Eine Familiengeschichte (3/7)

Catégorie: Fiction

2. Frau Ber­ta Alte­rhaus, arrière-arrière grand-mère, tra­duc­trice retrai­tée (1925 -).

«Ma vie ? J’aime pas en par­ler… il y a des choses dans la vie, pas tou­jours… c’est pas tou­jours le bon choix. Je veux dire, si c’était à refaire… Peut-être qu’on le… on ferait autre­ment. Sûr. Puis bon, on étaient jeunes, très jeunes, à cet âge-là, le choix, vous savez… Les gar­çons ils… c’était deux jumeaux dans ma classe, Jürg und Hans, ils sont entrés aux Jeu­nesses Hit­lé­riennes bien avant la guerre. L’époque était comme ça. Leurs parents ne vou­laient pas, mais… Nos parents, leur géné­ra­tion a vécu… a connu l’armistice, la honte, la misère après. Nous au moins on nous a pré­sen­té un idéal, je veux pas en par­ler là, vous com­pren­drez pas. Les gar­çons avaient aus­si le tra­vail, tout était à bâtir en Alle­magne, on a eu les pre­mières auto­routes là. [N.D.L.A. Faux: ce fut en Ita­lie en 1924.] Mais les filles, nous… il n’y avait pas grand chose… alors mes parents m’ont… je ne leur en veux pas… j’ai été enga­gée dans la bou­lan­ge­rie Brot­man… c’est drôle, non ? ha-ha, ce nom-là pour un bou­lan­ger, “Brot-Brot-Brot, Gott liebt Brot”, ha-ha, la réclame, vous savez ? C’étaient des Juifs, lui Russe elle Fran­çaise, et là j’ai appris ces langues. Je ne l’ai pas cher­ché, mais ils ne par­laient pas l’Allemand, enfin très mal… ils par­laient comme ça entre eux, va savoir donc… Puis au début de la guerre il y a eu la diph­té­rie, Rudy, ma mère, mon père… Bon, alors comme on n’avait pas de remèdes ni l’argent pour… bon, j’ai répon­du à une annonce de l’Abwehr… pour enga­ger des filles par­lant les langues. Moi je ne savais pas taper la machine, je savais pré­pa­rer la pâte, ha-ha… mais j’ai appris vite. Et comme ça j’ai pu avoir des remèdes et aus­si… bon, des choses. Pour tante Inge, pour les voi­sins du bas… bon, enfin. J’ai tra­duit pour l’Abteilung III Spio­na­geab­wehr. Comme ça j’ai appris la cap­ture des frères Zett­ner, Hans und Jürg, un à Br… Bris­tol et l’autre en Crète. Je vais faire une petite pause. [N.D.L.A. Une heure après.] Voi­là. Notre quar­tier était… com­ment ça… dif­fé­rent. On se connais­sait bien. Un quar­tier modeste, plein d’enfants, mais des gens bien, tra­vailleurs, la plu… bon un quart peut-être, dans la Wehr­macht, quelques Juifs… Cohn, Adler, Kr… enfin. C’était une petite vie agréable là, tout le quar­tier s’était don­né la main et ils… ils ont amé­na­gé une salle de ciné­ma. Les enfants, les voi­sins, on était une foule à applau­dir “Olym­pia”, quel film ! Que vou­lez-vous ? Bon, puis il y a eu la guerre… À la guerre comme à la guerre… six ans durant je n’ai plus vu mes parents, j’ai dû suivre par­tout le colo­nel, puis en juin ’45 quand il… oui, chef à l’Abteilung III, il a été arrê­té par les Anglais et… je sais pas ce qu’il est deve­nu. Mais moi et Otto on a pu nous marier, si vous voyiez le gâteau de mariage… ha-ha-ha…»

«Oui-oui, les enfants… [N.D.L.A. Elle s’esclaffe.]. Les enfants… Eh bien, c’est pour eux qu’on l’a faite, cette mau­dite guerre. Mais on est allé trop loin, oui. Ça vous n’avez pas besoin de… de… je ne veux pas avoir d’ennuis. Fina­le­ment eux ils ont été comme une géné­ra­tion de… com­ment dire ça… de sacri­fice. Pas nous. Nous on l’a vou­lu. Non, pas nos parents, pas nos enfants. Nous. Ma géné­ra­tion. Nous on a été fiers de pou­voir redres­ser ce pays. Mais l’après-guerre… vous n’imaginez pas ce que ça a été, sur­tout pour ces enfants… En plus on était en pays occu­pé. Heu­reu­se­ment je par­lais le Fran­çais et le Russe, vous savez ? Et on a de nou­veau per­du des terres… Bon, pas­sons. Si je me rap­pelle tout ça… Les enfants… Nous avons eu trois enfants: Niels-Gus­tav (d’après mon frère) et Got­thold et Marthe. Ce nom – Gus­tav – ça a été comme une malé­dic­tion. Il jouait avec des amis du quar­tier, il y avait encore des bâti­ments en ruine… et il a mar­ché sur… [N.D.L.A. Elle s’arrête un moment. Sa voix tremble. Puis elle reprend.] Il avait cinq ans… Oui. Enfin… Bon. Puis ça a été le mal­heur de ‘61, qu’on étaient tous les quatre à Ber­lin-Tem­pel­hof, en visite chez le beau-frère de mon mari, Josef, et Karin. Puis un soir on a man­gé chez des amis de Josef qui habi­taient à Pan­kow… et les enfants ont deman­dé à res­ter jouer et dor­mir chez eux. Ils avaient un gar­çon de leur âge. On s’est dis­pu­tés, Otto et moi, lui ne vou­lait pas les lais­ser là… et fina­le­ment je l’ai convain­cu, moi, la bécasse, la pire déci­sion de ma vie… Et on est ren­trés et on les a lais­sés là, chez le beau-frère et sa femme. Puis le len­de­main… le len­de­main on leur a télé­pho­né pour leur dire de prendre… le bus et ren­trer… mais leur télé­phone… au beau-frère, ne mar­chait pas ! Alors on a cou­ru nous chez le beau-frère et… vous savez, non ? Quelle infa­mie, quelle infa­mie !… Rien n’a mar­ché, on est ren­trés chez nous… on étaient comme morts. L’un plus que l’autre. Moi pour mon idée mau­dite, lui pour avoir cédé. Impar­don­nable. Im-par-don-nable. Deux ans, deux ans on a été sépa­rés d’eux, et eux de nous, impos­sible de… impos­sible de… de faire quoi que ce soit. Ce n’est qu’après la visite de Ken­ne­dy qu’on a pu les retrou­ver, on les a accueilli à Böse­brücke, moi je me suis presque éva­nouie… Ils étaient à peine recon­nais­sables. Gran­dis, mûris,  pâles, sur­tout Marthe… On les avait lais­sé enfants et là… un jeune homme et une demoi­selle. Une hor­reur, ce mur. Un pays cou­pé en deux. Ils avaient pris l’exemple en Asie, ces canailles ! Et comme nous, des mil­liers de familles… Des cen­taines de morts. Des dizaines de mil­liers incar­cé­rés comme… comme “déser­teurs”. Ha ! Vous vou­liez la vie de la géné­ra­tion après nous. La voi­là ! Comme si une honte ne suf­fi­sait pas, voi­là une nou­velle honte.»

[…]

[25 juin 2020 – 12 novembre 2021]

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