Eine Familiengeschichte (2/7)

Catégorie: Fiction

[…]

1. Frau Edith Alte­rhaus, arrière-arrière-arrière grand-mère, infir­mière retrai­tée (1903 -).

«Oh, que pour­rais-je vous dire ? Vous savez, j’ai de la peine à me sou­ve­nir. Tout à tel­le­ment chan­gé depuis. Ça me fait de la peine de me sou­ve­nir. À l’époque on par­lait peu à la mai­son, mes parents. En tout cas devant nous, les enfants. Nous étions sept. Les enfants. Père par­lait peu. Mère encore moins. Quand mon père par­lait, c’était sur­tout pour nous ser­mon­ner. Et chaque fois il nous rap­pe­lait la vie dans les tran­chées. À Saar­brü­cken et à Weis­sen­burg. Il nous disait qu’on devait être heu­reux de man­ger à cette table-là. En fait on man­geait très mal. Pommes de terre, choux, hari­cots, enfin… Je peux avoir un verre d’eau ?… Il était si fier d’avoir été déco­ré par le maré­chal von Stein­metz lui même, lui et deux cama­rades. J’ai oublié leur noms. Puis il se van­tait avec ses bles­sures, il nous mon­trait les cica­trices au dos et tapait sa jambe en bois avec le dos de la cuillère. Mer­ci. Toc, toc, toc, toc. Ensuite il se jetait sur la carafe de vin et nous on pre­nait peur. Mes petits frères sur­tout… Car il se met­tait en colère quand il en venait au patron de l’entrepôt où il tra­vaillait. Puis à peine qu’il se levait, toc, toc, toc, toc, et il tom­bait comme un tronc sur le lit. Et ma mère ne disait mot, elle hochait seule­ment la tête et mar­mon­nait des chose. On ne savait pas quoi. Elle n’était pas heu­reuse, ma mère. Mais avec nous, les enfants, elle l’était, elle nous aimait beau­coup. Mon père aus­si, il nous aimait, sauf que bon, c’était à sa façon… Pour­tant, nous, dès qu’on voyait qu’il dor­mait, nous quit­tions la mai­son en déban­dade pour retrou­ver les enfants des voi­sins. C’est ce que je me rap­pelle. Ah, oui, la vie de mes parents… Que vou­lez-vous ? Ce fut un temps où on ne pou­vait pas être sûr de quel côté on se trou­vait. Il y avait beau­coup d’agitation, vous savez ? Empire à gauche, Empire à droite, et nous, entre les deux. Les gens avaient appris à com­po­ser avec. Ça avait aus­si ses avan­tages. Ici on appre­nait les langues. On a été par­mi les pre­miers à éclai­rer les rues à l’électricité. Et puis les tram­ways… Sans che­vaux! Encore un peu d’eau s’il vous plaît. J’adorais me tenir sur la pla­te­forme. Le conduc­teur était un oncle très éloi­gné, ancien du Kame­run. Là il s’était exer­cé au com­merce du coton mais il avait fait faillite. Petite, je me tenais sou­vent à ses côtés. Il était si fier à conduire “son” tram­way. Il chan­tait du “Par­si­fal” et réci­tait par cœur “Der Wille zur Macht”. Des pas­sages. D’ailleurs il por­tait la même mous­tache que Nietzsche. C’était drôle. Bah, qu’est-ce que vous vou­lez ? Ça avait été une époque… ces gens-là avait décou­vert la “moder­ni­té” ils disaient. Ça vous change, vous savez ? Mer­ci. Mais les hommes en Zylin­de­rhut saluaient encore les dames dans la rue, alors que… Je crois qu’ils ont bien vécu. Plein de choses…»

«Bon, euh… pour ceux après nous ça a été eine Katas­trophe. Un dé-sas-tre! Moi j’ai dû me marier jeune. Mon mari avait 30 ans, dix ans… non, onze ans plus que moi et une situa­tion meilleure. Il était adju­dant-chef, alors que moi je n’avais aucune for­ma­tion. Que vou­lez-vous ? Je venais de finir l’école. Je fai­sais la cou­ture. Et les enfants… Ils sont tous nés, quatre, pen­dant la Répu­blique.   Mais c’était très dur, très-très dur, vous savez ? La solde de mon mari… Wer­ner, la solde ne suf­fi­sait pas. Par­don, je peux prendre un bis­cuit ? Oui ? Mer­ci. C’était tan­tôt bien, tan­tôt pas bien du tout. Les gar­çons on vite com­men­cé à gagner quelques sous chez … com­ment il s’appelle ?… enfin, le cor­don­nier. Puis en… je ne me rap­pelle plus l’année exacte, on a pu ache­ter notre pre­mière radio… une radio Seibt, oui, je crois que c’était en 1928… et on écou­tait, on écou­tait celle-là… Claire… Claire Wal­dorf, c’était mer­veilleux… non, Claire Wal­doff, c’est ça, oui. Je peux un autre bis­cuit ? Mer­ci. Et puis… mais il… on n’avait pas autre chose pour… on n’avait pas la télé et les enfants ado­raient la radio, on écou­tait aus­si… Mau­rice Che­val­ley, j’adorais. “Dans la vie faut pas s’en faire. Moi je ne m’en fais pas.” Hi-hi-hi… Ah oui, Mau­rice Che­va­lier, par­don. Oui… Puis bon, ça a pas­sé comme ça et tout à coup on a eu la crise et Dieu mer­ci! mon Wer­ner a pu gar­der son emploi à l’armurerie, sinon ça a été par­tout un cau­che­mar, les files de gens sans emploi… enfin, vous connais­sez. Ah oui, oui, eh bien les enfants ont gran­di comme ils ont pu, enfin, comme on a pu les éle­ver avec tous ces… toutes ces tur­bu­lences. Rudy est par­ti à douze ans comme appren­ti menui­sier, Gus­tav… le petit pauvre, on l’a per­du… le téta­nos… il n’avait que huit ans… ensuite Ber­ta elle est res­tée long­temps avec nous. D’un côté on a eu, j’ai eu de la chance avec elle, d’un autre côté… mais bon, puis Hil­da… Hil­da a été ma joie, elle a fait du vio­lon et a pu entrer à… la… à la Strass­bur­ger Phil­har­mo­ni­ker, oui, puis elle est par­ti à Stutt­gart,  puis à Wien, non, Zürich… main­te­nant elle est en Argen­tine, à Sao Pau­lo, cela fait long­temps que je ne l’ai plus vue… mais elle m’écrit. Je suis un peu fati­guée, un peu d’eau s’il vous plaît. Et… Oui, et puis … moi je crois qu’ils ont eu la vie beau­coup plus dure que nous, Wer­ner et moi. Bon, lui a dû par­tir, il a fait la Libye. Mer­ci. Ensuite on l’a muté plus près, à Metz, et là il est tom­bé dans une embus­cade. Je l’ai cru mort mais non, il est ren­tré, mais il était comme mort… enfin… C’est que… oui, après la crise il y a eu celui-là qui est venu et tout a chan­gé, vous savez ?… Rudy, Wer­ner, Ber­ta… S’il vous plaît, j’aimerais me repo­ser un peu.»

[…]

[25 juin 2020 – 12 novembre 2021]

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