L'arthrose de la poly tique (1/2)

Catégorie: Essais
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« Le mot poli­tique vient du mot poly, c’est-à-dire nom­breux, et du mot tique, c’est-à-dire para­site suceur de sang. »

(attri­bué à un cer­tain Lar­ry Hardiman, ? – ?)

« On dit que la poli­tique est la deuxième plus vieille pro­fes­sion. J’ai pu consta­ter qu’elle res­semble beau­coup à la première… »

(Ronald Rea­gan, 1911 – 2004)

La face éco­no­mique du monde occi­den­tal1 a tota­le­ment chan­gé par rap­port à celle du début de l’ère indus­trielle. La face sociale, un peu. La face poli­tique, pas du tout. Je trouve que ce vif para­doxe mérite attention.

Les racines de ces trois piliers de la socié­té post­mo­derne remontent au XVIIe siècle, dans la Grande-Bre­tagne pré­in­dus­trielle. À par­tir de la moi­tié du XIXe siècle, la nature indis­so­ciable – car inter­dé­pen­dante – de ces com­po­sants se géné­ra­lise. Ain­si, d’une part, de nou­veaux moyens de pro­duc­tion rem­placent l’économie féo­dale. D’autre part, cette révo­lu­tion offre l’occasion à des pion­niers de don­ner vie et conscience à la ques­tion sociale.2 Enfin, l’autorité des monar­chies abso­lues s’estompe à mesure que le mul­ti­par­tisme se cristallise.

C’est le temps de la créa­tion des pre­miers (grands) groupes indus­triels, syn­di­cats et par­tis poli­tiques. Pour­tant, mal­gré leur coexis­tence, le par­cours com­mun de ces trois com­po­sants cor­ré­lés fut bref. L’économique reflé­ta chaque étape spé­ci­fique des 150 der­nières années. Moins souple, le social essaya de s’y adap­ter bon gré mal gré, sur le tard. Le poli­tique se pétri­fia dès le départ.

Sur l’ensemble de l’ère dite moderne, la rou­tine de l’étude his­to­rique observe les caté­go­ries sui­vantes : de 1720 à 1880, la 1e révo­lu­tion indus­trielle ce sont la machine à vapeur, le tis­sage, le char­bon ; de 1880 à 1960, la 2e ce sont l’électricité, les car­bu­rants, le télé­phone ; de 1960 à 2000, la 3e ce sont l’informatique, les com­mu­ni­ca­tions, les ser­vices. Pour cette ana­lyse sur l’industriel, je pré­fère une sub­di­vi­sion dif­fé­rente, sim­pli­fiée : l’envol (1850-1900), l’essor (1900-1950), la fin (1950-2000).

L’économique

C’est durant la période d’envol que sont inau­gu­rés des domaines éco­no­miques et des moyens de pro­duc­tion qui pré­valent encore de nos jours. La plus impor­tante muta­tion a lieu main­te­nant. La réa­li­sa­tion arti­sa­nale cède la place à la pro­duc­tion indus­trielle. À grande échelle, les objets ne sont plus réa­li­sés à la pièce, ou selon les besoins. Les machines per­mettent de pro­duire des biens qui devancent les besoins, voire qui les créent. C’est abso­lu­ment nou­veau et c’est capi­tal pour la suite. Aus­si la pro­duc­tion de masse est-elle seule capable de satis­faire une popu­la­tion dont le taux éle­vé de crois­sance et d’urbanisation était incon­nu jusqu’alors. Depuis l’an zéro, il a fal­lu à la popu­la­tion mon­diale plus de 1500 ans pour dou­bler son nombre. Le 2e dou­ble­ment s’est fait 6 fois plus vite. Le 3e, 12 fois plus vite : c’était jus­te­ment de 1800 à 1925. Le 4e, 30 fois. Quant au 5e, il semble annon­cer la stag­na­tion du processus.

Pen­dant sa période de déve­lop­pe­ment, l’économie d’une part affer­mit son assise et d’autre part élar­git et diver­si­fie son emprise. C’est l’étape de la matu­ri­té. Un nombre impres­sion­nant de conflits plus ou moins régio­naux et – sur­tout – les deux confla­gra­tions mon­diales contri­buent lar­ge­ment à ce déve­lop­pe­ment. 3 Des per­cées tech­niques et bio­lo­giques extra­or­di­naires se pro­duisent : le moteur élec­trique (1892), l’avion (1903), la diode (1906), la baké­lite (1909), les vita­mines (1912), les poly­mères (1922), la fusée (1926), la télé­vi­sion et la péni­cil­line (1928), le nylon (1935), les insec­ti­cides (1940), le tran­sis­tor (1948), par­mi tant d’autres. La plu­part des plus grandes banques, com­pa­gnies indus­trielles et d’assurances sont fon­dées durant ces années. 4  L’influence du ter­tiaire com­mence à se faire sen­tir, annon­çant le pas sui­vant. Un dépla­ce­ment sub­ur­bain rapide a lieu dans cer­tains pays à la pointe de ce phé­no­mène, sur­tout en Grande-Bre­tagne, mais aus­si aux États-Unis et en Australie.

L’économie de la période finale est dif­fé­rente. La déco­lo­ni­sa­tion ache­vée, le nombre d’États indé­pen­dants se mul­ti­plie. Les États membres de l’ONU étaient 60 en 1950 et 189 en l’an 2000. L’intérêt pour les nou­veaux mar­chés explose. Naguère réduit, le cercle des pays indus­triels s’élargit. Exemples : Bré­sil, Chine, Corée du Sud, Irlande, Tai­wan. En Occi­dent, le choc de la Seconde Guerre mon­diale ban­nit désor­mais le recours aux armes pour des motifs his­to­riques, doc­tri­naires ou eth­niques. La guerre du Viêt-nam est le der­nier affron­te­ment doc­tri­naire majeur de l’ère indus­trielle. D’autre part, dans le contexte poli­tique du début du XXIe siècle, la ten­sion créée à par­tir du mois de février 2003 au sujet de la ques­tion ira­kienne entre les États-Unis, la Grande-Bre­tagne et l’Espagne d’une part, et la France, l’Allemagne et la Rus­sie d’autre part, aurait repré­sen­té un casus bel­li des plus clas­siques. La guerre devient éco­no­mique et – décla­rée ou  lar­vée – per­ma­nente. Les lieux de crois­sance et le savoir-faire se déplacent. Le tou­risme, le cos­mos et le corps humain s’industrialisent. Et, pour la pre­mière fois, une chaîne de maga­sins s’installe à la tête du clas­se­ment des plus grandes entre­prises mondiales.

Conclu­sion éco­no­mique : chaque étape est bien mar­quée, incon­fon­dable. En effet, c’est ridi­cule de croire, car fata­le­ment impos­sible, que la glo­ba­li­sa­tion aurait pu pré­cé­der la sidé­rur­gie du XIXe siècle, et c’est impen­sable d’imaginer que l’invention de l’électricité aurait pu suivre la géné­ra­li­sa­tion de l’automatisation, appa­rue pour­tant durant la 2e période indus­trielle. La rela­tion de cause à effet est inhé­rente à la suc­ces­sion logique des fac­teurs éco­no­miques, et rend ce pro­ces­sus logique et cohérent.

Le social

Tout cela change avec l’aspect social. Pour­tant, au début de l’industriel, les méca­nismes de la socié­té sont struc­tu­rel­le­ment modi­fiés. Les grands chan­tiers du char­bon, de l’acier, de la navi­ga­tion et du rail emploient une force de tra­vail énorme. Par rap­port au pas­sé, la qua­li­té de vie de la majo­ri­té ne chute pas pour autant : le niveau est déjà très bas. Le phé­no­mène démo­gra­phique s’impose par son ampleur. Une nou­velle tri­bune s’affirme : la presse. Le syn­di­ca­lisme se place dans le sillage du ‹ Mani­feste du par­ti com­mu­niste › des Alle­mands Karl Marx et Frie­drich Engels s’accroît par la créa­tion de l’Association inter­na­tio­nale des tra­vailleurs, aus­si appe­lée la “1e Inter­na­tio­nale” (Londres, 1864). Les clashs – au départ inégaux – entre le pro­lé­ta­riat moderne et le grand patro­nat s’amorcent.

Au cours de la 2e période, la socié­té occi­den­tale s’articule autour de ces deux pôles. La classe moyenne, de plus en plus four­nie, s’y ajoute, au détri­ment de la pay­san­ne­rie. Pour le pro­lé­ta­riat, la grève devient l’outil pré­fé­ré de com­bat. En 1920, l’Italie, la Grande-Bre­tagne et l’Allemagne comptent un mil­lion de gré­vistes, res­pec­ti­ve­ment 30 et 54 mil­lions de jour­nées de grève. En géné­ral et mal­gré la réces­sion, la pro­duc­ti­vi­té et le niveau de vie pro­gressent, le temps de tra­vail dimi­nue, mais le chô­mage s’installe comme une don­née majeure. En 1932, le taux de chô­mage est de 22% en Grande-Bre­tagne, 29% en Autriche et pointe à 43% en Alle­magne, où il frô­le­ra 0% en 1939). Les femmes gagnent les droits civiques de base et les droits sociaux percent dans de nom­breux pays. For­te­ment poli­ti­sés, les syn­di­cats sont au zénith.

La déchéance pro­vo­quée par la guerre et le mas­sif appui yan­kee  modi­fient le cli­mat social durant les “trente glo­rieuses“. L’envie de tra­vailler s’ajoute à celle d’un meilleur des­tin. Un des signes de cette nou­velle vigueur est le baby-boom. Les mœurs changent : les choses sont plus dési­rées que néces­saires. L’espérance de vie s’accroît et la sécu­ri­té sociale se géné­ra­lise, sauf aux États-Unis, qui sont pour­tant à la pointe de ce phé­no­mène. L’importance des loi­sirs égale celle du tra­vail, mais la lutte pour le plein emploi reste prio­ri­taire. L’indice occi­den­tal de déve­lop­pe­ment humain bat des records, tan­dis que le mou­ve­ment ouvrier s’essouffle.

Conclu­sion sociale : rien à voir entre les images de la socié­té au début et à la fin de l’ère indus­trielle. Cadre et condi­tions de vie, accès au savoir et aux soins, pro­tec­tion de l’enfance et de la vieillesse, éga­li­té des chances : voi­là quelques jalons d’un par­cours remar­quable. Rares, bien qu’importantes, les fausses notes (dilu­tion fami­liale, jeu­nesse débous­so­lée, chô­mage chro­nique, contrastes extrêmes, etc) n’arrivent pas à salir ce tableau glo­ba­le­ment posi­tif. Par rap­port à un volet éco­no­mique bien défi­ni, le social est peut-être plus nuan­cé, mais son évo­lu­tion est clai­re­ment quantifiable.

Le poli­tique

La com­po­sante poli­tique navigue à l’opposé de ces tra­jec­toires. Indif­fé­rente, elle tra­verse les années et les étapes. Son par­cours est constant au point de lui valoir des ver­tus de sta­bi­li­sa­tion qu’elle n’a pas, car le poli­tique nou­veau engendre tout sauf l’équilibre, la constance étant plu­tôt l’apanage du mode sei­gneu­rial de gou­ver­ne­ment ; dès que l’on se dis­pute le pou­voir, c’est le consen­sus ou l’alternance, et comme le consen­sus est fort rare… Face à l’économique et au social, le poli­tique est donc juste figé : c’est l’étrangeté rele­vée en ouver­ture de l’écrit.

À l’aube de l’industriel, face à de nou­veaux hori­zons de plus en plus attrayants, ce sont de nou­velles rela­tions humaines de plus en plus enga­gées, pro­vo­quées par de nou­veaux inté­rêts de plus en plus poin­tus, au sein de (nou­velles) com­mu­nau­tés de plus en plus denses et com­plexes, qui imposent la recon­ver­sion du poli­tique. Jusqu’au XIXe siècle, ce domaine était réser­vé au sou­ve­rain et le plus sou­vent l’institution monar­chique était poly­cé­phale. Il s’agit de la poli­tique avant le XIXe siècle, vue dans son ensemble. Les sys­tèmes déve­lop­pés aux États-Unis et au Royaume-Uni depuis le XVIIe siècle, ain­si qu’en Suisse depuis le XIIIe siècle sont exclus, car déjà très proches de la for­mule actuelle. L’empereur, le roi, le prince, le duc cumu­laient les auto­ri­tés de droit et de fait, aux­quelles venaient s’ajouter d’autres pré­ro­ga­tives, comme l’exercice de la loi, le pou­voir moral, ou bien la tutelle reli­gieuse (et non pas spi­ri­tuelle, qui est propre à l’évêque). Ce cumul n’était pas lettre morte ; en géné­ral, le suze­rain en dis­po­sait en mode dis­cré­tion­naire. Plus que de la pra­ti­quer, le sou­ve­rain fabri­quait la poli­tique à sa manière. Au point qu’il l’incarnait. Et si, dans son acti­vi­té, il créait des fonc­tions annexes réser­vées à des élus de son choix, ce n’était que pour des rai­sons tech­niques. Pour appli­quer ses pou­voirs, le chef de l’État devait bien s’entourer d’éléments de son appa­reil5  D’une por­tée variable, l’influence des hauts fonc­tion­naires sur les citoyens et les affaires du pays n’était que rare­ment déter­mi­nante. Mais le plus impor­tant est que l’exercice poli­tique dans sa tota­li­té pas­sait for­cé­ment, autant pour les pauvres hères que pour les digni­taires, par la recon­nais­sance du rap­port de vas­sa­li­té envers le monarque. Du haut de son héré­di­té, celui-ci dis­pen­sait son art de la gou­verne en régnant (on pour­rait presque dire : en flot­tant) sur les choses et les hommes.

Les paris de la révo­lu­tion indus­trielle accé­lèrent l’émancipation poli­tique du peuple. Les affaires royales deviennent publiques, tou­chant de plus en plus l’individu affran­chi. Ain­si s’organisent les par­tis tra­di­tion­nels, dans la lignée de struc­tures sociales ou cor­po­ra­tistes bien éta­blies. En gros, les nan­tis (les pro­prié­taires ter­riens, l’aristocratie, la haute bour­geoi­sie, les grands exploi­tants et les pro­duc­teurs, les sei­gneurs de l’ex-Curia Regis se retrouvent dans des for­ma­tions géné­ri­que­ment qua­li­fiées de conser­va­trices. Ils ont la volon­té fon­da­men­tale de main­te­nir leurs pri­vi­lèges, de per­pé­tuer ou de déve­lop­per l’état des choses à leur avan­tage. Les dému­nis, issus de la gent ouvrière, agraire, de l’immigration, donnent nais­sance aux for­ma­tions usuel­le­ment appe­lées popu­laires. Ils sont déter­mi­nés à obte­nir ne serait-ce que cer­tains des avan­tages jusque-là réser­vés aux nan­tis, quitte à ébran­ler l’ordre des choses. Entre ces pôles, la classe moyenne (intel­lec­tuels, arti­sans, petits-bour­geois) se range dans des for­ma­tions cou­ram­ment inti­tu­lées libé­rales. Son prin­ci­pal but est de pré­ser­ver son iden­ti­té en gar­dant la dis­tance par rap­port aux deux autres orien­ta­tions. Plus tard, ce sera par rap­port à l’État.

Sur ces bases, de nom­breux par­tis majeurs sont créés durant cette période foi­son­nante : Demo­cra­tic Par­ty (États-Unis d’Amérique) 1829, Libe­ral Par­ty (ex-Whig, Grande-Bre­tagne) 1832, Conser­va­tive Par­ty (ex-Tory, Grande-Bre­tagne) 1834, Repu­bli­can Par­ty (États-Unis d’Amérique) 1854, Sozial­de­mo­kra­tische Par­tei Deut­schlands (SPD, Alle­magne) 1871, Par­ti­do Socia­lis­ta Obre­ro Español (PSOE, Espagne) 1879, Sozial­de­mo­kra­tische Par­tei Öster­reichs (SPÖ, Autriche) 1874, Inde­pendent Labour Par­ty (ILP, Grande-Bre­tagne) 1893, etc. Ils sont aisé­ment iden­ti­fiables selon le modèle expo­sé ci-des­sus, même si, au fil des ans, au gré des besoins et en fonc­tion de cer­taines spé­ci­fi­ci­tés, ils changent de nom, fusionnent ou se rema­nient. Par exemple, le cou­rant dit conser­va­teur se retrouve sous des appel­la­tions aus­si variées que répu­bli­cain, chré­tien, natio­nal, radi­cal ; le cou­rant dit popu­laire sous celles de pro­gres­siste, socia­liste, tra­vailleur, démo­cra­tique, com­mu­niste ; le cou­rant libé­ral res­tant lié – que je sache – à la ter­mi­no­lo­gie de base, c’est-à-dire – concrè­te­ment – en dehors de tout autre déri­vé ter­mi­no­lo­gique repré­sen­ta­tif. En revanche, leurs pos­tu­lats ne changent pas. C’est nor­mal : les élé­ments dont ils s’alimentent sont inchan­gés. Ces par­tis rem­placent le sou­ve­rain dans un jeu qui a de nou­velles règles. Désor­mais, le contrôle des affaires de la cité (c’est la vraie ori­gine du mot poli­tique : poli­ti­kos, qui signi­fie ‘de la cité’) dépend du scru­tin, et rien (sauf des idées valables, une réelle force de per­sua­sion et cer­tains moyens finan­ciers) ne garan­tit cette maî­trise au can­di­dat.6 Le XIXe siècle voit le trans­fert du pou­voir – depuis le sin­gu­lier vers le plu­riel – consom­mé dans l’ensemble de l’Occident.

La période de conso­li­da­tion du poli­tique est pro­ba­ble­ment la plus cruelle de l’histoire. Les deux guerres mon­diales réunies auraient fait plus de vic­times que toutes les vio­lences engen­drées par d’autres formes de confron­ta­tion durant cette seconde période. Au total, plus de 100 mil­lions d’hommes seraient morts ain­si. Avec un bilan à peine plus éle­vé qu’un cin­quième de ce total, l’ultime période de l’époque indus­trielle consti­tue­rait ain­si une phase d’accalmie… Il serait pour­tant auda­cieux de sou­te­nir que ce constat grave ne tien­drait qu’au trans­fert de pou­voir évo­qué : en effet, le pas­sé est riche en exemples témoi­gnant du vieux pen­chant des hommes à s’entretuer. Ce serait aus­si pré­somp­tueux d’affirmer que les pro­mo­teurs (comme les exé­cu­tants) de ces désastres auraient été dotés d’une cruau­té pro­por­tion­nelle à ce ter­rible inven­taire : ceci négli­ge­rait les pro­grès tech­niques des moyens de des­truc­tion. (Les attaques amé­ri­caines contre les villes de Hiro­shi­ma et Naga­sa­ki ont fait, en quelques minutes, autant de vic­times que la guerre rus­so-japo­naise en deux ans. Est-ce que, pour autant, le pré­sident Tru­man occu­pe­rait la pre­mière place au pal­ma­rès de la bar­ba­rie, au détri­ment par exemple du tsar Nico­las II et de l’empereur Mut­su­hi­to, ou de tant d’autres ?) Enfin, je crois que l’émotion sur­gie à l’ombre de ces réflexions ne devrait pas estom­per le prin­ci­pal constat digne d’intérêt au sens de cette étude : poli­ti­que­ment, l’empreinte de cette période est faible. Certes, c’est le moment des plus grandes entre­prises doc­tri­naires de l’ère indus­trielle : le capi­ta­lisme for­diste, le tay­lo­risme, le key­né­sia­nisme, le bol­che­visme, le maoïsme, les natio­na­lismes alle­mand et ita­lien, aux­quels on pour­rait ajou­ter le colo­nia­lisme et le sio­nisme. Mais, fon­ciè­re­ment, pour l’électeur du monde occi­den­tal, l’offre poli­tique reste la même. Com­ment ça ?

[…]

[10 jan­vier 2004]

  1. Cette appel­la­tion réunit les pays occu­pant les 30 pre­mières places au clas­se­ment mon­dial du pib par habi­tant, dans une four­chette de usd 34000 à 20000, soit : Alle­magne, Aus­tra­lie, Autriche, Bel­gique, Cana­da, Dane­mark, États-Unis d’Amérique, Fin­lande, France, Grande-Bre­tagne, Ita­lie, Japon, Nor­vège, Nou­velle-Zélande, Pays-Bas, Sin­ga­pour, Suède, Suisse. Je n’ai pas consi­dé­ré les pays sui­vants, qui rem­plissent pour­tant ce cri­tère : Iles Ber­mudes, Iles Cay­man, Islande, Liech­ten­stein, Luxem­bourg, Mona­co, Qatar, Saint-Marin – en rai­son de leur faible repré­sen­ta­ti­vi­té ; Chypre, Israël, Irlande – en rai­son de fac­teurs poli­tiques qui en font des cas à part ; Hong-Kong – à cause de son sta­tut poli­tique et admi­nis­tra­tif par­ti­cu­lier. Ces choix sont faits libre­ment, mais ils sont moti­vés par des cri­tères qui s’expliqueront, j’espère, en cours de lec­ture. Source : ‹ Annuaire éco­no­mique géo­po­li­tique mon­dial 2003 ›, La Décou­verte, Paris, 2002.
  2. Robert Owen (1771-1858), homme d’affaires anglais, pré­cur­seur du mou­ve­ment social et Charles Fou­rier (1772-1837), théo­ri­cien social français.
  3. Les guerres sino-japo­naise (1894-1895), his­pa­no-amé­ri­caine (1898), Anglais-Bœrs (1899), rus­so-japo­naise (1904-1905), ita­lo-turque (1911), bal­ka­niques (1912-1913), rus­so-polo­naise (1920), gré­co-turque (1920-1921), fran­co-espa­gnole (1921-1926), de Mand­chou­rie (1931), d’Éthiopie (1935-1936).
  4. Phi­lips (1891), Cré­dit Agri­cole (1894), Zurich Assu­rances (1894), Bar­clays Bank (1896), Renault (1898), FIAT (1899), Paci­fic, Gas & Elec­tric (1905), Royal Dutch Shell (1907), Gene­ral Motors (1908), Oli­vet­ti (1908), Inter­na­tio­nal Tele­graph & Tele­phone (ITT, 1910), IBM (1911), Boeing (1916), Daim­ler Benz (1926), etc. 
  5. Le (grand) cham­bel­lan, le (Pre­mier) ministre, le chan­ce­lier, le bailli, le surintendant. 
  6. Cela dit, j’apprécie la fran­chise d’un rou­tard expé­ri­men­té de la poli­tique fran­çaise, lorsqu’il affirme que ‘Les par­tis poli­tiques, c’est quand même l’art d’occuper le pou­voir quel que soit le pro­gramme et de piquer les idées des autres pour les appli­quer, si on voit qu’elles marchent.’ (Brice Lalonde, ex-pré­sident de Géné­ra­tion Éco­lo­gie, qui a mon­tré aus­si de l’intérêt pour le Par­ti socia­liste uni­fié, le Mou­ve­ment des radi­caux de gauche, l’Union démo­cra­tique du centre, la Démo­cra­tie libé­rale et le Ras­sem­ble­ment pour la République.)
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