Bouleversations (1/2)

Catégorie: Essais
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Les deux der­nières décen­nies du XXe siècle ont riva­li­sé en consé­quences conjonc­tu­relles avec les années pos­té­rieures au trai­té de Ver­sailles et à la confé­rence de Pots­dam. En 1919 était tour­née la page du Moyen Âge et enté­ri­né l’avènement du capi­ta­lisme, tan­dis que le colo­nia­lisme tou­chait à son apo­gée. En 1945, le monde tel que nous le vivons encore aujourd’hui venait tout sim­ple­ment d’être redes­si­né, avec tout le côté pro­fon­dé­ment trau­ma­tique – car arti­fi­ciel – que cela comporte.

Alors, comme je le disais, tout a chan­gé ces der­niers vingt ans. Et c’est inté­res­sant que cela n’ait pas eu lieu de la façon qu’avait ima­gi­née la science-fic­tion – les ver­tus pré­mo­ni­toires de l’homme étant déci­dé­ment lamen­tables. Pas de croi­sières inter­ga­lac­tiques régu­lières en ridi­cules com­bi­nai­sons mou­lées de skaï, pas de mai­sons en plas­tique, asep­ti­sées et robo­ti­sées, pas de bis­cuits immondes ou de pâtes infâmes en tubes, pas de four­mi­lières humaines auto­phages dans les méga­lo­poles gore, pseu­do-gothiques, du monde occi­den­tal, pas de retour gro­tesque aux rites bar­bares après un long hiver ato­mique et tou­jours pas de trace d’invasion de cyborgs venus de l’espace.

Non, ou du moins pas encore.

Les vols orbi­taux et habi­tés sont encore rares (bien qu’en passe de se bana­li­ser), à tra­vers le monde on construit encore en brique, à Berne on mange encore une excel­lente soupe à l’oignon, à Munich on boit encore une très bonne bière, à New York on peut encore se don­ner ren­dez-vous devant le Bloomingdale’s sur la 59e rue, le 1e jan­vier on peut encore rêver au Staat­so­pern­ball de Vienne, et pas encore d’extraterrestres par­mi nous !

Tout au plus, nous avons la confir­ma­tion rela­tive des intui­tions d’un Hux­ley et d’un Orwell. Pour­tant, l’énorme chan­ge­ment est là, sous nos yeux, autour de nous, en nous-mêmes.1 À notre insu peut-être, nous en fai­sons partie.

Nous sommes ce changement.

*

Ce qui suit n’a rien d’un inven­taire exhaus­tif et hié­rar­chi­sé ; ce n’est qu’un sur­vol gui­dé par des cri­tères sub­jec­tifs. Dès lors, jugeons plu­tôt à tra­vers ces quelques brèves réflexions sur …

La des­cen­dance

Grand-mère disait  vrai : ‘On ne recon­naît plus nos petits-enfants’.

À l’époque de grand-mère, il n’y avait pas de Play, ni de Game, ni de XBOX, même pas de Walk­man, encore moins de lec­teur MP3. Le VHS n’existait pas encore, le PC non plus. Que dire alors du PDA ou du DVD ? Et cer­tai­ne­ment pas de HDTV, car c’est à peine si on venait de décou­vrir le miracle de la télé­vi­sion. Si, si, c’était il y a 50 ans à peine. Donc, du temps de grand-mère, les petits-enfants étaient en véri­té encore des gamins, puisque le matin ils ava­laient leur lait avec du pain beur­ré tar­ti­né à la confi­ture de fraises ; à la récré, ils cou­raient sous le préau de l’école, ou bien ils tro­quaient leurs col­lec­tions de timbres-poste, l’après-midi, ils jouaient aux gen­darmes et aux voleurs sur les ter­rains vagues du quar­tier, et très rare­ment, same­di, dimanche, ils pre­naient papa-maman par la main et allaient savou­rer Cen­drillon au ciné­ma, l’histoire tout écha­fau­dée dans la tête à force de l’avoir tel­le­ment lue et relue. Et tout ça était bon. C’était aus­si quelque chose que grand-mère connais­sait, elle qui avait scru­pu­leu­se­ment sui­vi ce même rituel dans son enfance, les séances de ciné­ma en moins. Bien sûr, elle n’avait pas expé­ri­men­té le che­wing-gum. Mais à l’occasion, ce n’était pas ça qui l’empêchait de veiller en famille sur les devoirs du bam­bin, sur ses fré­quen­ta­tions et sur son emploi du temps. Plus main­te­nant. D’abord, parce que, relé­guée dans sa chambre d’ems, grand-mère et ses petits-enfants n’entretiennent plus que des rap­ports anni­ver­saires (‘C’est – encore !… – l’anniversaire de grand-mère !’ ‘Devine, grand-mère : nous sommes là, c’est l’”anni” de Kevin !’, etc.). Ensuite, parce que même quand on lui lais­sa le contact fami­lial, elle ne put jamais sai­sir pour­quoi à pré­sent les gosses se gavaient de Rice Kris­pies®, pour­quoi ils tro­quaient des Dra­gon­ballZ ou bien des Poké­mon, pour­quoi leurs résul­tats sco­laires se décli­naient en NA, PA, A, AA et LA, pour­quoi ils ché­ris­saient tant les Tama­got­schi, mais, sur­tout, qu’est-ce qu’ils pou­vaient trou­ver de si atti­rant dans Tomb Rai­der. De toute façon, on lui aurait vite fait com­prendre que son époque était pas­sée, mais ceci l’aurait lais­sée sur sa faim. Car depuis tou­jours son uni­vers a joué natu­rel­le­ment un rôle cru­cial et com­plexe : d’un côté, nous faire savoir d’où l’on vient, et que l’on ne peut agir entiè­re­ment à sa guise ; d’un autre côté, par sa façon d’être, pré­fi­gu­rer notre propre rôle, une fois son âge venu. Et ce rôle, c’est le même que le sien. J’appelle ça la mer­veilleuse chaîne de la passation.

Et je crois que, beau­coup plus qu’autrefois, nous vivons des temps de très grand risque, où cette chaîne pour­rait faci­le­ment se rompre, si elle n’est pas déjà fissurée.

L’économie

De mini­se­cousses en méga­crash, on ne compte plus les cahots boursiers.

La spé­cu­la­tion sur les ins­tru­ments et pro­duits les plus divers (sou­vent nébu­leux et inso­lites, voire car­ré­ment her­mé­tiques pour le péquin) est deve­nue la prin­ci­pale occu­pa­tion d’une élite d’initiés qui font la loi dans un domaine désor­mais exclu­sif. Vis-à-vis, il y a le bour­si­co­teur clas­sique, sou­cieux de pla­cer minu­tieu­se­ment et judi­cieu­se­ment son argent dans une entre­prise choi­sie selon des cri­tères de créa­ti­vi­té, de poten­tiel, de ges­tion rigou­reuse, etc. Il est à pré­sent l’archétype du rin­gard. D’ailleurs, bien­tôt il sera appe­lé à dis­pa­raître, car les temps sont à l’argent facile et aux coups d’éclat. Tel ténor monte à la tri­bune et affirme que le rouble russe est quatre fois sur­éva­lué. Le len­de­main, le rouble perd 75 % de sa valeur face au dol­lar sur le mar­ché des devises. Et le tri­bun d’affirmer qu’il s’était expri­mé en son nom per­son­nel. Ailleurs, on s’emballe sur l’avenir des com­mu­ni­ca­tions et on lui trouve aus­si un nom éso­té­rique : umts. Il per­met­tra, dit-on, de véhi­cu­ler tout ce dont l’homme peut rêver : du son bien sûr, des don­nées, mais sur­tout des images, par­tout et vite. Alors, on s’arrache les dif­fé­rentes conces­sions natio­nales d’utilisation de ces réseaux. Et l’on dépense pour cela des mon­tants “mam­mouth“. Rien que pour être cer­tain de se voir octroyer ces droits d’exploitation, sans comp­ter les coûts impo­sés par la mise en œuvre des tech­no­lo­gies de trans­mis­sion. Et sou­dain, tout s’arrête. Et plus per­sonne ne souffle mot de tout cela. Parce que, disait-on, ce n’était pas prou­vé que ces réseaux étaient sans dan­ger pour la san­té des gens. Mais, dans l’intervalle, les taxes colos­sales fixées pour l’attribution des parts de mar­ché auront déjà été englou­ties par les bud­gets cou­rants des admi­nis­tra­tions publiques concer­nées. Tan­dis que les adju­di­ca­taires qui n’ont pas eu les reins assez solides auront fait faillite suite à l’effort finan­cier trop faci­le­ment consen­ti. Et puis, dans d’autres pad­docks, l’on s’échauffe sur le poten­tiel des dot­com. Les ana­lystes ne jurent que par leur fabu­leuse réserve de crois­sance uni­que­ment parce que l’on veut croire qu’Internet, à peine mis en place, est déjà la pana­cée, un peu comme les grands canaux mari­times ou l’électricité à la fin du XIXe siècle. Alors les inves­tis­se­ments dans le sec­teur ne connaissent plus de limites, de sorte que la capi­ta­li­sa­tion bour­sière de cer­tains de ses acteurs – signe de la confiance du mar­ché – n’a plus rien en com­mun avec les cri­tères sen­sés du bour­si­co­teur clas­sique (chiffre d’affaires, béné­fice, cash-flow). Et là aus­si, du jour au len­de­main, tout s’écroule, tel un châ­teau de cartes, sim­ple­ment parce qu’à force d’investir dans du rêve, les ana­chro­nismes, les inadé­qua­tions, les anta­go­nismes, les dépha­sages qui sont inhé­rents à la pré­co­ci­té du domaine arrivent ipso fac­to à un point d’autorévélation où il n’est plus pos­sible de les élu­der. D’aucuns appellent ça l’effet auto­ré­gu­la­teur des méca­nismes du mar­ché. Je n’y sous­cris pas. Au contraire, je pense que ce sont là des signes évi­dents de la débi­li­té du rai­son­ne­ment qui a cours de nos jours, et que ce mince rai­son­ne­ment est un des élé­ments, et pas des moindres, de la muta­tion psy­cho­lo­gique de ces vingt der­nières années.

Je pense enfin que jamais autant que ces temps-ci, la tech­nique, la com­mo­di­té, les loi­sirs, l’hypothèse de Dieu n’ont pous­sé les hommes aus­si loin vers la futilité.

Le cli­mat

« Mais où sont les neiges d’antan ? »

(Fran­çois Vil­lon, 1431 – 1463, ‹ Bal­lade des dames du temps jadis ›, 1460)

Jamais aupa­ra­vant cette excla­ma­tion n’avait atteint une per­ti­nence aus­si lit­té­rale ! Pour­tant, alors que je n’ai pas spé­cia­le­ment la fibre éco­lo­giste, que je trie modé­ré­ment mes ordures et que je ne chasse pas les pro­duits bio dans les super­mar­chés (d’autant plus qu’ils sont plus chers que les ali­ments conta­mi­nés), je ne puis res­ter indif­fé­rent aux désordres cli­ma­tiques évi­dents et majeurs de ces der­nières années. Je ne sais pas s’ils pro­viennent vrai­ment de la quan­ti­té consi­dé­rable de bon­bonnes de spray uti­li­sées tous azi­muts pour dif­fu­ser de la colle, du par­fum, de la pein­ture, des médi­ca­ments ou de la crème fouet­tée. Comme je ne sais pas non plus si blan­chir le papier sans recou­rir au chlore peut vrai­ment résoudre ce pro­blème. J’ai peut-être tort, mais les Zodiac de Green­peace qui har­cèlent (sou­vent naï­ve­ment, me dis-je) tel ou tel tho­nier, pétro­lier ou bateau-pou­belle trans­por­tant des déchets nucléaires, au lieu d’illustrer l’acharnement de ces jeunes mili­tants bar­bus et trem­pés jusqu’aux os qui tiennent la barre, me font plu­tôt pen­ser aux mouches que les vaches chassent pla­ci­de­ment d’un mou­ve­ment de queue. N’empêche : il y a muta­tion dans ce domaine. On dit que l’année où je suis né, les gens ne pou­vaient plus sor­tir de leurs mai­sons, tel­le­ment il avait nei­gé cet hiver-là. Et c’est vrai : depuis fin novembre et jusqu’à fin février, les hivers étaient des hivers, c’est-à-dire qu’il fai­sait froid et qu’il y avait de la neige. Et l’on sait que la neige est bonne pour l’agriculture. Les étés étaient aus­si des étés, car en juillet et août on fon­dait, et chaque fois qu’il pleu­vait l’après-midi on s’attendait au déluge biblique. Et puis, au prin­temps (avril, mai), il fai­sait doux. Par­fois il fai­sait doux aus­si en automne, sur­tout en sep­tembre, mais le plus sou­vent il pleu­vait dru des jours durant, et c’est là que – logi­que­ment – arri­vait la grippe. Avec ce méca­nisme, tout le monde était habi­tué ; c’était le rituel immuable du cli­mat qui fai­sait par­tie de l’ordre des choses. Aujourd’hui la grippe tombe n’importe quand. Elle tombe à mi-jan­vier, lorsque la tem­pé­ra­ture chute de 20°C après des semaines de dou­ceur prin­ta­nière. Elle tombe début avril, lors des grandes chutes de neige qui gèlent les bour­geons et tuent les cultures. Elle tombe en juin, quand le corps humain cède à la folle alter­nance de longues périodes de pluie bat­tante et de brèves éclair­cies poin­tant à 30°C. Elle tombe en août, quand, le matin, on part au tra­vail en san­dales, blouse et short, et qu’à midi on s’énerve parce qu’on a encoooore oublié de prendre avec soi les bottes, les jeans, un pull et la dou­doune. Enfin, elle tombe en octobre, lorsque les bai­gneurs nos­tal­giques (pour ne pas citer ces auto­mo­bi­listes naïfs qui roulent tou­jours avec leurs pneus d’été) sont les plus expo­sés aux bour­rasques gla­ciales qui peuvent se lever à tout ins­tant et les clouer au lit. Une seule cer­ti­tude : le temps a vrai­ment per­du la tête !

Je me demande alors de quoi auraient bien pu avoir l’air les si fameuses sai­sons que Fran­çois Vil­lon déplo­rait six siècles en arrière ?!…

L’éthique

L’humiliation du pauvre d’être pauvre n’a aujourd’hui plus la cote. Ce qui inté­resse à pré­sent, c’est le malaise du riche d’être riche.

Je dis qu’il ne s’agit pas ici de for­mu­ler des juge­ments de valeur. Je ne dis pas qu’il est bon ou mau­vais d’être pauvre, ni d’être riche, encore moins qu’il convient de s’en féli­ci­ter ou, au contraire, de se repen­tir. Le sujet est ailleurs : dans l’hypocrisie qui nour­rit et guide l’attitude du fort envers le faible. Mais la réci­proque est éga­le­ment valable. Car dans ce monde où le fos­sé entre les uns et les autres (indi­vi­dus, entre­prises ou nations) est deve­nu abys­sal, les temps sont aujourd’hui au jeu de l’éthique sereine, dont les règles simples se résument ain­si : « Tu n’as qu’à me dire com­bien tu souffres, et hop ! moi je te sou­lage illi­co, et voi­là ! comme ça, non seule­ment je sou­lage aus­si ma conscience et mes impôts en espé­rant gagner du coup une place au para­dis des puis­sants, mais sur­tout je dis­pose désor­mais de ta gra­ti­tude, qui te crée­ra vite des obli­ga­tions à long terme envers moi, et ces obli­ga­tions m’autoriseront à te dic­ter mes condi­tions selon les­quelles je conti­nue­rai à exploi­ter à mon avan­tage ta dépen­dance envers moi ». Entre œuvres de cha­ri­té, ins­ti­tu­tions de bien­fai­sance, forums d’entraide, orga­ni­sa­tions non gou­ver­ne­men­tales, assis­tances éco­no­mique et logis­tique, coopé­ra­tions tiers-mon­distes, années de la mala­ria, de la défo­res­ta­tion, de la faim, orga­nismes d’entraide, actions de soli­da­ri­té, asso­cia­tions Nord-Sud, cam­pagnes de récolte de dons, délo­ca­li­sa­tions, aides huma­ni­taires, l’éventail sophis­ti­qué des modes d’intrusion dans l’espace de sou­ve­rai­ne­té des nations (et for­cé­ment des indi­vi­dus) a pris des formes et des dimen­sions incon­nues jusqu’à pré­sent. Il est clair que, vue par le nan­ti, l’agression reste théo­rique tant qu’on ne la subit pas ; pure logique, puisque c’est le monde indus­triel qui la pro­duit. Vis-à-vis en revanche, l’on subit, faute de mieux, même si pour les diri­geants des États ou des orga­nismes rece­veurs, par­fois c’est le moment et le moyen idéals pour gon­fler expo­nen­tiel­le­ment leurs for­tunes per­son­nelles. Le résul­tat est qu’en moins de 30 ans, la dette (donc la subor­di­na­tion) des pays en voie de déve­lop­pe­ment – bel euphé­misme ! – a aug­men­té de 3500 %. Mais au fond, ne l’a-t-on pas si bien dit depuis tou­jours ‘Recu­ler pour mieux sauter’ ?

Et à vrai dire, Jean de La Fon­taine dans ‹ Le loup et l’agneau › et Nico­las de Per­game dans ‹ Le renard et le cha­pon › ne dénon­çaient-ils pas la même chose ?

Les mino­ri­tés

La bonne vieille bou­tade ‘Plu­tôt jeune, riche et bien por­tant, que vieux, pauvre et mal fou­tu’ est périmée.

C’est l’époque du ‘Plu­tôt céli­ba­taire, les­bienne et noire, que chef de famille, hété­ro­sexuel et blanc’. L’âge, la for­tune et la san­té ne consti­tuent plus des repères : le pre­mier est rela­tif, la deuxième variable, la troi­sième aléa­toire. On leur pré­fère le sexe, l’état civil, la sexua­li­té, la race. En se rap­pe­lant la fin des années soixante, force est de res­ter aba­sour­di devant tout ce que les mino­ri­tés ont acquis depuis. Je suis atta­ché à mes racines, aux valeurs de la culture (est-)européenne et je crois en la Sainte Tri­ni­té, mais je ne suis ni raciste, ni puri­tain. Pour­tant, ma per­plexi­té s’étend aus­si à l’usage de ces acquis. Mon ami, si tu es un homme marié, n’essaie pas de concur­ren­cer une femme céli­ba­taire pour un poste dans l’enseignement ou dans l’administration en géné­ral : tu per­drais ton temps. Puisses-tu être fort en thème, sur­tout ne te vexe pas : au mieux, par quelque fuite habi­le­ment orches­trée, on te fera savoir que ce n’est pas la peine ; au pire, tu n’en sau­ras rien. Si, par contre, tu cherches à enga­ger quelqu’un, fais très atten­tion avant de refu­ser qui que ce soit : il se pour­rait que, par mal­heur, tu ren­voies un can­di­dat qui, certes, n’avait pas plus de qua­li­fi­ca­tions qu’il n’avait d’expérience, mais voi­là, il s’est trou­vé qu’il était gay. Et alors, gare aux asso­cia­tions !2 Enfin, si par hasard tu n’étais pas tou­ché par ces pro­blèmes, un beau jour tu vou­dras cer­tai­ne­ment faire avan­cer ta car­rière et ten­ter une pro­mo­tion. Là, tu auras toutes les chances de te cas­ser la figure devant la nou­velle et sym­pa­thique égé­rie afri­caine du chef de dépar­te­ment. Un conseil : réprime ta colère, sinon tu ris­que­ras beau­coup d’être trai­té de sale raciste. Et ton ave­nir pour­rait en dépendre. Tout cela pour dire, d’une façon plus géné­rale, que je n’ai pas encore enten­du par­ler des devoirs de ces mino­ri­tés, en marge de leurs droits. Quels devoirs ? Voyons, ne serait-ce que celui de réflexion : sur ce que les jeunes pour­raient tirer du four­mille­ment de chairs mauves-jaunes-vertes dont ils sont les spec­ta­teurs invo­lon­taires à l’occasion de chaque défi­lé homo­sexuel ; réflexion sur la véné­rable place soi-disant tra­di­tion­nelle de la femme et sur l’immense valeur du vrai rôle de la famille, tout comme sur les résul­tats qui en découlent ; réflexion sur un cer­tain type, si lar­ge­ment répan­du, d’existence opu­lente et abou­lique, où le vide du vécu sombre rapi­de­ment au chant des sirènes d’une échap­pée exo­tique éphé­mère. Ce serait déjà ça, non ? Eh bien non, visi­ble­ment, ce n’est pas ça !

Alors fran­che­ment, cette cause des mino­ri­tés, quel gâchis incalculable !…

Le tra­vail

« Le tra­vail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin. »

(Vol­taire, 1694 – 1778, ‹ Can­dide ou l’optimisme › Cra­mer, 1759, […]

[9 jan­vier 2004]

  1. D’où le titre de cet essai, que j’ai vou­lu le plus évo­ca­teur pos­sible, comme pour sou­li­gner l’importance de ces muta­tions. Alors, en dépit d’une cer­taine redon­dance des termes, j’ai opté pour bou­le­ver­se­ments + révo­lu­tions = bouleversations.
  2. Europe de l’Est post­com­mu­niste : longue file d’attente dans un Ser­vice d’émigration. Des gens de tous les âges, mais sur­tout des jeunes. Un couple âgé, mais alors très, très âgé, fait aus­si la queue. Intri­gué, un jeune voi­sin ose : ‘Madame, s’il vous plaît, vous aus­si vous êtes là pour l’émigration ?’ ‘Bien sûr !’, s’exclame fer­me­ment la petite vieille. ‘Mais, excu­sez-moi, vous vou­lez émi­grer à votre âge ?!’ ‘Abso­lu­ment’, s’indigne le vieillard. ‘Puis-je vous deman­der pour­quoi ?’ ‘Écou­tez jeune-homme, c’est très simple. C’est à cause des homo­sexuels. Au temps des nazis, on les tuait. Au temps des com­mu­nistes, on les bou­clait. Aujourd’hui, on les encou­rage et on les pousse en avant. Alors, le pro­blème est que si ça conti­nue comme ça, nous avons très peur que ça ne devienne fran­che­ment obligatoire !’
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