Le mal conduire

Catégorie: Essais
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Hélas, on conduit de moins en moins bien et de plus en plus mal. La voi­ture. C’est encore une fois le monde à l’envers: plus il y a de voi­tures sur les routes et moins bien on les conduit. À croire qu’à la fin du XIXe siècle, aux débuts de l’automobile, lorsque der­rière le volant ne pou­vait prendre place qu’une poi­gnée de nan­tis meu­glant de leurs poires en caou­tchouc sur des chaus­sées sombres en terre bat­tue ou au mieux pavées, encom­brées de char­riots et de calèches, et que poin­ter à 20 km/h était un exploit à faire mugir les cochers – à croire donc qu’en ces temps de légende for­cé­ment on condui­sait bien, voire très bien, si ce n’est très attentivement.


Peut-être. Pour ce qui est cer­tain, nous cir­cu­lons aujourd’hui sur des routes nickel, bario­lées de traits conti­nus ou en trai­tillé blancs, jaunes, oranges, verts, bleus, rouges; jalon­nées à pro­fu­sion par une foule de pan­neaux – car­rés, tri­angles, croix, cercles, rec­tangles et losanges mul­ti­co­lores; éclai­rées à foi­son par des lumières conti­nues ou cli­gno­tantes vertes, jaunes, rouges, mauves, blanches, orange. Dans cet uni­vers, si par hasard on se retrouve pen­dant un temps suf­fi­sam­ment long der­rière une voi­ture qui cir­cule cor­rec­te­ment, nous saluons cela comme un événement.


Un évé­ne­ment est oppo­sé à la rou­tine, alors pour la rou­tine voi­ci quelques exemples:


Ça signale à gauche et ça bifurque à droite. Et vice ver­sa. On est impuis­sants et le juron sort.


Ça ne signale rien et ça bifurque à gauche. Ou à droite. Le juron sort.


Ça signale long­temps à l’avance à gauche (ou à droite) sur une voie unique qui de toute façon tour­ne­ra à gauche (ou droite). Impuis­sants, les yeux en prennent plein la poire.


Ça ne signale rien et ça change de voie sur route et auto­route. Le juron sort.


Ça signale à droite (ou à gauche) en conti­nu lors d’un arrêt pro­lon­gé à une bar­rière, un feu, un embou­teillage, etc. Les yeux en prennent plein la poire.


Ça sort brus­que­ment et sans aver­tis­se­ment d’une rue secon­daire, d’une pro­prié­té, d’un par­king ou d’un garage et ça file sans regar­der der­rière. On freine en catas­trophe et le juron sort.


Ça se traîne en ville à 18 ou 34 km/h dans des zone limi­tée à 30, res­pec­ti­ve­ment 50 km/h. On enrage et on a envie de dépas­ser par la voie en sens inverse, ce qui peut être fatal.


Ça se traîne à 80 km/h sur la voie de dépas­se­ment de l’autoroute. On enrage et on a envie de dépas­ser par la droite, ce qui peut être fatal.


Ça freine devant un feu qui est au jaune; au der­nier ins­tant ça accé­lère et ça passe de jus­tesse au moment même où le rouge s’allume. On freine en catas­trophe, on enrage et le juron sort.


Ça sort d’un rond-point sans aucune signa­li­sa­tion. Le juron sort.


Ça cir­cule cal­me­ment sur la voie du milieu de l’autoroute alors que celle de droite est libre sur des kilo­mètres. On enrage et le juron sort.


Ça croise une connais­sance, ça des­cend de la voi­ture et ça engage une (longue) conver­sa­tion tout en lais­sant à côté tour­ner le moteur de la voi­ture. On enrage et le juron sort.


Ça dépasse (brus­que­ment) par la gauche ou par la droite sur l’autoroute sans signa­ler. Le juron sort.


Ça roule les feux éteins, sur route ou auto­route. Ça peut être fatal et au mieux le juron sort.


Ça coupe brus­que­ment la route sans même le moindre signe. On freine, ça peut être fatal et au mieux le juron sort.


Enfin, ça conduit comme un déra­té – sur la voie de dépas­se­ment, à une fois et demi la vitesse légale et à un mètre der­rière, grands feux en flash – un vieux “bolide” de deuxième ou troi­sième main. On a envie de frei­ner, rien que pour punir l’animal, mais heu­reu­se­ment l’épouse est à côté, alors on se rabat ner­veu­se­ment et à grand regret sur la voie de droite et le juron sort. Par­fois, le cin­glé pour­suit sa course folle sur la même voie de dépas­se­ment et on voit devant les autres voi­tures devant s’écarter devant lui. Et, cer­tai­ne­ment, des jurons sortent. Par­fois en revanche, l’animal pla­fonne (tou­jours sur la même voix de dépas­se­ment) à une vitesse – certes – assez éle­vée, mais moindre que tout à l’heure, de sorte qu’on arrive à son hau­teur sur la voie de droite sans for­cer. Figé dans son accé­lé­ra­teur de par­ti­cules, il ne regarde ni gauche ni droite et fonce à nou­veau sur la pro­chaine voi­ture qui par mal­chance se trouve devant lui.


Avec le temps et le cumul des exemples, on arrive à se deman­der si d’aventure rien ne serait aléa­toire, que fina­le­ment cer­tains élé­ments com­muns défi­ni­raient tous ces gens, de sorte qu’il serait pos­sible de dres­ser une espèce de por­trait-robot les carac­té­ri­sant, com­po­sé d’éléments comme l’âge et le sexe de la per­sonne, la race, la natio­na­li­té, le type, l’âge et la valeur de la voi­ture. Pour­tant tel n’est pas le but de ces réflexions, rai­son pour laquelle nous nous en tien­drons là.


*


Serait-ce donc la faute des écoles de conduite ? Dis­cu­table, voire peu vrai­sem­blable. Que dire alors quand la tête du plouc au volant et le numé­ro ins­crit sur ses plaques miné­ra­lo­giques indiquent sans doute pos­sible qu’il a dépas­sé depuis belle lurette l’âge des bal­bu­tie­ments rou­tiers ?
Mys­té­rieuse énigme…


[15 jan­vier 2021]

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