Le mystère américain

Catégorie: Essais
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«Le violent assaut de ce jour contre notre Capi­tole, dans un effort de sub­ju­guer la démo­cra­tie amé­ri­caine par la loi de la foule, a été fomen­té par le roi même, qui a uti­li­sé la posi­tion la plus éle­vée dans le gou­ver­ne­ment de la nation pour détruire la confiance dans les élec­tions et empoi­son­ner le res­pect pour les cama­rades citoyens. Notre Consti­tu­tion et notre pays vont sur­mon­ter cette tache et Nous, le Peuple, nous serons à nou­veau de retour dans nos efforts de créer une meilleure Union, alors qu’à rai­son ce roi fini­ra en homme sans pays.»

(Géné­ral**** amé­ri­cain retrai­té, ancien Secré­taire à la Défense)

«Si seule­ment les États Unis voyaient ce que les États Unis font aux États Unis, alors les États Unis enva­hi­raient illi­co les États Unis pour déli­vrer les États Unis de la tyra­nie infli­gée aux États Unis par les États Unis, res­tau­rant ain­si immé­dia­te­ment la démo­cra­tie aux États Unis.»

(Ano­nyme, Internet)

Je me déclare abso­lu­ment impuis­sant pour trou­ver une autre expli­ca­tion à cet épais mys­tère: les États Unis d’Amérique – ceci ne peut être rien d’autre qu’un de ces nom­breux miracles tota­le­ment impé­né­trables de la Providence.

Des ter­ri­toires enva­his durant trois siècles par les euro­péens, puis colo­ni­sés, occu­pés, conquis, abri­tant de vieilles popu­la­tions autoch­tones sou­mises, ter­ro­ri­sées, exter­mi­nées – tout ça on en connaît trop bien. Il y en a plé­thore: l’Australie et la Nou­velle Zélande, le Cana­da, le Cau­case avec une bonne par­tie de l’Asie cen­trale, toute l’Amérique du Sud et presque toute l’Afrique.

Cepen­dant, nulle part ailleurs l’essor de l’homme blanc, avec sa concep­tion sur la civi­li­sa­tion four­rée dans la besace, ne fut si fou­droyant et si extra­or­di­naire qu’aux États Unis d’Amérique. Et de loin. À se deman­der com­ment, puisque les trois pre­miers exemples ci-des­sus attestent d’une même pré­émi­nence anglo-saxonne qui a pris rapi­de­ment pied et défi­ni­ti­ve­ment le dessus.

Peu importe fina­le­ment, les faits sont là et le XXe siècle a sacré cette fédé­ra­tion comme pre­mière force motrice mon­diale, en tous les cas pour ce qui est de l’économie, du poli­tique et du mili­taire, et ce au détri­ment des puis­sances d’autrefois qu’ont été le Royaume Uni, la France ou l’Espagne. Par­mi d’autres.

Mal­heu­reu­se­ment sans qu’avec ça l’on puisse élu­ci­der la moindre tranche du mys­tère évo­qué au début, force est-il d’admettre que nous nous trou­vons là devant le “côté brillant de la mon­naie”, puisque les pro­grès maté­riels enre­gis­trés par les femmes et les hommes de ce pays durant le bref inter­valle des der­niers deux cent ans sont sans équi­valent connu.

À ce jour, en chiffres abso­lus, l’économie des États Unis “pèse” à elle seule autant que celles des sept “poids lourds” sui­vants réunis (à l’exception de la Chine): Japon, Alle­magne, Inde, Royaume Uni, France, Ita­lie et Bré­sil. Ou, si l’on veut, autant que l’ensemble des cin­quante pays qui ferment ce même clas­se­ment. Cerise sur le gâteau, la mon­naie amé­ri­caine est la pre­mière réfé­rence mon­diale en la matière et domine – logi­que­ment, j’imagine – les échanges internationaux.

Le poli­tique main­te­nant. Leur élite est la plus notoire au monde. À force de la voir défi­ler constam­ment dans les médias, on connaît par leurs noms et pré­noms un nombre impres­sion­nant de ministres, séna­teurs, dépu­tés, direc­teurs d’agences-clé et mili­taires de ce pays qui en fait n’est pas le nôtre. Inutile d’essayer le même exer­cice dans le cas du Japon, de l’Allemagne ou du Bré­sil. Dans la fou­lée, leurs élec­tions par­le­men­taire et pré­si­den­tielle, dont le rythme est aus­si connu par cœur, n’ont rien à voir avec celle de l’Inde, du Cana­da ou de l’Italie.

Je choi­sis de sau­ter le mili­taire puisque avec envi­ron 40% des dépenses mon­diales dans le domaine, équi­va­lant ceux cumu­lés des dix pays qui lui suivent dans la liste, le sujet est consommé.

Nul doute pos­sible: sur tous ces aspects, les États Unis d’Amérique sont le chef d’orchestre d’une bonne par­tie de la vie de la pla­nète; c’est sa baguette qui donne le LA. En face, seule la Chine s’oppose dans ce qui peu à peu est deve­nu un duo­pole mon­dial de puis­sance. Mais cette der­nière a de quoi, puisqu’elle a les moyens, et il s’agit ici d’un autre miracle impé­né­trable bon­di du Moyen Âge direc­te­ment dans le post-indus­triel en à peine une géné­ra­tion, au rythme des congrès du par­ti com­mu­niste, unique.

À pré­sent rou­lez tam­bours ! Forts de ce rôle, les États Unis se sont pro­gres­si­ve­ment pro­cla­més modèle uni­ver­sel pour la démo­cra­tie et les liber­tés, pre­mier et ultime bas­tion devant toute convul­sion tota­li­taire dans le monde. Je dis bien forts de cette posi­tion, puisque d’autre pays majeurs se targuent d’occuper la même place et qu’en réa­li­té c’est bien l’Inde qui devrait por­ter le titre de pre­mière démo­cra­tie mon­diale, si ce n’est qu’eu égard le nombre d’habitants.

C’était donc là le côté brillant de la mon­naie. Mais trêve de rêves. Le revers – sombre, sale et gluant – est lui tout aus­si fourni.

J’évoquais le Moyen Âge dans le cas de la Chine. Néan­moins c’est éga­le­ment valable pour les États Unis d’Amérique. À cela, plein de rai­sons dans plein de domaines.

Reve­nons au poli­tique. Depuis cent cin­quante ans, seules deux monar­chies se dis­putent – à forces rela­ti­ve­ment égales – la hégé­mo­nie sur le pays. Même qu’État dit par­le­men­taire, les gou­ver­ne­ments – suc­ces­sifs, alter­na­tifs – ne reflètent en rien cette réa­li­té puisqu’ils sont nom­més en tota­li­té par le roi. Dans les faits, il s’agit de la ver­sion mise à jour de la “curia regis”, soit le conseil royal ou la cour du roi, une ins­ti­tu­tion qui vient de fêter ses mille ans d’âge.

Et le roi ? Eh bien, lui, il est l’État. L’État c’est lui. Ses pré­ro­ga­tives sont totales. Ou presque. Il est le Chef de l’État, le Pre­mier Ministre et le Com­man­dant Suprême des Armées. En tant que tel, son doigt repose sur le bou­ton rouge qui peut éteindre la vie sur le globe. Et il a aus­si un lieu­te­nant sym­bo­lique comme chef du Sénat. Seul bémol: son règne est limi­té à huit ans. En revanche, pen­dant cette période, non seule­ment qu’il peut pro­mou­voir ou blo­quer ce qui bon lui semble: il peut s’opposer et rendre caduque toute déci­sion du par­le­ment. Mais sur­tout, en pra­tique, il est indé­bou­lon­nable. 1.

Cepen­dant, com­pa­ré à la déma­go­gie, le poli­tique passe encore. Car il faut savoir, ou se sou­ve­nir, que les États Unis d’Amérique furent le théâtre de cet extra­or­di­naire et tant contro­ver­sé moment d’il y a bien­tôt vingt ans en arrière; qu’elles sont la source de glo­ba­li­sa­tion arbi­traire du ter­ro­risme en tant qu’étiquette et concept, le ter­rain des plus nom­breux mas­sacres par et entre les civils, les apôtres de la dés­in­for­ma­tion, le labo­ra­toire de la tor­ture au nom de la sécu­ri­té natio­nale, le ber­ceau des lois répres­sives dites “Patriot”, les cham­pions des infil­tra­tions et des coups d’état  aléa­toires des­ti­nés à ins­tau­rer ou main­te­nir leur propre défi­ni­tion de la démo­cra­tie, les auteurs de ce “poli­ti­que­ment cor­rect” si inepte, comme des plus halu­ci­nantes pla­ti­tudes qui se dif­fusent à la vitesse de la lumière à tra­vers leurs réseaux sociaux.

Et pour retour­ner au Moyen Âge amé­ri­cain, nous avons ici à pro­fu­sion le racisme, l’exclusion sociale, l’allocation de chô­magel’accès à l’éducation, l’accès aux soins, le sexisme, la homophobie.

Tout cela est connu. Plus ou moins. Au moins on le soup­çon­nait. Au plus on s’en accom­mo­dait. Tout cela jusqu’au soir (en Europe) du 6 jan­vier 2021. Celui de l’Épiphanie…

Hier soir, les États Unis d’Amérique ont brus­que­ment tour­né la page de leur qua­si supré­ma­tie et en à peine quelques heures ont effec­tué le plus har­di bond en arrière depuis le gran­diose bond en avant sur la Lune du légen­daire Neil Armstrong.

Hier soir, par son porte-dra­peau royal, à la lumière du jour, à celle des télé­phones por­tables et pour finir à celle des réver­bères, le pays a dévoi­lé toute sa nul­li­té inuti­le­ment cachée: son acri­mo­nie, sa lâche­té, sa per­ver­si­té, son obs­cu­ran­tisme, sa stu­pi­di­té, son arro­gance, sa peti­tesse, son cynisme, son pri­mi­ti­visme, son…, sa…

Hier soir, le monde téta­ni­sé aurait vou­lu revoir à l’ouvrage la Garde Natio­nale cal­me­ment mais fer­me­ment déployée sur les marches du Capi­tole, comme elle l’avait fait à peine six mois plus tôt face au pro­tes­ta­taires de Black Lives Mat­ter suite au meurtre de George Floyd. Mais à la place… Enfin, tout un cha­cun a vu les vraies images de ce soir-là.

De hier soir, 13 soirs avant de s’éteindre dans la nuit de l’histoire, le 45e roi des États Unis d’Amérique en fit le point d’orgue de sa domi­na­tion au mieux inco­hé­rente, clai­re­ment luna­tique, au pire cri­mi­nelle. Cri­mi­nelle pour avoir – je dirais – par­ache­vé une frac­ture de la nation dont ses pré­dé­ces­seurs s’en sont occu­pés. Pour avoir, chaque jour de ses 1500 de règne sans par­tage, sis­té­ma­ti­que­ment et osten­si­ble­ment mis ses lubies avant le bien du peuple.

Hier soir, durant seule­ment quelques heures sui­vies de seule­ment quelques autres heures qui s’étaleront sur des années, por­té à bouts de bras par son roi et ses sujets, le moteur éco­no­mique, poli­tique et mili­taire de la pla­nète, l’État démo­cra­ti­que­ment vel­léi­taire et en même temps vigou­reu­se­ment dis­cri­mi­na­toire se grip­pa, pour ensuite s’effondrer à l’état tribal.

Mais ce n’est pas fini. Une fois l’ordre élé­men­taire réta­bli, les scènes de chaos seront sui­vies par des ques­tions, puis – pro­ba­ble­ment – par des inves­ti­ga­tions. Qui a été le meneur ? Qui a fait quoi ? Et pour­quoi ? Qui n’a pas fait ce qu’il aurait dû faire ? Qui a don­né tel ordre ? Qui s’est esqui­vé ? Et pour­quoi ? Etc…

Et puis, petit à petit, à force d’auditions et d’interrogatoires, de comi­tés et de com­mis­sions, tout ou presque s’estompera. Et les États Unis conti­nue­ront comme avant de faire tour­ner la machine éco­no­mique, poli­tique et mili­taire de la pla­nète en tant qu’État démo­cra­ti­que­ment vel­léi­taire et tou­jours vigou­reu­se­ment dis­cri­mi­na­toire, cette fois sous l’égide d’un autre ancien marau­deur barou­deur et nou­veau roi.

*

Comme je le disais donc: les États Unis d’Amérique – clai­re­ment ça ne peut être autre chose qu’un de ces nom­breux miracles tota­le­ment impé­né­trables de la Providence.

[7 jan­vier 2021]

  1. J’ai choi­si à des­sein de ne pas m’attarder ici sur les par­ti­cu­la­ri­tés uniques qui pro­pulsent un citoyen lamb­da sur le trône royal. Elles sont incroyables, incom­pré­hen­sibles, invrai­sem­blables, incon­ce­vables, inima­gi­nables, insuppo…
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2 réponses

  1. « Congra­tu­la­tions »
    « For what? »
    « For winning »
    « Who won? »
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