
Voici un des plus célèbres portraits de l’histoire de la peinture. Et probablement un des plus accomplis, profonds, captivants. En réalité c’est un autoportrait: celui de l’Allemand Albrecht Dürer.
On remarque en un clin d’œil la difficulté de ce prodigieux exercice: les mains sont à vue, c’est-à-dire qu’après chaque coup de pinceau ou presque, le peintre doit se tourner vers le miroir, poser son outil et reprendre la pose étudiée de sa main droite, la gauche étant peu visible; il doit bien mémoriser ou vérifier tel ou tel détail, revenir au chevalet, reprendre le pinceau et continuer son travail. D’une part. D’autre part, en se retournant face au miroir, il doit chaque fois assurer les même boucles somptueuses, les mêmes plis de son habit, la même position des poils de sa fourrure, mais avant tout il est crucial qu’il retrouve exactement le même faciès, le même air, la même apparence, le même regard calme et pénétrant. Cela jour après jour, par beau ou mauvais temps, se garantissant le même éclairage, les joues bien rasées, jovial, serein ou alors de mauvais poil après une dispute avec sa femme ou son voisin. Que tout cela a dû être dur pour Dürer !
Mais ce n’est rien vis-à-vis de ce que le portrait ne montre pas ! L’année du Seigneur est 1500, année importante si elle en est, pas seulement parce qu’elle marque pile la moitié du millénaire, mais surtout parce que l’Europe, Nuremberg avec, est à l’épreuve de la suette. Ce fléau livre une fièvre importante, une sueur abondante (d’où son nom) et finalement une mort foudroyante. Il est vrai que depuis quelque temps les cas sont plutôt rares, mais l’artiste est avisé. La maladie est contagieuse ? Il cherche la solitude. Elle voyage par les airs ? Il porte un masque. Et c’est ce que le fameux tableau exposé à la Alte Pinakothek de Munich ne montre pas.

Le peintre est jeune. C’est quelqu’un d’intègre, raffiné, de belle présentation. Il est toutefois méticuleux. Comme bon nombre de virtuoses, il construit soigneusement ses œuvres, le plus souvent par des esquisses ou des versions préparatoires. Dont pour cet autoportrait. Sauf que dans ce cas, dite ébauche – inachevée – est restée dissimulée pour une raison étrange, inconnue. Voici donc la vraie apparence d’Albrecht Dürer au temps de la pandémie et avant qu’il n’enlève son masque, certainement par coquetterie.
Pour certains ce n’est – et ce ne fut – pas une découverte. Parmi eux, trois siècles et demi plus tard, un certain Giuseppe Verdi s’y inspira pour créer son opéra «Un bal masqué». C’était à point nommé, car le monde venait d’être frappé de plein fouet par la peste chinoise, dite aussi bubonique. Sur scène, dans les salles et les foyers, interprètes, spectateurs et personnel de service étaient tous rigoureusement masqués. L’opéra connut un franc succès. En revanche, chose à vrai dire surprenante, les protections étaient dérisoires: avec des trous pour les yeux, paradoxalement elles ne couvraient que le haut des visages, laissant nez et bouches complètement à l’air libre. Ce fut l’amorce de la dernière et pire pandémie de peste connue. Un siècle et plus de quinze millions de morts plus tard, elle fut considérée éteinte.
Oublier l’histoire c’est être réduit à la revivre, vrai ? Soixante ans passent et la leçon du passé paye. Face à une vilaine grippe, la planète met le masque. Cette fois au bon endroit et dans toutes les situations i(ni)maginables: au travail, à la poste, dans le bus, à l’opéra, dans l’ascenseur, en vélo, au magasin, dans la rue, au ski, en moto, à la piscine, au restaurant, en balade, en voiture, sur le bateau, au chalet, en classe, au jogging, à la plage, au stade, au lit.
À cela s’ajoute la cerise sur le gâteau de l’esprit artistique qui explose, pas tant au travers des huiles sur toiles que par des objets divers ou des sérigraphies sur tissus. Ces masques figurent ou arborent des drapeaux, crânes, paysages, moustaches, slogans, gueules d’animaux, choses cochonnes, son propre visage, ou sont faits de macramés, bouteilles de PET, monstres pastafari, feuilles de choux – tout un répertoire imaginaire que l’on pensait éteint.
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Cependant le mal ne faiblit pas. Pire: il change de stratégie. Et de nom. Alors, un mal basqué ? Un mal bâclé, peut-être ?
[5 décembre 2021]
Post scriptum
Avant qu’un tel s’excite envers un autre tel ou telle qui ne porte pas de masque, tous les États du monde et l’OMS se mettront d’accord
– sur le/s type de masque/s qui protège/nt effectivement du Covid 19,
– combien de temps porter un tel masque est réellement efficace,
– si lorsqu’on a déjà eu la maladie on peut encore répandre le virus,
– combien de temps après la maladie reste-t-on immunisé,
– sur le temps minime pour choper le virus transmis par un malade,
– où va le virus exhalé dans un masque qui ne saurait coller au visage,
– si un seul masque est suffisant quand deux personnes sont en contact,
– sur la vraie distance de sécurité entre deux personnes à l’intérieur,
– que deviennent les virus exhalés au-delà de la distance de sécurité.
Accessoirement, il s’accorderont aussi sur l’utilité de porter un masque
– seul dans son auto, sur sa moto, son vélo, sa planche ou sa barque,
– seul dans la forêt, à la plage ou en général dans la nature,
– en jouant au tennis, basket ou foot sur un terrain vague,
– pendant un jogging,
– sous la pluie,
– sur une piste de ski,
– seul dans la Grande Roue, une auto-tamponneuse ou un carrousel,
– seul dans une rue, sur un trottoir, place, stade, etc.