«Il est dangereux d’avoir raison
sur des sujets où l’autorité officielle a tort».
(Voltaire)
« …Victimes de la vérité derrière les messages
des stoïques Saints du profit qui
qui sourient lorsque les merveilles
de toutes sortes déboulent dans leurs poches… »
(Deep Forest, ‘Endangered Species’,
de l’album ‘Music Detected’)
Demandez à qui vous voulez de vous décoder le 4776, le 6845, le 8545, le 12461, le 14789, le 16769, le 61241, le 71117 ou encore le 111189! Vous serez gratifiés d’un long regard complaisant, sous-entendant «Tu devrais te soigner, mon ami».160 Ensuite, demandez-lui de vous expliquer le 1191. Vous aurez droit à une réplique cynique, genre «T’es sérieux là, ou tu te fous de moi?», ou alors «T’étais où, sur la planète Mars?». Eh oui, les temps changent, les hommes aussi… Cela dit, en un rien de temps, ce qu’on appelle désormais couramment ‘les événements du 11 septembre’ (2001) a réussi l’exploit de se substituer dans la mémoire collective aux plus marquants jalons de l’ère moderne. Au même titre que ces quelques dates historiques sélectionnées plus haut, on parle dorénavant d’un avant et d’un après 1191, comme on parle d’un avant et après l’édification du mur de la honte à Berlin (13861) ou d’un avant et après la mise sur orbite du premier satellite artificiel (41057). Plus encore: on parle du 11 septembre comme les Français parlent de leur 14 juillet et les Américains de leur 4 juillet: sans indiquer l’année.
Reprenons les choses à leur origine. Nous sommes le mardi 11 septembre 2001 vers 9 heures du matin. Alertée par sa meilleure amie (une Américaine qui, à cet instant-là, se trouve à l’aéroport d’Atlanta en train d’embarquer sur un vol vers Zurich), cela fait déjà un moment que ma femme m’a appelé au bureau, me racontant, en quelques mots, ce qui, à cet instant-là, semble être un tragique accident. Elle me dit de chercher plus d’informations sur cnn.com. Je m’exécute. En effet, j’y trouve l’image enfumée et figée d’un des immeubles du World Trade Center de New York. Bien sûr, c’est le choc. Quelques minutes plus tard, ce n’est plus un choc, c’est plus qu’un choc (mais comme j’ignore la hiérarchie du choc, je l’appelle toujours ainsi): le deuxième immeuble est aussi frappé. Ensuite, c’est le Pentagone puis le crash en Pennsylvanie; on parle – pêle-mêle – du Département d’État, du Capitole, même de la Maison Blanche. Je me sens un peu comme Abraracourcix, qui a fini par recevoir le ciel en pleine tronche.161 Je reste là, devant l’écran, sans mots, le regard vide, la tête vide aussi. Soudain, un sursaut: je dois téléphoner à mon collègue avec lequel je partage les bureaux. C’est un ingénieur. Je sais que ce jour-là, il est en déplacement pour affaires, quelque part en Europe. Donc, il n’a peut-être pas eu les nouvelles. Je l’appelle sur son portable et – la chance! – je réussis à l’avoir du premier coup. Je balbutie quelques mots en guise de questionnaire. Il n’en sait rien: il est sur une route d’Espagne. Je ramasse ma lucidité des deux mains et lui raconte ce qui vient de se passer. Il essaie de me calmer. Sans succès. Je finis tant bien que mal mon récit et j’attends sa réaction. Elle vient, placide; quelque chose du genre «Dieu sait ce qu’ils ont encore combiné, ces Américains?!…» J’écoute abasourdi. Je l’engueule et raccroche. Et je me dis qu’alors-là, j’aurais tout vu, et surtout tout entendu.
Je me trompais. Pire encore (et inadmissible): ce faisant, je révélais la grave erreur de ne pas avoir tiré les leçons nécessaires d’un passé sentimentalement et historiquement très proche. Je m’explique.
Les bouleversements qui avaient eu lieu du 16 au 25 décembre 1989 en Roumanie – et qui avaient abouti au renversement du régime de Nicolae Ceaușescu – m’avaient fait vibrer comme la corde d’un violon. Rivé 24 sur 24 à toutes les chaînes de radio et de télévision, j’avais hurlé et pleuré à la découverte des ‘charniers’ de Timisoara – une vingtaine de cadavres (?) en décomposition, soigneusement alignés au sol; à l’envol de l’hélicoptère présidentiel depuis le toit du siège du parti communiste; à la prise d’assaut de ce symbole du pouvoir par une marée humaine à mains nues; à la capture du tyran déchu, réduit d’un jour à l’autre au rang de clown dont le bonnet de fourrure failli tomber au sortir du véhicule militaire qui l’amenait au ‘tribunal’; aux combats rangés – toujours contre des ennemis invisibles – qui avaient eu lieu dans les rues et places du centre de la capitale, Bucarest; aux nouvelles hystériques qui faisaient état de menaces chimiques et biologiques sur la population, et de la présence d’impitoyables et sanguinaires mercenaires nord-coréens et libyens dans les rangs des adversaires de la liberté; aux émissions d’information ad hoc et en continu montées avec les moyens du bord dans un studio de la télévision nationale transformé en camp retranché; au procès, au jugement et à l’exécution des époux Ceaușescu, dont aujourd’hui encore les images me semblent irréelles. Et encore: les crachats qu’on lançait à travers le petit écran sur la dépouille de l’ex-dictateur; le ruban que j’avais scotché sur la porte de mon bureau avec la mention ‘Fermé pour cause de révolution’; les discussions explosives – portées en petit comité d’amis – sur l’opportunité de rejoindre – en Roumanie, fusil à la main – les rangs des combattants de la liberté; l’appel vibrant adressé (via la télévision suisse romande) à la mobilisation internationale contre les forces du mal. Voilà autant de situations qui aujourd’hui me semblent sorties tout droit d’une hallucination. La suite est connue: sur l’ensemble de ces manifestations, rien ou presque n’était spontané, mais minutieusement mis au point et orchestré. Seulement, à cet instant-là, le formidable poids émotionnel du moment nous transforma tous, ou presque, en de véritables victimes de l’intox. Nous avons ainsi gobé les plus extravagantes sornettes forgées par le comité de rédaction de la ‘révolution roumaine’. Ainsi, forts du poids de notre multitude de béats crédules162, nous avons involontairement et implicitement entériné cette illusion (ou cette mise en scène); en quelque sorte nous l’avons cautionnée, cette ‘révolution’. D’accord: passons. Une fois, ça va, mais deux fois, bonjour les dégâts!
Comparée au 1191, la mascarade du 221289 (jour de la fuite de Nicolae Ceaușescu et de sa femme) me fait penser plutôt à un vaudeville, une petite plaisanterie de dilettantes. Autant par l’échelle des faits que par la subtilité du scénario. Je ne dis pas que le truc de Bucarest n’a pas été particulièrement réussi (il l’a été; la preuve: il a marché), cependant celui de Washington et de New York appartient résolument à une autre ligue: celle des vrais professionnels.
L’immense tragédie qui a eu lieu le 11 septembre 2001 est un vrai chef-d’œuvre sur l’échelle de l’horreur, tant pour ce qui est de sa mise en pratique que de l’endoctrinement qui l’enveloppe. En effet, quant à la mise en pratique, chef-d’œuvre fut la façon dont se passa
le choix
des cibles, matériellement et symboliquement,
des techniques de réalisation,
des auteurs offerts à l’esprit collectif
l’orchestration
des tensions des événements, pendant et après,
des retombées stratégiques internationales et
des médias du pays dit plus libéral en la matière.163
Quant à l’endoctrinement, chef-d’œuvre fut la façon dont furent
détournées les consciences,
esquivées les évidences,
muselées les opinions,
enrégimentés les acteurs politiques, exaltés les éléments patriotiques,
appliquées les mesures coercitives.
Je suis d’accord que tout cela ça fait vraiment beaucoup, surtout lorsqu’il s’agit du pays le plus libéral, le plus démocratique, le plus ouvert, le plus avancé, le plus audacieux, etc. Voyons donc de plus près.
Le choix matériel et symbolique des cibles
Je ne reviendrai pas sur un sujet épuise, si ce n’est pour m’asso-cier au concert d’opinions soulignant la pertinence de ce choix. Même si d’autres objectifs (tels ceux imaginés à l’addenda qui finalise cet écrit) sont porteurs de valences similaires, les points touchés ce jour-là (auxquels on pourrait ajouter la Maison Blanche, dont il fut dit qu’elle échappa au quatrième projectile) tiennent tout de même la palme.
Le choix des techniques de réalisation
Techniques? Non, plutôt technique. En fait, en ce 11 septembre 2001, le monde entier a pu voir qu’un gros-porteur civil peut devenir une bombe volante d’une redoutable efficacité, et que son utilisation efficace est à même de produire un effet matériel et psychologique dévastateur, cela sans égard au taux d’occupation des sièges. Pourtant, il s’agit bien de techniques, puisque cette performance ne peut se réaliser en soi; elle exige une logistique et une coordination exemplaires. Sur un champ de bataille, il n’est déjà pas facile pour plusieurs canonniers de tirer des salves simultanées sur différentes cibles; que dire alors de plusieurs avions de ligne, chargés de passagers, partis d’endroits différents et précipités à quelques minutes d’intervalle sur des immeubles d’importance capitale à la fois et dispersés et rapprochés entre eux, comme les deux tours du World Trade Center?
Le choix des auteurs offerts à l’esprit collectif
C’est vrai qu’eu égard les événements de la fin des années ’90, les Serbes ou les Bosno-Serbes auraient pu faire d’excellents auteurs de ces atrocités. N’avaient-ils pas, en effet, massacré plein de musulmans et de Croates? Organisé plein de charniers dignes des bourreaux nazis? Soigneusement orchestré le nettoyage ethnique de toutes ces populations? Mis en place l’exode des Kosovars? Humilié la FORPRONU164en menottant ses militaires à des endroits stratégiques? Seulement, leur cas était désormais réglé, de sorte que les Serbes n’intéressaient plus personne. Et, de surcroît, ils n’ont pas de pétrole. Pire, ils n’ont pas la chance (?) d’occuper une position stratégique de tout premier ordre, entre un Occident qui est entré de plein pieds dans le post-industriel et un Orient qui, en dix ans, est devenu potentiellement riche et incontrôlable.
Alors, quelques précédents de ces années-là165, engendrés – eux – par l’antiaméricanisme que la première guerre du Golfe avait soulevé166, ont suffit pour désigner d’un seul coup de baguette magique les suspects (voire: les auteurs) des attentats. C’étaient des bandes bien organisées et bien entraînées, regroupées au sein d’un réseau mondial qui visait du jour au lendemain l’anéantissement de l’Amérique. On n’aurait pas su mieux trouver leur portrait-robot. Il y avait là d’une part des barbus ainsi que des moustachus mal rasés, tous des fanatiques, et d’autres part des femmes voilées clapotant des sons qui font peur; tous avec des noms imprononçables et des surnoms encore plus étranges; pratiquant un culte moyenâgeux qui autorise de lapider une femme adultère et de couper la main d’un voleur; s’exprimant violemment dans une langue inconnue et rauque; toujours en train d’hurler, toujours en train de tirer en l’air avec leurs Kalachnikov, toujours en train de brûler des effigies, toujours en train d’agiter qui des restes de vêtements, qui des photos d’autres moustachus, qui des bouteilles incendiaires; se déclarant fermement prêts à mourir pour la cause de l’Islam; vivant, sales, dans la misère (lorsqu’on sait, justement, que la misère exalte les sentiments), et réservant à un usage maléfique la colossale fortune d’un saoudien encore plus exalté qu’eux (par ailleurs ancien agent de la CIA semble-t-il). Franchement, le 11 septembre 2001, on vous aurait mis sous les yeux – allez – quinze archétypes de suspects possibles (ou envisageables) – les Serbes, les Brigades Rouges italiennes, le Sentier Lumineux péruvien, la secte japonaise Aoum, le KGB russe (enfin, l’ancien), les néo-nazis allemands, l’ETA espagnole, le Front du Polisario du Sahara occidental, la Corée du Nord, les rebelles maoïstes népalais, les corses de la Cuncolta, le Cuba, le Ku Klux Klan, l’Armée républicaine irlandaise et, enfin, la constellation de ces mouvements fondamentalistes et jusqu’au-boutistes musulmans – parmi tous ceux-là, vous pensez que vous auriez désigné qui comme suspect?
L’orchestration des tensions des événements, pendant et après
Surtout après leur déroulement. Mais aussi pendant. Il suffit de se rappeler les différentes fausses alertes visant d’autres bâtiments de prestige; les dispositions prises pour mettre à l’abri divers dignitaires; le branle-bas autour de la question des effets boule-de-neige sur la ville de New York, sur l’Amérique entière et sur le monde en général; le jeu des situations d’urgence stratégique (les fameux niveaux de DEFCON)167; le ballet des commentateurs et la valse des spécialistes ès affaires stratégiques, ès questions islamiques, ès sociologie, ès psychologie, ès terrorisme, chacun livrant son lot d’expertise en la matière. […]
[6 octobre 2002 – 12 octobre 2003,
revu superficiellement
le 13 septembre 2023]
PS. À l’exception de changements mineurs et sans impact aucun sur la substance du texte, c’est expressément que je n’y suis pas intervenu pour le mettre à jour. Beaucoup de choses se sont passées depuis sa création il y a vingt ans, mais il est suprenant de voir qu’aucune ne le contredit ou le rend désuet. Au contraire. [13 septembre 2023]