li­sée avec l’avoir cumu­lé (égal au PIB de Taï­wan) ne serait-ce que de leurs trente plus riches res­sor­tis­sants ? Et la cor­rup­tion ? Et le par­ti unique ‘ Et les castes ? Et le bazar­dage des res­sources natu­relles ? Et – osons le dire enfin – la démo­cra­tie avec ses fameux droits de l’homme ?…

En dépit de mul­tiples efforts, je ne vois pas à ce jour com­ment le Nord-Ouest, lan­cé à grande vitesse dans le post indus­triel, pour­rait se faire impo­ser un autre nou­vel ordre mon­dial par le Sud-Est, alors que même dans le sec­teur des dépenses mili­taires il traîne si loin der­rière. Quelle pour­rait être l’issue d’une telle confron­ta­tion qui, si elle ne sera pas tout d’abord idéo­lo­gique, ne sera point ? Je n’en vois qu’une: c’est le titre por­té par cet écrit.

*

Mais admet­tons l’inconcevable. En cas de vic­toire finale des actuels “domi­nés”, quel sera le sort des futurs ex-dominateurs ?!…

[14 mai 2023]

Share
Tweet

2 réponses

  1. J’ai aimé en général.
    En par­ti­cu­lier j’ai aimé que tu as réflé­chi, en pro­fon­deur, à ce que impli­que­rait le douce rêve-désir d’un nou­vel ordre mon­dial des pré­si­dents russe-chinois-indian-brésilian-africains

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *