Certains ont besoin de leur vie entière pour prendre vraiment conscience d’une réalité exemplaire, soit la faveur constituée avec nul apport personnel par la jouissance de ce dispositif presque miraculeux que la Mère Nature (certains disent le Seigneur) leur offre sans contrepartie: leur propre corps. Un groupage d’outils disposés conformément à une logique parfaite, un assemblage de fonctions nécessaires et suffisantes à une existence équilibrée, le tout concentré à l’essentiel, souvent avec des emplois multiples. Prenons ceux des exemples qui sont parmi les plus importants.
Le cerveau est le poste stratégique de commande qui contrôle et règle tout. Il est placé à dessein en haut de la structure, dans une boîte renforcée. Les nerfs créent un tissu de transmission infini qui pousse les ordres du cerveau jusqu’aux derniers recoins du corps. Le cœur est le moteur de la locomotive qui met tout en marche et fait mouvoir l’ensemble. C’est aussi le second cerveau, celui qui anime tout. Le système sanguin est un réseau routier on ne peut plus sophistiqué, où se croisent les véhicules de la vie. Le système lymphatique est un second réseau, pédestre. Il passe par une station qui est la rate. Le squelette est la structure de soutien de l’édifice, son armature. Les muscles forment un mécanisme varié qui fait bouger le corps dans tous les sens. La bouche est la porte d’entrée de l’alimentation. Elle s’ouvre et se ferme sur ordre du cerveau et reçoit air, eau et nourriture pour les envoyer plus loin. L’œsophage est un toboggan continu d’eau et de nourriture. L’estomac est un silo et un centre de traitement pour aliments. Les reins sont le centre de tri pour les liquides. Le foie est aussi un centre de tri, une station d’épuration et une déchetterie. Les intestins sont des égouts tortueux où cheminent les déchets pour être éliminés. La vessie est le bassin de rétention pour les liquides traités avant l’évacuation. Dans son ensemble, le système digestif est vu comme le troisième cerveau, tout aussi crucial que les deux premiers: c’est le siège de l’audace et de l’intuition. Voisine de l’œsophage est la trachée, qui est un tuyau de ventilation continu. Les poumons sont deux soufflets qui fonctionnent par réflexe inconditionné obéissant aux ordres du cerveau. Isolés à la fin du parcours se trouvent les instruments pour l’union des corps par lesquels se perpétue l’espèce. L’utérus est le local qui abrite le fruit de l’union. Là il éclot. À la surface il y a la peau qui couvre tout. Elle est manteau, filtre et rempart. Et partout, absolument partout, est répandue l’armée de gardiens qui défendent chaque pouce de l’ouvrage: ce sont les anticorps. Manquent seulement les branchies pour vivre sous les eaux ainsi que les ailes pour voler.
En son entier, cet ensemble si harmonieusement composé est extraordinairement résistant et pourtant incroyablement fragile. L’homme sain et saint rend grâce chaque instant de sa vie pour cette faveur dont il a humblement la conscience qu’il n’en tire nul mérite. L’homme bêtement sain en revanche passe son temps fleur au fusil en tête de son bataillon rodé formé de ces braves soldats aux aguets, toujours obéissants, jamais fatigués. Comme chacun d’eux accomplit sa propre mission efficacement, dans la discipline et en silence, au mieux a-t-il l’habitude de ne pas se soucier, car pour lui ce dispositif roule tout seul à la condition de lui assurer les deux éléments indispensables que sont l’énergie et l’air. Loin d’en prendre soin, au pire il le torture de mille façons. Il y a enfin l’homme atteint par un mal ou une souffrance plus ou moins grave. Il peut être tout juste misérablement écrasé sous sa peine, n’aspirant qu’à être soulagé. Mais il peut aussi bien s’élever au dessus, et les meilleurs exemples connus sont à chercher dans Le Livre de Job et dans l’Évangile selon Saint Matthieu, 26/39, 42: “Allant un peu plus loin, Il tomba face contre terre en priant et Il disait: «Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi! Cependant, non pas comme Moi Je veux, mais comme Toi Tu veux.” et “De nouveau, Il s’éloigna et pria, pour la deuxième fois; Il disait: «Mon Père, si cette coupe ne peut passer sans que Je la boive, que Ta volonté soit faite!” Ces hommes lourdement atteints sont les vrais saints.
Par opposition, l’homme naïvement sain fait erreur. Bien sûr, il n’est de loin pas le seul à avoir reçu ce bienfait, comme dans le cas de la pensée. Au contraire et justement, par sa conscience, il est le seul à devoir le reconnaître, remercier et s’y conduire en accord, ce qui reste terriblement rare, car la plupart, cette faveur ils s’en moquent. L’homme en éveil se devrait d’être conscient de chaque chose, attribut, élément ou fait dont il est pourvu ou profite, raison comprise. Il faut dès lors une bonne dose de peine à l’homme sain, un malheur solide, tenace, pour qu’il comprenne que son corps entier n’est pas une donnée immuable de son vécu.
Mais comme fondamentalement il est aussi le seul à avoir reçu la clé du royaume de la Terre, c’est venu dans la nature de l’homme de se porter en maître absolu dans la froideur de ce qui l’entoure, et suivant cette piètre logique également de lui-même. S’ajoutent à cet orgueil les ainsi dites “avancées technologiques majeures” au travers desquelles sont engendrés ces hommes-là que l’on appelle bioniques et cryogèniques, pour que de cette façon le temple du corps puisse durablement muer en un vrai, fier et performant appareillage électromagnétique prêt à tout emploi, Made in Earth.
[4 septembre 2023]
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