
« N’importe quelle fille peut séduire.
Tout ce qu’elle doit faire,
c’est de se tenir tranquille
et d’avoir l’air idiot.»
(Hedy Lamarr, actrice et inventrice autrichienne,1913-2000)
Forum de discussions en marge du Congrès mondial de la femme. Les déléguées sont censées échanger librement leurs expériences. C’est aussi le moment idéal pour mieux se connaître, en toute décontraction, autour d’un café.
La déléguée française : « Hé, les filles, pour moi, ce fut très simple. Un matin j’ai dit à mon Charlot : “Charlie, à partir d’aujourd’hui, finis le repassage, les courses, la vaisselle. Tu t’en occupes, ou je me casse“. »
Les filles : « Whouaou ! Coool. Et puis ? »
La déléguée française : « Et puis ? Ha-ha ! Au départ, il a râlé. Et comment qu’il a râlé ! Ensuite, le premier jour, j’ai rien vu. Le deuxième jour, j’ai rien vu non plus. Et le troisième jour, voilà que je le vois déjà acheter lui-même ses clopes, repasser les chemises et laver les assiettes. »
Les filles : « Ooooh ! Ç’arraaache !»
La déléguée américaine : « Chez moi, ça a été encore mieux. Du coup, j’ai dit à Joe : “J’en ai marre d’être ta bonne ; tu te crois au Moyen Âge ? Tu choisis : tu me remplaces au ménage ou tu crèves“. »
Les filles : « Ts-ts-ts-ts ! Abuuuse ! Et p’is ? »
La déléguée américaine : « Et p’is ? Vous croyez quoi ? Il a tiqué. Ha ! Et p’is, après, le premier jour, rien vu. Deuxième jour, encore rien vu. Et le troisième jour, quand je me réveille, devinez qui je vois, qui avait emmené le môme à la crèche et avait préparé le p’tit-dej’ ?… »
Les filles : « Déchiiire, géniaaal ! »
La déléguée roumaine : « Eh ben, moi, les filles, ça a été plus compliqué. Parce que j’ai tourné en rond pendant des mois, et tourné, et tourné, et un jour, enfin, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai osé. J’ai dit à mon mari : “Tu sais, j’aimerais, si possible, que t’essayes aussi de m’aider un peu à la maison, au ménage, avec les enfants, tout ça quoi. Je te dis ça juste comme ça. Je sais, je sais, c’est difficile, mais tu comprends, j’ai vraiment de la peine toute seule, sans parler du travail de nuit à l’usine.“ »
Les filles : « Aaaaa, pire bien ! Bra-vo ! Quand même… Et puis ? »
La déléguée roumaine : « Et puis rien. À vrai dire… non, pas tout à fait. Bien sûr qu’il a poussé une monstre gueulée. Ensuite, le premier jour, je n’ai absolument rien vu, mais alors vraiment rien. Le deuxième jour non plus. C’est seulement le troisième jour qu’enfin j’ai commencé à voir un tout petit peu de l’œil gauche. »
*
Tel le désormais historique premier pas d’Armstrong sur la Lune, d’une génération à l’autre la cause féministe a fait un bond de géant. Mais de côté, pas en avant.
Quoi que l’on veuille ou fasse, et même si la femme s’est toujours imposée furtivement dans la vie de famille, à la maison et jusque dans la vie professionnelle du mari, l’âge que nous vivons, que notre ascendance a vécu et que notre descendance vivra est celui d’une certaine forme de patriarcat. Modernisé certes, mais patriarcat quand même. Un système qui, depuis l’expulsion du Paradis, a confirmé la femme dans la position centrale mais repliée de foyer de vie et l’homme dans le rôle expansif de vigile et de pourvoyeur de ce foyer. (Ce jour-là, « Dieu dit à la femme : ‘(…) C’est dans la douleur que tu mettras au monde tes enfants. Tes désirs se porteront vers ton mari, et il dominera sur toi’. Il dit ensuite à Adam : ‘(…) La terre sera maudite à cause de toi. Tu en tireras ta nourriture avec peine tous les jours de ta vie (…). Tu mangeras ton pain à la sueur de ton visage (…)’ », Gen. 3;16-19.)
Pourtant, vu aussi hors de l’angle biblique, cet état-là reste simple et clair, procédant même de certaines facultés intrinsèques à chacun des sexes. Les unes après les autres, les civilisations des mondes occidental et oriental (qui intéressent ici) se sont organisées ainsi. Aujourd’hui, tant de siècles plus tard, tous les mécanismes de la société, jusqu’aux plus petits engrenages, fonctionnent ainsi. Et ce n’est pas rien, puisque ce système peut avoir, comme tout système, des bons et des mauvais côtés. Pour me faire une idée sur leur pertinence, je serais en revanche content de connaître la source de ces qualificatifs (bon et mauvais).
Cela étant, quel sens donner à l’acharnement soudain qui alimente les militantes du mouvement féministe ? La raison ne peut plus être la conquête d’une condition nouvelle (pour certaines) ou longtemps ignorée (pour d’autres), dès lors que l’essentiel est déjà acquis : l’accès au savoir, la qualité de la vie, l’accès aux soins, le droit d’expression et de vote, entre autres. Il est en revanche parfaitement compréhensible que ce mouvement de revendication puisse avoir été alimenté par des facteurs contraires autant aux valeurs ancestrales qu’au sens commun et qui, à force, ont depuis longtemps fini par casser ce magnifique équilibre des genres. Ceci pour caractériser en d’autres termes un trop longue et abusif joug appliqué par le mâle (ou plutôt l’”animâle”), avec souvent des pointes d’ignominie frisant l’inconcevable.
À partir de là, selon le principe ‘l’action entraîne la réaction’, cela ne peut être qu’un forcing absurde et malsain, n’ambitionnant que de gripper cette mécanique machiste absurde, quitte à sombrer dans le ridicule. C’est la nouvelle morale en vertu de laquelle la femme se veut désormais marin, pilote, policier, pompier, soldat, officie comme prêtre, dirige des multinationales, fonctionne au sommet du pouvoir, souvent selon des procédures hors concours, où les postes à repourvoir – fussent-ils aussi importants – sont réservés au “sexe faible“ en dehors des critères habituels de sélection tels que la compétence, la disponibilité, l’expérience, etc. (On comprend alors certaines voix qui s’élèvent au sein même du mouvement féministe pour réclamer des mesures équitables, afin d’éviter – à juste titre, dirions-nous – que tous les acquis ne soient discrédités.)
Et tout cela pourquoi ? Parce que, nous dit-on, il n’y a aucune raison pour que la femme ne soit pas égale à l’homme. Mais quelle tristesse ! Comme si l’identité des sexes constituait à elle seule le passeport imposé et unique pour l’égalité, traduite exclusivement en termes de réciprocité. Comme si c’était ainsi qu’il fallait comprendre et appliquer une harmonie qui, de toute façon, fait partie de l’ordre des choses et qui se situe au-dessus de cette nouvelle morale. Car agissant de cette manière, sa première victime est l’un des plus précieux dons de l’être : la différence.
Par conséquent, tout pourrait être imaginé sur l’échelle du désordre, jusqu’à son expression ultime : l’éclatement de la famille. Mais que dis-je ?! Imaginer ? Il est déjà bien en route, pardi ! Et puis, en application du principe de la réciprocité, on pourrait aussi – n’est-ce pas ? – rêver d’un monde où les “sages-hommes” (pour son absurdité, je préfère cette formule saugrenue au ridicule du terme consacré qui est “homme sage-femme”) seraient a priori préférés aux sages-femmes, où les ambulanciers se substitueraient implacablement aux infirmières, où les nourrices seraient systématiquement remplacées par des “nourreurs” dopés à l’œstrogène, où les hommes au foyer détrôneraient le clan ringard des femmes au foyer, tandis que les Misters Univers seraient favorisés par rapport aux Miss Univers dans la course à la plus belle créature sur la terre. À ces occasions-là, la “femme-féministe” profiterait aussi de rendre ridicule cette appellation même, qui normalement devrait être remplacée par celle de “femme-masculiniste”, logiquement opposée à celle d’”homme-féministe”. Que comprendre dès lors ?
Et si un beau jour, pour forcer une réponse (sur le même diapason) au refrain de la femme-objet, la publicité, les cabarets et la cyberpornographie basculaient dans le registre masculin et que l’univers était envahi par les attributs phalliques de l’homme-objet, est-ce que cela changerait quelque chose à son avidité sexuelle naturelle ? Évidemment, “De gustibus coloribusque non disputandum”, mais combien de femmes seraient toujours séduites par des mâles œstrogénéisés, suaves et gracieux, et combien d’hommes seraient attirés par des femelles testostéronéisées, brutes de décoffrage ? Et si un autre jour, pour soi-disant s’affranchir une fois pour toutes de leur inféodation millénaire par rapport à l’homme, les femmes imposaient la féminisation à tout va des titres et des appellations, est-ce que cela ferait vraiment leur bonheur ? Ou bien ne réussiraient-elles qu’à se couvrir par elles-mêmes d’un surplus de ridicule qu’elles ne mériteraient en aucun cas ?
Et les enfants, les enfants deviendraient quoi dans tout ça ?!
Eh bien, des réponses on en trouve : âgés d’à peine dix ans, certains violent leur frangine, certains tuent leurs parents, certains se suicident.
[22 novembre 2003]