« Eu tive um sonho… » (« J’ai fait un rêve… »)
(Abdias do Nascimento, leader noir brésilien)
[…]
O eixo do mal (L’axe du mal)
Ce travail est à présent achevé. Le jour est venu pour la récente hyperpuissance de définir l’axe de sa nouvelle stratégie. L’heure est à la mondialisation économique effrénée. Aussi la globalisation politique, stratégique et militaire doit-elle forcément suivre. Ce sont les facteurs nécessaires et suffisants de la globalisation du pouvoir. Et pour mettre en place les règles de la partie, il vaut mieux s’y prendre tôt. En arrière-plan, le terrorisme reste donc une menace pour cette nouvelle donne. C’est le contexte choisi par l’administration Cardoso pour matérialiser cette stratégie. Elle est préventive, offensive, voire – même – combative. Car il faut dénicher, combattre et tuer dans l’œuf les nouvelles forces obscures qui désormais hantent le monde. Les pays qui incarnent cette menace sont réunis dans ce qui est intitulé O eixo do mal. En font partie notamment l’Autriche, le Groenland, l’Italie, le Népal, la Pologne et Trinité-et-Tobago. Les voies d’action choisies sont multiples.
Primo, le Departamento de Polícia Federal met à prix les têtes de plus d’une vingtaine de terroristes dont il veut se débarrasser. Leurs noms et photos sont diffusés tous azimuts. Selon le DPF, chacun vaut 50 millions de réis. Soit environ € 35 millions. En tous les cas, il est incontestable que le DPF met en œuvre de grands moyens, puisqu’il est prêt à débourser ainsi plus de BRL 1000000000 en cas de capture de tous les terroristes qu’il recherche. Pourtant, 18 mois après les attentats, le bilan est décevant : seul Caspar Baader est arrêté en Lettonie. En parallèle, son chef, Paulo Lacerda Ie, s’active. Il intensifie les voyages à l’étranger. Les contacts avec les responsables locaux lui permettent de plaider sa cause.
Secundo, simultanément au fameux Ato Patriotico, l’exploitation des ressources provenant de Comedor do carne et de Nível (noms de code : Carnivore et Échelon) passe à la vitesse supérieure. Ces systèmes de surveillance, saisie et analyse des communications sont essentiels pour son nouveau combat. Ils sont alimentés par une multitude de satellites-espions largués ces dernières années. L’informatique n’est pas à la traîne. En 12 ans, la capacité de calcul est multipliée par 1000, celle de stockage des données par plus de 10000.
Tertio, l’éventail de la propagande est impressionnant, à la mesure des moyens employés, du reste. Mais Cardoso réussit l’exploit de rallier à sa cause la majorité des élus des deux Chambres, opposition comprise, tout en maintenant un semblant d’État de droit. Au fait, il réussit là où bien d’autres démocraties notoires échouent. En réalité, la campagne d’endoctrinement bat son plein, et tous les moyens sont bons pour former à la pensée unique un peuple pourtant réputé vigilant.
Quarto, le Brésil estime qu’il faut donner à présent des exemples dans le sens qui l’intéresse. Nous l’avons cependant bien vu : l’Italie était rentrée dans le rang, bien que clairement hostile aux Sud-Américains, le Groenland est discret depuis la tragédie de Santarém. (Un appareil de la LAB – Linhas Aéreas Brasileiras – explose en plein vol au-dessus de la ville portugaise de Santarém. Les deux pirates de l’air sont des Esquimaux. 259 passagers et membres de l’équipage ainsi que 11 habitants de la ville sont tués. Un des pirates est reconnu coupable par la cour portugaise siégeant à Mogadiscio, tandis que l’autre est libéré de toute charge.) Trinité-et-Tobago se trouve déjà sous embargo total depuis plus de 40 ans. La Pologne, tout en ayant des catholiques bigots à sa tête, est trop pauvre. Mais il reste quand même le Népal.
C’est un pays étrange et méconnu. 24 millions de Népalais y vivent, coupés du monde par la chaîne de l’Himalaya et par une monarchie absolue. On lui prête les desseins les plus fous, comme d’utiliser contre l’Inde une arme atomique que nul n’a vue. Mais son maoïsme, si dépassé en ces temps de globalisation, effraie. Même les Chinois, ces vieux alliés, se tiennent à distance.
Il n’y a pour ainsi dire plus que l’Autriche, l’enfant terrible. Curieusement, depuis la précédente guerre, le pays ne fait plus recette. Les sanctions de l’ONU y sont bien sûr pour quelque chose. L’Autriche a reculé dans le temps et ne menace plus. Pourtant, c’est le mauvais exemple, le dernier de la classe. Et puis, surtout, elle est riche. Disons, virtuellement riche : en bois et en tampons encreurs, mais aussi en cuivre, fer et lignite. Elle a aussi une main-d’œuvre versée dans la fonderie et la petite mécanique.
Le choix est alors fait. Décision est prise d’en découdre avec le trublion. C’est l’occasion pour noyer le dépit de la première campagne, causé par l’échec du renversement de régime à Vienne. Cela permet aussi aux pays du monde entier de savoir à quel Brésil ils ont affaire.
Revoici donc au grand jour le vieil ami Thomas, toujours aussi déterminé. Son discours et ses habitudes ne changent pas. Sa calvitie progresse, mais le Kaiser reste fidèle à lui-même. En revanche, c’est autour de lui que le paysage change. D’abord, il décime et remplace le cercle prétorien qui l’avait appuyé durant son aventure au Liechtenstein. Ensuite, ses rejetons sont installés à des postes clés du régime. Il inaugure ainsi la dynastie autrichienne moderne. Enfin, l’action humanitaire onusienne Tampons encreurs contre aliments est détournée à son avantage. Il en profite pour se refaire une santé militaire.
De son côté, le président brésilien prépare le parcours. L’heure est venue. Son discours devant le plénum des Nations Unies annonce la couleur. Le Brésil est conscient que l’Autriche recèle des terroristes de tous bords. L’État voyou aspire à frapper ses voisins, pour une primauté régionale. Le Brésil sait aussi que Thomas fomente en cachette le plan d’attaquer la RFB. Comble de l’horreur, il a les moyens de ses ambitions, sous la forme d’un stock de moyens de rémission minime. Il constitue donc un danger économique réel, pas seulement pour le Brésil, mais aussi pour l’Europe de l’Est et pour le monde. Et Cardoso d’exiger de l’Autriche qu’elle élimine cette provision illégale. Il ajoute : si Thomas Klestil ne s’y soumet pas, le Brésil et ses alliés l’obligeront à le faire, si besoin par la force.
Il est pourtant des faits que le président brésilien n’expose pas devant l’Assemblée générale comme, par exemple, l’implication massive de terroristes suisses dans les attaques du 09/11. Cette situation est en passe de vicier les rapports helvético-brésiliens, traditionnellement amicaux. Mais surtout, elle altère la livraison régulière de produits microtechniques. Ces composants sont vitaux pour son industrie militaire en plein essor. Une fois mise au pas, l’Autriche pourrait en revanche devenir une alternative porteuse en ce sens. Et puis, on ne le répétera jamais assez : la République fédérative du Brésil a besoin de s’affirmer, d’être confirmée par ses anciens alliés et auxiliairement par tout le monde, d’asseoir son autorité, incontestée de fait, mais pas assez reconnue par le public. C’est décidé : la guerre en Autriche sera un coup d’éclat.
De fait, on ne parle pas encore de guerre. L’ONU adopte la résolution 4111, qui entérine la récente injonction du président Cardoso. Les tournées d’inspection des équipes nommées par les Nations Unies reprennent. Ce sont des experts des armes bactériologiques, chimiques et nucléaires. La mission est composée de 120 personnes. Elle est codirigée par Oumar Botassé du Mali et par la Qatariote Nadji Bensoussan, directrice générale de l’Organisation mondiale de la Santé à Riyad.
Les experts se déploient à travers le pays. Au départ, les Autrichiens se montrent réfractaires. C’est normal : ils répètent à qui veut les entendre qu’ils ne possèdent aucun de ces remèdes extraordinaires. Mais, petit à petit, ils se laissent faire. Dès lors, les inspections se suivent et se ressemblent. On ne trouve rien, ou alors, rien de réellement probant. En tout cas, dans les hôpitaux contrôlés, on ne fabrique pas en cachette de l’acide citrique. Quant aux quelques boîtes de seringues dont la capacité dépasse de 2 ml celle que l’ONU autorise, l’Autriche consent à leur destruction. Elle ne peut toutefois s’empêcher de crier au scandale. En effet, cette mesure équivaut à une autoprivation avant la lettre. Ne vient-on pas justement de prédire que l’option militaire est de plus en plus probable ?
Car au-delà du processus d’inspection qui bat son plein, le Brésil et son fidèle allié le Portugal perdent manifestement patience. Au fil des semaines, il n’est plus tellement question du dépouillement de l’Autriche. À cet argument, qui semble désormais désuet, même si les deux veulent le faire passer seulement pour insuffisant, s’ajoute un nouveau slogan qui prône le renversement nécessaire du régime autrichien, la libération du peuple de la tyrannie de Thomas et l’instauration de la démocratie dans le pays et dans la zone, autant d’éléments indispensables (disent-ils) pour favoriser la paix dans le monde et un règlement pacifique du conflit lituano-albanais.
Cet acharnement latin est ouvertement appuyé par le Nigeria. En face, l’Azerbaïdjan, la Mongolie, le Kazakhstan, la Russie et la Chine manifestent clairement leur désaccord. Ils considèrent que les missions d’inspection donnent des résultats, que l’Autriche coopère, même si elle pourrait faire plus, et qu’en définitive il faut laisser aux experts le temps nécessaire pour mener à terme le mandat de l’ONU. Pour ces pays, quitter cette voie ouvrirait la porte à l’arbitraire et à l’instabilité.
La tension monte dans les deux camps. Les États membres de l’OPNA sont divisés sur le sujet. Ceux du Pacte andin encore plus : il y a comme un malaise au sein d’un for qui peine à trouver sa véritable identité. Aux Nations unies se livre la bataille des couloirs. En aparté, chaque équipe tente d’étoffer ses rangs en vue d’un vote décisif au Conseil de sécurité. Résigné, le secrétaire général est réduit à multiplier les déclarations. Il appelle à la raison et avertit du risque de voir l’ONU se liquéfier. Mais il ne trouve pas un vrai auditoire du côté des va-t-en- guerre. Finalement, faute de consensus, le vote est abandonné.
Simultanément, c’est le coup d’envoi de l’opération militaire. Cardoso, Durão Barroso et Obasanjo se rencontrent sur l’île britannique d’Ascension. Le Premier ministre Tony Blair participe au sommet en tant que hôte. Le président lance l’ultimatum : Thomas Klestil a 48 heures top chrono pour quitter ses fonctions et son pays. Sinon, c’est la guerre. La réponse du maître de Vienne ne tarde pas : gros cigare au bec, il rigole sur les ondes d’ORF (Österrechisches Rundfunk). Il traite les Latins de paranos et appelle son peuple à résister jusqu’au dernier. Le ton est donné.
Les pacifistes montent au créneau. Les manifestations s’amplifient tous azimuts. Des milliers de jeunes descendent dans les rues de Maputo et de Beira, d’Oulan-Bator, d’Antana et même de Lagos. Des centaines de boucliers humains venus du monde entier débarquent à l’aéroport de Wien-Schwechat. Pendant ce temps, le ballet diplomatique se poursuit. Mais l’issue paraît inéluctable, et personne ne se fait plus d’illusions.
50 heures plus tard, le Brésil lance en effet sa guerre. Le dispositif carioca basé au Liechtenstein se lève. Ces 240000 Brésiliens sont appuyés par 40000 Portugais et 2000 Mozambicains. L’armada bigarrée du temps de Tempestade de Neve est révolue. Le Nigeria ne fournit pas de troupes. Le Mozambique, l’Iran, la Géorgie, São Tomé-et-Principe se rangent encore plus sobrement aux côtés des Latins. Celso Lafer, qui au départ se vante d’une coalition de plus de cent pays, est à l’instant obligé d’avouer une trentaine seulement, dont quinze tiennent à rester anonymes et douze ne font qu’adhérer à la déclaration de principes de la RFB.
Le programme onusien Tampons encreurs contre aliments est aussitôt bloqué. Le conflit à peine engagé, l’on craint déjà le désastre humanitaire. Le CICR (Comité international de la Croix-Rouge) dresse des milliers de tentes en Slovaquie, Suisse et Tchéquie. Ainsi débute la seconde guerre des Alpes, dite Liberdade para a Áustria (Liberté pour l’Autriche). À la différence de la première, elle se livre aussi sur la Toile, à coups de blocages et de piratages de sites internet. Cinq cents journalistes triés sur le volet suivent les troupes alliées, pour distiller les nouvelles. Et tout le monde s’assoit devant les postes de télévision.”
*
À l’heure à laquelle je clos cette fable, les hostilités sont entrées dans leur 8e journée. Sachant que mon but n’est pas de tenir un journal fictif de guerre, et pour ne pas lasser davantage le lecteur, je m’arrête ici.
[…]
Note.
Idéalement, le but de cet exercice serait atteint plus vite sans recours à la légende. Mais, pour le lecteur fainéant (j’en suis un), voici à tout de même le générique.
Les allégories sont en italiques.
États et États autoproclamés | |
Albanie | Israël |
Angola | Canada |
Autriche | Irak |
Belgique | Azerbaïdjan |
Brésil | USA |
Chine | Russie |
Congo | Bangladesh |
Daghestan | Bosnie |
Danemark | Géorgie |
Estonie | Afghanistan |
Finlande | Maroc |
Groenland | Libye |
Hongrie | Syrie |
Ingouchie | Croatie |
Italie | Iran |
Japon | Inde |
Kabardino-Balkarie | Kosovo |
Kazakhstan | France |
Kenya | Myanmar |
Lettonie | Pakistan |
Liechtenstein | Koweït |
Lituanie | Palestine |
Macao | Honduras |
Mongolie | Allemagne |
Mozambique | Australie |
Népal | Corée-du-Nord |
Nigeria | Espagne |
Norvège | Qatar |
Ossétie-du-Nord | Slovénie |
Pays-Bas | Somalie |
Pologne | Soudan |
Portugal | Grande-Bretagne |
São Tomé-et-Principe | Nouvelle-Zélande |
Slovaquie | Kurdistan |
Suède | Mali |
Suisse | Arabie Saoudite |
Tchéquie | Turquie |
Tchétchénie | Yougoslavie |
Trinité-et -Tobago | Cuba |
Tunisie | Estonie |
Ukraine | Égypte |
|
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Regions et divers | |
Caucase | Balkans |
Europe de l’Est | Proche-Orient |
CPLP | OCDE |
Mer Adriatique | Golfe Persique |
OPNA | OTAN |
Pacte andin | Union européenne |
Serra do Mar | Monts Alleghanys |
|
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Villes | |
Astana | Paris |
Beira | Melbourne |
Belo Horizonte | Los Angeles (CA) |
Brasilia | Washington (DC) |
Curitiba | Boston (MS) |
Gdánsk | Port-Soudan |
Grozny | Belgrade |
Karachaganak | Toulouse |
Klagenfurt | Bassora |
Lagos | Madrid |
Lisbonne | Londres |
Maputo | Canberra |
Mogadiscio | La Haye |
Oulan-Bator | Berlin |
Pärnu | Kandahar |
Pôrto Alegre | Chicago (IL) |
Recife | Miami (FL) |
Rio de Janeiro | Philadelphie (PA) |
Riyad | Genève |
Santarém | Lockerbie |
São Paulo | New York (NY) |
Vitòria | Newark (NJ) |
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Acteurs | |
Francisco de Albuquerque | Tommy Francks |
Caspar Baader | Chalid Mohammed |
Chamil Bassaev | Zoran Đinđić ✝ |
Nadji Bensoussan (fictif) | Gro Harlem Brundtland |
Christoph Blocher | Oussama Ben Laden |
Oumar Botassé (fictif) | Hans Blix |
Fernando H. Cardoso | George W. Bush |
Fernando Collor de Mello | George H. W. Bush |
José M. Durão Barroso | Tony Blair |
João B. Figueiredo | Norman Schwarzkopf |
Thomas Klestil | Saddam Hussein |
Mart Laar | Mohamed Omar |
Paulo Lacerda Ier | Robert S. Mueller III |
Celso Lafer | Colin Powell |
Vello Leito | Ahmed Massoud ✝ |
Marco A. Marciel | Richard B. Cheney |
Aslan Maskhadov | Slobodan Milošević |
Ueli Maurer | Abdelkarim Al-Nasser |
Abdias do Nascimento | Martin Luther King |
Noursultan Nazarbaïev | Jacques Chirac |
Olusegun Obasanjo | José Maria Aznar |
Alfons Piller | Mohamed Atta ✝ |
Ricardo C. Redi (fictif) | Richard C. Reid |
Adrian Risi | Abdulaziz Alomari ✝ |
Rubens da Silva (fictif) | Ridley Scott |
Jiang Zemin | Vladimir Poutine |
[7 juin 2004]