Eine Familiengeschichte (5/7)

Catégorie: Fiction
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4. Herr Kars­ten Alte­rhaus, grand-père, ensei­gnant (1972 -).

«Hal­lo. Votre démarche et en effet inté­res­sante mais… je ne pense pas avoir le temps néces­saire pour éla­bo­rer sur ces deux sujets. Vous m’excuserez, j’ai encore une ving­taine de tra­vaux écrits à cor­ri­ger et je dois les dépo­ser demain à l’école, alors… Bien. Oui… Je peux fumer ? Ah, d’accord, je com­prends… Alors je crois que la volée… cette… la géné­ra­tion de mes parents… elle a été… ça a été une géné­ra­tion de sacri­fice, on pour­rait dire. Ce sont des gens nés soit juste avant la guerre, soit pen­dant la guerre, soit juste après, et dans tous ces cas… je veux dire l’enfance, leur enfance a dû être tout sauf simple. La nour­ri­ture, l’hygiène, les chocs psy­cho­lo­giques, les répa­ra­tions de guerre, la rup­ture du pays, ima­gi­nez… Puis s’ajoutent les hor­reurs de la tha­li­do­mide, le séisme que ça a pro­duit dans la socié­té. Je pense que je n’exagère pas si j’appelle ça une géné­ra­tion héroïque. Quelque part aus­si leurs pré­dé­ces­seurs, puisque c’est sur eux… en majeure par­tie c’est eux, c’est sur­tout eux qui ont fait de cette  l’Allemagne ce que nous voyons aujourd’hui autour. Et en dehors. Nous, moi, mes amis, enfin ceux de mon âge… nous avons… Dieu mer­ci ! nous n’avons pas connu la guerre, toutes ces atro­ci­tés, heu­reu­se­ment que pour nous ça a fini ain­si, sinon… autre­ment… quelque mois de plus et on aurait connu le sort des Japo­nais. Je n’ose même pas pen­ser. Oui… Oui… Il ne faut pas croire, cha­cun a eu des cadavres dans le pla­card… d’une façon ou d’une autre. Regar­dez Bar­bie. Regar­dez aus­si le fils Speer, la car­rière qu’il a faite. Mais vous avez eu l’occasion écou­ter d’autres témoi­gnages, n’est-ce pas ? Moi je parle de ce qu’on m’a dit, de ce que j’ai enten­du dire, donc ce n’est… Voi­là. Donc… je ne pense pas que c’est per­ti­nent de… qu’on se com­pare avec eux, et sur­tout de com­pa­rer nos enfants avec eux. Ou encore nous, ma géné­ra­tion. Com­ment vou­lez-vous faire ça ?! Ce moment-là, je veux dire la guerre, la deuxième… mais non, même la Grande guerre, eux, mes arrière-grands parents on connu la Grande guerre, cette guerre-là, ces évé­ne­ments-là ça casse une nation, ça détruit, vous devez tout refaire de A à Z. Regar­dez la guerre d’Espagne, ou encore les Fran­çais avec leur résis­tants et leur col­la­bos. Et quand ça vient si vite comme ça… donc il y a eu une foule de gens ici qui ont vécu… et ailleurs, bien sûr, et ailleurs… qui ont vécu pas un, mais deux trau­ma­tismes comme ça dans leur vie. Et nous alors ? Ha ! Oui, bien sûr, nous avons eu… enfin, vous savez comme moi, mais au moins nous avons mis bas le mur… je veux dire… nous, enfin, pas nous, mais la force du peuple, Gor­ba­chev, Rea­gan, pour pas les nom­mer ceux-là… Il faut vivre des moments comme ça pour savoir ce que c’est ! Deman­dez à Nele ce qu’elle en pense ! Ha-ha-ha. C’est comme moi avec les deux guerres !»

«Main­te­nant pour ceux qui vien­dront après, enfin… ceux qui viennent après nous, hé-hé… ceux-là… ceux-là ils ne savent, enfin, la plu­part ils ne savent… la plu­part… je ne sais pas com­ment dire ça. Ces gamins on leur a ensei­gné à l’école, encore main­te­nant, un autre récit. Sûr. Je peux vous le dire. Je suis bien pla­cé pour le savoir. Moi j’enseigne les sciences de la nature, mais j’ai des col­lègues qui enseignent l’histoire. Pre­nez un élève de deuxième secon­daire, il ne sait… enfin, il ne sait pas grand chose sur ce pays avant les années ’50. On traite l’histoire de l’Allemagne… il y a un bou­quin entier, une année entière pour trai­ter l’histoire alle­mande du Saint Empire à nos jours, et l’avant-avant der­nier cha­pitre est réser­vé à la pre­mière moi­tié du XXème siècle. Sur une page ! Je ne vous raconte pas le conte­nu, même que je pour­rais le faire en trois minutes… Puis bon… Mais de toute façon, ces jeunes ils ont d’autres chats à fouet­ter: inter­net, Ins­ta­gram, ces choses là. Tu leurs montres à Nürn­berg une façade cri­blée de traces de balles, ils te demandent si on peut vite aller cas­ser la croûte vis-à-vis chez McDonald’s. Tu leur fais voir le bâti­ment du tri­bu­nal et ils disent qu’il est moche. Je saaais, je sais, quand tu n’entends autre chose que “Plus jamais ça.”, c’est clair que… c’est clair. Je ne dis pas que c’est faux. Je dis juste qu’avoir la connais­sance de ton his­toire est… com­ment dire… cru­cial, quoi. Sinon tout est biai­sé. Sinon tu ne fais que for­ma­ter des gens tout comme ces éner­gu­mènes qui cher­chaient à créer “l’homme nou­veau”. L’homme nou­veau… Pfff… Les Russes aus­si, les Chi­nois aus­si ont fait ça. Et les Amé­ri­cains ils font quoi avec l’extermination des autoch­tones, hein ? Deman­dez à un yup­pie de la Fifth Ave­nue ce qu’il pense des mas­sacres de peux rouges durant 500 ans… Bon, là je me perds un peu. Je vous disais déjà que des cadavres tout le monde en a, peut-être plus qu’il y en a des pla­cards… Enfin, ces jeunes de nos jours, tout ce que je regrette un peu c’est qu’ils gran­dissent dans un pays qui… si vous vou­lez, quelque part est un pays nou­veau. Pas nou­veau-nou­veau, comme l’Australie par exemple, mais ils n’ont pas des repères… com­ment dire… ils n’ont pas vrai­ment de vision sur leurs racines, d’où ils viennent. Chose sur­pre­nante d’ailleurs, puisque la fier­té alle­mande est tou­jours droite dans ses bottes, si vous me pas­sez l’expression… ha-ha-ha. Je ne sais pas où tout ça mène, mais à voir mes classes je dirais qu’on vit à pré­sent un tour­nant de la socié­té aus­si abrupt que le pas­sage à l’ère indus­trielle. Sauf que celui-là il a mis un siècle pour s’imposer… Mais pour dire vrai, on me disait presque la même chose quand j’avais 15-18 ans ! Main­te­nant je dois abso­lu­ment vous lais­ser car m’attendent les vingt cor­rec­tions. C’était un plai­sir, au revoir.»

[…]

[25 juin 2020 – 12 novembre 2021]

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