…l’actrice de cinéma. Et l’acteur de cinéma. Ou inversement.
«Bonsoir!
Mesdames, messieurs, chers invités, bonsoir à tous et merci de votre intérêt pour ce symposium que j’ai le plaisir d’animer et qui fait partie des “Journées de la Mémoire” organisées ici par le ICSIH1 Comme vous avez pu le découvrir sur le programme affiché, dans le cadre de la section consacrée à l’historique de la cinématographie, le thème de ce jour est “Il était une fois… l’actrice et l’acteur de cinéma”.
Permettez-moi de commencer par une petite anecdote qui en dit long sur ce sujet.
Une des singularités de ma famille est qu’autant du côté de ma mère que de mon père, mes ancêtres étaient encore assez jeunes lorsqu’ils se sont mariés. En ce temps-là, le mariage était la règle. De surcroît, ils vécurent longtemps: sur huit arrière-arrière grands parents, j’ai eu le privilège d’en connaître trois, dont notamment la grand-mère maternelle de mon père qui n’a juste pas atteint le siècle alors que j’approchais mes vingt ans.
Arrivé maintenant pas si loin de son âge de l’époque, je me rappelle que Mémé, qui était une adorable personne passionnée de cinématographie, me racontait parfois certaines scènes – pour moi étranges – où, au tomber du rideau d’une projection, des femmes et des hommes qui tenaient des rôles dans le film s’avançaient sur scène pour s’incliner à n’en plus finir devant un public qui applaudissait à tire-larigot. Evidemment, cela se passait à l’aube de ce que l’on appelait le septième art, à la fin du XIXe siècle donc. Je me souviens aussi que ces récits ardents trouvaient dans le jeune homme que j’étais un écho assez relatif car en effet, comment pouvais-je imaginer cela ?! Mais mon affection pour Mémé collée à la politesse triomphaient sans faute, de sorte qu’elle terminait toujours ses récits toute soulagée d’avoir pu me faire vivre un instant la fascination de sa jeunesse.
Avec cette anecdote-là nous voici à l’aube d’une époque très lointaine où l’image qui bouge tâchait péniblement de se frayer le chemin dans un paysage culturel qui depuis l’antiquité avait été dominé dans ce secteur par le théâtre, sous toutes ses formes. Pendant ce temps, les hommes déambulaient déjà sur deux ou quatre roues plus vite qu’une calèche à cheval et un char à bœufs; de plus en plus de téméraires se lançaient dans le vide avec des appareils en bois à ailes fixes, plus lourds que l’air, qu’ils venaient de nommer “avions” en souvenir du latin avis (oiseau); les gens se mettaient a parler entre eux à distance; l’éclairage des places et des rues passait du gaz à l’ampoule électrique, etc. Dans tous ces domaines, et bien d’autres encore, c’était le temps des héros.
Revenons à présent à l’image en mouvement. Lorsque l’on parle de héros, l’essor de la plus formidable pépinière du genre prit très rapidement dans les salles obscures éclairées par des lanternes magiques, remplacées par des kinétoscopes puis par des caméras de projection. Quant aux courbettes en fin de séance, elles furent vite rendues caduques par la multiplication exponentielle de ces salles. Déjà à la fin de la Première Guerre mondiale, une élite d’idoles s’était ainsi formée aux Etats-Unis, près de Los Angeles.
Le reste ne fut qu’une conséquence logique de la fascination – si ce n’est de la magie, justement – que le film, ce dernier venu dans l’univers imaginaire de l’homme, exerça depuis son invention. Et alors que les premières créations étaient – logiquement d’ailleurs – encore tributaire du théâtre, avec des costumes, décors et une mise en scène qui sentaient le carton et la poussière, à peine cinq décennies plus tard l’on déroulait des milliers de chars, figurants, doublures et cascadeurs dans des épopées cinématographiques démesurées et désormais oubliées. C’était le triomphe du réel et de la quantité plein les yeux et à grande échelle sur des toiles blanches, les plus larges possibles. Par conséquent, les coûts de production suivirent cette direction.
C’est là, et c’est en partie pour cela, qu’entra en lice la technologie, et avec elle les premiers “effets spéciaux”, comme on les appela au début. L’intérêt y était double. D’une part, à travers des procédés optiques et autres machinations, on obtenait des résultats que – physiquement – l’on ne pouvait demander aux acteurs. D’autre part, on pouvait ainsi contenir le budget. Ce fut donc le début de la révolution technique qui s’installa durablement à partir des années 1960-1970 pour arriver à la maturité vingt ans plus tard avec l’intervention de l’ordinateur.
Il est probable que dans l’ensemble, les années 1980-1990 ont marqué le sommet du “cycle de vie” du cinématographe tel qu’il fut conçu au tout début par ses éclaireurs. C’est au long de cette période-là que les actrices et les acteurs on atteint des statuts de “stars”. En réalité, ces stars étaient de vraies déités vivantes, touchant plus de vingt millions de dollars pour chaque film, aussi médiocre fut-il. Le prix d’un avion moyen-porteur de l’époque. De ses débuts timides, l’arsenal technique s’étoffa avec le IMAX, la 3D (D pour dimension) et la holographie. C’est aussi durant cette période-là que, encore logiquement, l’on a commencé à compter des budgets à trois chiffres, 100, 200… Toujours en dollars. Cette spirale vertigineuse ne pouvait continuer. Au fait, une mort rapide la guettait, et certains d’entre vous se rappellent encore le nom du bourreau: c’est la piraterie informatique.
A présent voyons ceci de plus près. Cent ans après les premiers films où des acteurs grimés déclamaient leurs tirades dans un univers noir et blanc de décors carton-pâte, le cinéma recevait en pleine figure la déferlante Internet, qui – ne l’oublions pas – était encore en son enfance. Enfant terrible cependant, car les effets du réseau des réseau commencèrent à se faire vite sentir. Et terribles ils furent, car les cachets des demi-dieux fondirent comme neige au soleil. D’une part. Mais d’autre part, depuis une petite vingtaine d’année, l’informatique avait fait son chemin, aussi bien dans les appareils que dans les logiciels, de telle sorte qu’au tout début du millénaire le monde put s’extasier près de dix heures devant une trilogie pseudo-médiévale mettant en scène des forêts mouvantes, des milliers de chevaux, de créatures de toutes sortes et de guerriers. Sauf que rien de tout ceci n’était réel. Les recettes de ce trio dont le coût n’avait pas atteint les 300 millions avaient en revanche dépassé dix fois le budget consenti.
Ce fut là une tournante. Dans une logique similaire à celle qui avait eu cours plus de trente années en arrière, l’industrie du film comprit que la riposte à la piraterie et, quelque part, sa propre survie, passaient nécessairement par l’ordinateur, les logiciels et les techniques de communication. Grâce à ces outils nouveaux, le consommateur d’images allait pouvoir découvrir, affalé dans son lit, pop-corn et bière à portée du bras, des faits et de choses non seulement absurdes physiquement, mais carrément impensables.
Le spectacle fictif que nous consommons à grandes doses déjà depuis un certain temps a vu le jour ces années-là. D’abord avec une actrice virtuelle qui reçut en 2002 un rôle principal dans “S1møne”, ensuite en créant un casting d’acteurs et actrices 100% factices pour “Beowulf” en 2007 partant d’une pléiade de déités du cinéma, puis deux ans plus tard, avec “Avatar”, en réalisant des créatures imaginaires dans un monde tout aussi irréel. Il ne faut pas oublier le royaume animal fabuleux de la franchise “Jurassic”, celui fantastique des productions mettant en scène les super-héros, etc. Côté recettes, entre temps l’industrie avait enfin trouvé les moyens de fortune lui permettant de s’en sortir, du moins provisoirement: la réalité augmentée et le “streaming”.
Cependant, nombre d’entre vous savent à présent que le vrai changement de paradigme a eu lieu bien plus près de nos jours, avec l’abandon progressif, puis total, des rôles attribués aux humains. Comme tant de métiers balayés au cours de l’histoire par cette chose relative que l’on appelle “progrès”, petit à petit l’actrice et l’acteur de jadis – qualifiés désormais de réerôleur et réerôleuse – se réfugia dans des domaines parfois très éloignés de leur profession de base. Il y eut qui choisirent le sport, certains la communication, d’autres l’immobilier ou encore, pour les plus chanceux, la production. En effet et en gros, sur l’ensemble des métiers du cinéma, ce sont bien les producteurs qui semblent sauver encore la face du 7ème art d’origine, car si pour l’instant les metteurs en scène comme les scénaristes gardent encore leurs emplois, des exemples existent déjà où l’intelligence artificielle dirige les films et réalise les scripts à force d’immersion sensorielle totale, comme dans le récent “Droocky revient” que vous êtes certainement nombreux à avoir applaudi.
Ainsi va la vie, réelle et virtuelle. Evidemment, bien d’entre vous regrettant l’évaporation de ce métier, avec tout son côté naturel mais – il est vrai, aléatoire – s’en sont déjà résigné depuis un long moment. Certains s’en sont à peine aperçu. D’autres, en revanche, saluent le surplus considérable de gestes, expressions, mouvements et attitudes amenés par le tout virtuel. Comment imaginer autrement que “Le Journal d’Anne Frank”, ce poignant témoignage signé par le grand George Stevens près de huit décennies en arrière, ait pu revivre dernièrement dans le bouleversant et triomphal remake “Le récit d’un fœtus” ?
Ici prend fin cette incursion rapide dans l’histoire du cinéma, vue à travers ses héros et héroïnes d’autrefois. Pourtant je ne la terminerai pas sans vous adresser une invitation. Celles et ceux qui sont intéressé(e)s à se procurer comme souvenir de cette conférence une liste que j’ai dressée en ce sens, la trouveront à l’entrée de l’aula. Cette liste est bien sûr totalement subjective quand à la valeur artistique, mais aussi totalement objective – même que certainement incomplète – quand au statut mythique des noms qui en font partie et auxquels elle rend hommage.
Merci beaucoup de votre aimable attention et bonne rentrée!
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Ah, et quant à moi, j’ai prévu de revoir l’inoubliable Charlton Heston dans l’inégalable “Ben-Hur” réalisé en 1959 par l’unique William Wyler.»
[5 février 2020]