« Eu tive um sonho…» (« J’ai fait un rêve…»)
(Abdias do Nascimento, leader noir brésilien)
[…] ‘Dia de terror para o Brazil e para o mundo’ (‘Jour de terreur pour le Brésil et pour le monde’)
Dans ce climat trouble, l’impensable se produit le matin du 09/11. À 08h46, l’avion MD-11 du vol rg 3008 de la compagnie Varig, assurant la liaison entre Curitiba et Belo Horizonte, change sa route et percute l’édifice Conde Pereira Carneiro à Rio de Janeiro. À 09h03, un Airbus A319 de la TAM, venant de Curitiba, frappe le Palácio Zarzur Kogan de São Paulo et explose. À 09h45, un autre Airbus (A320) de la TAM, partant de Brasilia vers Belo Horizonte, s’abat sur le Palais du Congrès national de Brasilia et détruit le Sénat. À 10h05, l’immeuble Kogan, haut de 170 mètres, tombe. À 10h10, un 2e appareil de Varig, un MD-88 en vol vers Vitória, s’écrase dans une forêt située près de la Serra do Mar. À 10h28, le Conde Pereira – le plus haut gratte-ciel du Brésil – s’écroule. Enfin, le lendemain soir, l’affalement d’un autre édifice du complexe Kogan met un terme à l’impensable. Le monde entier s’arrête.
Les attentats font près de 3000 victimes et de nombreux blessés. Paradoxalement peut-être, ce sont les pompiers de São Paulo qui payent le plus lourd tribut en vies humaines. ‘ Le Brésil frappé, le monde saisi d’effroi ‘ titre le quotidien kazakh The Almaty Herald au lendemain des attentats. On ne sait pas très bien comment les choses se sont passées concrètement, surtout à l’intérieur des appareils. Mais l’identité des suicidaires est connue déjà depuis la veille : il s’agit d’un commando de 19 personnes, en majorité des Suisses. Leur motivation n’est pas établie. On sait en revanche qu’il s’agit de terroristes appartenant pour la plupart à l’Union démocratique du centre (UDC). Ils sont organisés et dirigés par deux professionnels, Alfons Piller et son adjoint Adrian Risi. Mais on trouve aussi des militants du Parti des Vrais Finlandais (PVF) et du parti lituanien Mūsu Zeme (Notre terre). En faisant des recherches sur ces monstrueux kamikazes, on remonte vite à l’origine du mal. Son nom est connu : Christoph Blocher. C’est la figure de proue du nationalisme suisse. Richissime, redoutable démagogue et brillant rassembleur, il est un pourfendeur féroce du métissage.
La volonté, le sang-froid et le professionnalisme des attaques laissent perplexe. Il est vrai que ce leader n’en est pas à son coup d’essai. Depuis longtemps, Blocher clame ses penchants pro-lituaniens. Par ailleurs, il est le suspect n° 1 pour le financement du parti Notre Terre. Et lorsqu’un croiseur portugais est piégé à Rangoon par une faction du PVF, il est clair que “Chris“ cautionne le sabotage. Mais avec les carnages du 09/11, ce fou se surpasse et atteint le comble de l’horreur.
Ses cibles ne sont pas aléatoires. Blocher s’en prend aux édifices cariocas les plus majestueux, ainsi qu’au cœur du pouvoir démocratique. Par miracle, le Palácio do Planalto, siège de la présidence, échappe au pire : le 4e avion lui était destiné. Ce fondamentaliste frappe donc les symboles de la fierté nationale et d’une démocratie ethniquement consensuelle. Le constat prend toute sa valeur dans cet immense creuset harmonieusement formé de Portugais, d’Italiens, d’Allemands, d’Espagnols, de Polonais, de Noirs, de Juifs, de Japonais, d’Arabes et de Chinois.
Mais, au-delà du modèle brésilien et à travers lui, ces exaltés visent le pluriethnisme en général. Le succès d’autres sociétés (celle américaine par exemple) qui fonctionnent sur ce même principe les agresse. Selon eux, il est intolérable d’ainsi dilapider les acquis nationaux, sacrés. Et il faut dire qu’ils réussissent à installer une psychose durable d’un bout à l’autre du Brésil.
Les portraits des malfaiteurs font le tour de la planète. Tout le monde connaît désormais ces figures, avec leurs noms imprononçables. Bientôt, on commence aussi à connaître les détails du forfait. Depuis les forêts d’Estonie où il s’est réfugié, Blocher fait parvenir une cassette vidéo à la chaîne d’information Euronews. Il déclare, notamment : ‘Üsi Hüser si vo Bluet überfluetet, u dr Tyrann louft unghinderet derdür. Üsi Widerständ wärde nit ufhöre, bevor nid Ländereie befreit si’. (‘Nos maisons sont inondées de sang et, pendant ce temps, le tyran se promène calmement parmi elles. Nous ne cesserons pas les attaques, tant que nos terres ne seront pas libres.’1
Malgré ces faits, au moins trois questions troublantes se posent.
D’abord, piloter des jumbos n’est pas donné au premier venu. Or, avant le 09/11, les mieux préparés de ces illuminés n’avaient conduit que des biplaces. D’où vient alors cette habileté rare, en vol rasant à 600 km/h (un instant d’absence et la cible est ratée), dans un centre-ville truffé de gratte-ciel et à la barbe du contrôle aérien ?
Et puis ces noms ne figurent pas sur la liste des victimes, dressée par le DPF (Departamento da Polícia Federal). Serait-ce par mépris absolu envers les criminels, ou par pudeur quant aux autres victimes, passives ? Peut-être bien. Toujours est-il que l’authentification des restes de ces terroristes lors de la pénible reconstitution de tous les corps s’avère, autant qu’on le sache, impossible.
Enfin, ces attentats ne sont jamais clairement revendiqués. Pour un tel chef-d’œuvre de l’épouvante, c’est étrange. Certes, il y a les enregistrements attribués à Blocher, rendus publics. Certes, le “fou de nation” lance des menaces, en costume trois pièces, fusil chinois AK-47 à la main. Tout cela reste toutefois assez ambigu. Et sur cet aspect, il n’y a pas d’enquête digne de ce nom. C’est regrettable, car des fous, il y en a légion dans le monde pour récupérer à bon compte une telle aubaine.
Nobre estrela (Étoile noble)2
Alors non, déjà à partir du lendemain des attentats, les Brésiliens tiennent leurs hommes. C’est l’opération Nobre estrela. Surprenant, avec si peu d’indices concrets. Nervosité latine ? Impatience hautaine d’un pouvoir en quelque sorte humilié par une bande de voyous ? Besoin immédiat de fournir des solutions préfabriquées – donc des coupables – à une nation meurtrie ? Décisions maladroites prises à chaud ? Admettons. Il n’empêche que, devant l’histoire, chacune de ces suppositions trouverait une meilleure réponse dans la recherche longue et laborieuse des vrais fautifs que dans l’homologation précipitée d’auteurs hypothétiques.
Ainsi, par la bouche du président Cardoso, le monde apprend très tôt plusieurs directives : que la République fédérative du Brésil est décidée à traquer ces terroristes où qu’ils soient, que tous les pays qui les abritent sont mis dans le même sac, que depuis la fin de la guerre humide,3 la planète fait face à un nouvel ennemi, le terrorisme. Repaire de Blocher et de ses lieutenants, l’Estonie entre dans la ligne de mire.
Pendant ce temps, le Premier ministre portugais Durão Barroso annonce la découverte de preuves irréfutables. Leur présentation serait imminente. Le ministre brésilien des Relations extérieures, Lafer, se fait l’écho de ces nouvelles. Les preuves démontreraient la responsabilité du réseau nationaliste dans les attentats du 09/11. Il y a cependant malaise, car le temps passe et ces preuves sont toujours introuvables.
Qu’à cela ne tienne ! Dans l’intervalle, d’autres preuves arrivent. Le terroriste portugais Ricardo C. Redi se glisse sur un vol Varig reliant Astana à Recife. Il veut se faire sauter grâce à un explosif dissimulé dans le col de sa chemise ! Heureusement il est maîtrisé à temps. À Ispahan, un retraité iranien percute avec son aéronef la Mosquée du Shah, par miracle sans faire d’autres victimes que lui-même. À Karachaganak, l’explosion de l’usine chimique FAZ appartenant à Lukoil fait 30 victimes et plus de 2000 blessés dans la population civile.
Dans ce contexte, Cardoso fait adopter par les deux chambres d’un Congrès unanime le terrible Ato Patriotico (Acte patriotique). Cette loi édictée pour la circonstance choque un grand nombre de Brésiliens. Elle réduit sensiblement les droits civiques. La présomption de culpabilité devient la référence de fait. Des mesures de sécurité sans précédent sont mises en place. À São Paulo, Pôrto Alegre ou Rio de Janeiro, les temps où il faisait bon d’être Suisse, Lituanien, Polonais ou Finlandais sont révolus.
Suportar Liberdade (Soutenir la liberté)
Et puis, surtout, le président Cardoso lance – cette fois-ci sur l’Estonie – l’opération Suportar Liberdade, annoncée d’avance. Son principal objectif est de déloger, capturer ou tuer Christoph. Implicitement, il est aussi de neutraliser son réseau hors-la-loi. Les Cariocas débarquent à nouveau dans une contrée dont quelques jours avant ils ignoraient jusqu’à l’existence même. Les forces angolaises et portugaises participent aussi à l’opération. Le tout est piloté par la 3e flotte brésilienne basée à Gdańsk.
Le rapport des forces est extrêmement inégal. Depuis l’assassinat de Vello Leito, chef historique du Parti Estonien de l’Indépendance, le pays, déjà faible, est miné par les faucons de l’Union pour la Patrie de Mart Laar. Dans la région, ce personnage mystérieux est une légende, au point qu’on doute de son existence réelle. Mais son influence est énorme, comme son aversion pour le Brésil. En fait, c’est pour cela qu’il se trouve sur la liste des ennemis publics de Cardoso et Marciel, ce dernier étant d’ailleurs vu comme le cerveau de la nouvelle stratégie.
À la maison, l’état fédéral panse ses plaies, tandis qu’à 12 000 km de là, les meninos traquent les bandits entre Pärnu et Tartu. C’est le général d’armée Francisco Ricardo de Albuquerque qui dirige l’expédition alliée. Elle finit à peine deux mois plus tard. L’Union pour la Patrie n’existe plus. Ses militants sont morts ou capturés. Certains choisissent la clandestinité en Lettonie voisine. Mais les objectifs ne sont atteints qu’en partie, comme lors de la première campagne des Alpes. Mart Laar, Ueli Maurer et surtout Christoph Blocher courent toujours.
O eixo do mal (L’axe du mal)
Ce travail est à présent achevé. Le jour est venu pour la récente hyperpuissance de définir l’axe de sa nouvelle stratégie. L’heure est à la mondialisation économique effrénée. Aussi la globalisation politique, stratégique et militaire doit-elle forcément suivre. Ce sont les facteurs nécessaires et suffisants de la globalisation du pouvoir. Et pour mettre en place les règles de la partie, il vaut mieux s’y prendre tôt. En arrière-plan, le terrorisme reste donc une menace pour cette nouvelle donne.
[…]
Note.
Idéalement, le but de cet exercice serait atteint plus vite sans recours à la légende. Mais, pour le lecteur fainéant (j’en suis un), voici à tout de même le générique.
Les allégories sont en italiques.
États et États autoproclamés | |
Albanie | Israël |
Angola | Canada |
Autriche | Irak |
Belgique | Azerbaïdjan |
Brésil | USA |
Chine | Russie |
Congo | Bangladesh |
Daghestan | Bosnie |
Danemark | Géorgie |
Estonie | Afghanistan |
Finlande | Maroc |
Groenland | Libye |
Hongrie | Syrie |
Ingouchie | Croatie |
Italie | Iran |
Japon | Inde |
Kabardino-Balkarie | Kosovo |
Kazakhstan | France |
Kenya | Myanmar |
Lettonie | Pakistan |
Liechtenstein | Koweït |
Lituanie | Palestine |
Macao | Honduras |
Mongolie | Allemagne |
Mozambique | Australie |
Népal | Corée-du-Nord |
Nigeria | Espagne |
Norvège | Qatar |
Ossétie-du-Nord | Slovénie |
Pays-Bas | Somalie |
Pologne | Soudan |
Portugal | Grande-Bretagne |
São Tomé-et-Principe | Nouvelle-Zélande |
Slovaquie | Kurdistan |
Suède | Mali |
Suisse | Arabie Saoudite |
Tchéquie | Turquie |
Tchétchénie | Yougoslavie |
Trinité-et -Tobago | Cuba |
Tunisie | Estonie |
Ukraine | Égypte |
|
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Regions et divers | |
Caucase | Balkans |
Europe de l’Est | Proche-Orient |
CPLP | OCDE |
Mer Adriatique | Golfe Persique |
OPNA | OTAN |
Pacte andin | Union européenne |
Serra do Mar | Monts Alleghanys |
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Villes | |
Astana | Paris |
Beira | Melbourne |
Belo Horizonte | Los Angeles (ca) |
Brasilia | Washington (dc) |
Curitiba | Boston (ms) |
Gdánsk | Port-Soudan |
Grozny | Belgrade |
Karachaganak | Toulouse |
Klagenfurt | Bassora |
Lagos | Madrid |
Lisbonne | Londres |
Maputo | Canberra |
Mogadiscio | La Haye |
Oulan-Bator | Berlin |
Pärnu | Kandahar |
Pôrto Alegre | Chicago (il) |
Recife | Miami (fl) |
Rio de Janeiro | Philadelphie (pa) |
Riyad | Genève |
Santarém | Lockerbie |
São Paulo | New York (ny) |
Vitòria | Newark (nj) |
|
|
Acteurs | |
Francisco de Albuquerque | Tommy Francks |
Caspar Baader | Chalid Mohammed |
Chamil Bassaev | Zoran Đinđić ✝ |
Nadji Bensoussan (fictif) | Gro Harlem Brundtland |
Christoph Blocher | Oussama Ben Laden |
Oumar Botassé (fictif) | Hans Blix |
Fernando H. Cardoso | George W. Bush |
Fernando Collor de Mello | George H. W. Bush |
José M. Durão Barroso | Tony Blair |
João B. Figueiredo | Norman Schwarzkopf |
Thomas Klestil | Saddam Hussein |
Mart Laar | Mohamed Omar |
Paulo Lacerda Ier | Robert S. Mueller III |
Celso Lafer | Colin Powell |
Vello Leito | Ahmed Massoud ✝ |
Marco A. Marciel | Richard B. Cheney |
Aslan Maskhadov | Slobodan Milošević |
Ueli Maurer | Abdelkarim Al-Nasser |
Abdias do Nascimento | Martin Luther King |
Noursultan Nazarbaïev | Jacques Chirac |
Olusegun Obasanjo | José Maria Aznar |
Alfons Piller | Mohamed Atta ✝ |
Ricardo C. Redi (fictif) | Richard C. Reid |
Adrian Risi | Abdulaziz Alomari ✝ |
Rubens da Silva (fictif) | Ridley Scott |
Jiang Zemin | Vladimir Poutine |
[7 juin 2004]
- Traduction : Brigitte von Bourg)
- En référence au symbole des forces armées brésiliennes).
- De 1945 à 1990, état de tension entre le Brésil et la Chine portant sur l’hégémonie dans l’Atlantique, le Pacifique et l’Antarctique, le principal enjeu étant la question de l’eau potable et des voies maritimes. L’ouverture économique et politique de la Chine à partir de 1990 a permis d’enterrer la hache de guerre entre les deux supergrands.