«STOOOP!!!»
Au siège du SABRE, notamment dans le C3, le protocole de combat d’une opération sous code MODIS est construit de telle sorte que les vingt dernières minutes du compte à rebours sont marquées par des signaux acoustiques et visuels continus, ce qui surprend tous ceux présents sous la coupole, nul ne se rappelant de cette mesure jamais appliquée, car jamais ce seuil atteint. Il est 14h47’48”. Les sirènes se mettent à gueuler, les projecteurs à flasher. C’est l’allumette qui fait exploser le chaos, tout le monde essaie de se sauver (aveuglement, bien sûr, puisque s’abriter lors d’une attaque nucléaire générale c’est… disons…), on hurle, on crie, on court dans tous les sens, on renverse les meubles, on arrache qui un portable, qui un sac, qui une photo.
Au milieu de ce paysage eschatologique, le regard d’un jeune programmateur effleure involontairement le tableau d’affichage des pertes, où le score a changé. Cible: ¹. Unité: 2. Dans la folie ambiante, le jeune homme ne réalise ni ce qu’il voit, ni ce que cette information pourrait signifier, et continue sur sa lancée de boulet vers l’issue de service. Ce n’est qu’une fois arrivé à la sortie que ses synapses font le contact permettant de lui arracher le cri de guerre «STOOOP!!! STOOOP!!!» et que ses bras se plantent d’un côté et de l’autre du cadre de porte pour ne pas se faire écraser par la meute derrière lui. Malheureusement, ce geste inspiré ne lui épargne pourtant pas la masse d’une dizaine de collègues lui rentrant dessus.
Le remue-ménage ne s’arrête pas pour autant, le délire se poursuit, l’homme répète machinalement ses appels, une fois, cinq fois, puis le vacarme commence à se raréfier, puis baisse d’intensité, puis des voix éparses jaillissent ci et là, «Regardez! Regardez!» «Le score! L’écran!» «Quoi?» «Regarde!» «Où ça?» pour finir dans un mélange général de consternation, d’incertitude et d’inquiétude. Le chrono montre -00j00h16’36”. En effet, sur l’écran géant clignotent les indications cible ¹, unité 2. Comme à son habitude dans de tels moments, W s’écroule dans sa chaise à moitié inconscient, mais il atterrit dans les bras du Directeur du renseignement qui s’y trouve déjà.
Le mucus: cauchemar de l’humanité
Bref regard au chrono: -00j00h16’02”. Quoi!? Avec le récent détournement de concentration et le bref relâchement qui lui a suivi, l’imminence et l’inéluctabilité du second volet du plan B lui sont totalement échappées. Bref regard vers sa déesse: toujours aussi belle. Côtoyer le midget ne lui a enlevé ni pureté ni splendeur. Surtout, elle semble dans un état convenable. Bref regard enfin vers le midget même. L’ŒIL, le héros du jour, le roi du monde, l’aspirant-vainqueur de Wegener, lève péniblement un regard boueux, transi d’horreur. Apparence glauque, tout en lui implore. Comme il est là, pas plus grand qu’une grosse poupée, barbotant dans sa bave laiteuse, il crèverait le cœur du plus endurci mercenaire, sauf que l’acteur évolue dans une toute autre ligue psychologique.
«Chérie!» Elle tressaute. Il lui fait un signe intrigué vers le fond de la boîte, loin derrière elle. Instinctivement la fille pivote pour suivre la direction du geste. Lui n’a qu’à baisser légèrement l’index. ‘Fffsssst’: un faisceau de plasma à 2000°C transforme le cauchemar de l’humanité en mucus. Le bruit du jet la fait se retourner et, à la vue du résultat, elle… enfin… comme à son habitude… Mais lui avait anticipé et la saisit avant qu’elle ne s’affaisse. «Moonna! Chérie! Bébé! Moonna!» Il la secoue délicatement, l’embrasse. Elle ouvre les yeux. «Bébé, nous devons immédiatement nous extraire d’ici, tu comprends? Maintenant!» Ses yeux l’interrogent. «Je t’expliquerai après.1 Viens. Dépêche. Il faut qu’on se sauve de suite.» La fille se redresse, la tenue un peu gauche. ∞8 prend sa main et, tout en évitant de patiner sur les mille charognes de Kling Klong, les deux se précipitent vers l’un des côtés de la boîte, repéré lorsqu’il était revenu à lui-même. Stop trois mètres avant la paroi. Un court moment de concentration et juste devant eux c’est comme si l’obstacle se mettait à valser, à se tordre. Quelques instants encore et plusieurs plaques se détachent, découvrant une toile d’araignée métallique comme celle qu’ils avaient déjà connu quelques heures avant. La voie est libre pour l’ascension de la dernière chance. -00j00h15’31”. Il faut faire très, très vite, mais alors ra-pi-dos.
Sur la montre de l’acteur, tout aussi bien que sur l’immense écran de la coupole, le score indique irrévocablement cible 0 (zéro), unité 2 (deux). Il est 14h51’59” UTC en ce 24 mars 1999. Cela se passe à Bruges, au siège du Service, seulement qu’un visiteur non averti pourrait également se croire sur les Champs-Élysée de Paris au soir du 8 mai 1944, jour de la capitulation du IIIe Reich, tout comme dans les gradins du stade international de Yokohama le 30 juin 2002, au moment de la 5e victoire du Brésil dans une Coupe du monde de football. 15h02’31”: les identités complètes et les portraits des deux rescapés apparaissent sur un autre écran. L’on comprend l’atmosphère sous la coupole et l’on a vu que c’est bien en ce genre de moments que les extrêmes – rire et pleurer – se rejoignent.
La fin de l’holocène est dans un peu moins de 4 minutes
Plus de dix minutes d’escalade pénible à travers les intestins métalliques de la station, désormais déserte à part les cadavres. Enfin l’azur du ciel! Mieux: une impulsion du nanoprocesseur signale que la communication avec le Service est rétablie. Pas le temps: le chrono dit -00j00h03’58”. «ON.» Sans un apport extérieur, il faut environ quatre minutes aux moteurs-fusées fessiers pour atteindre leur puissance maximale et permettre un décollage réussi, surtout avec du surpoids. Trop long. En hypercode, ∞8 demande le maximum au Service. O se tourne vers W. Béni soit le dernier moment où il a pu obtenir l’autorisation de l’ex futur Premier ministre, paix à son âme! C’est un oui immédiat. Instantanément, chacun appuie son bouton pour synchroniser – toujours en hypercode – l’inverseur de protons pendant 6 ms, permettant ainsi de produire l’antimatière et, partant, de diminuer d’un tiers le temps exigé par la précombustion. En dessous, le va-et-vient des flots remue le corps de Ross, encore fixé entre les câbles d’acier, hélas! parti des suites de sa blessure. -00j00h01’43”. Allumage. Position. Les yeux fermés, le cœur en fanfare à lui faire exploser sa poitrine harmonieuse, Moonna est solidement emmaillotée avec des sangles en polypropylène au dos de l’acteur volant. Les deux font on boulet unique. …5, 4, 3, 2, 1: vers l’infini et au-delàààà, comme si bien disait le populaire héros d’un film animé!
2-00j00h00’04”: un colossal jet de lumière irréelle déchire le ciel, s’abattant sur la station, au moment où l’altimètre indique 1273 m et la montre 15h07’53”. La station fut.
-00j00h00’02”: très loin dans l’espace, les deux stations furent également.
-00j00h00’00”: enfin, le compte à rebours infernal fut aussi.
Bienvenue au SABRE!
Struisbaai est un petit village de marins à la pointe de l’Afrique du Sud. Il n’y a pas de vraie plage, encore moins de vocation balnéaire, et on ne vient pas ici pour des vacances, passer le week-end ou prendre sa retraite. La vie est dure, la pêche est rare, les hommes sont gringes, les femmes davantage, les alcools sont forts et il n’y a que deux ou trois pubs. Les moyens de communication sont limités: peu de voitures, bien moins de taxis, quelques courses de bus en semaine. Quant au réseau de téléphonie mobile, il est souvent défaillant.
Pourtant ce bled offre une des plus fantastiques visions sur la mer qui soit. La mystérieuse Afrique noire toute entière est derrière, la blanche et pure Antarctique juste devant, à peine un jet de missile balistique sol-sol. Entre les deux, sur 7 km de profondeur bleue, l’Océan Austral. C’est le lieu parfait pour juste un peu de repos après un effort d’une intensité telle que celle vécue ces derniers jours. Jacques et Moonna louent une jolie petite maison toute simple, pieds dans l’eau. À longueur de journée, assis l’un à côté de l’autre, chacun dans sa chaise-longue, ils adorent compter et approximer les glaciers qui flottent à l’horizon.
Ce sont là des moments profonds de paix et d’intimité dont l’élégance dicte à ne pas lever le voile sur le contenu. Les corps et les esprits s’offrent à la douceur du soleil couchant. La vue est grandiose. La main bronzée de l’espion joue avec les doigts délicats de sa déesse. Les yeux entre-ouverts et encore perdue dans les souvenirs de ses récentes aventures, elle sent quelque chose glisser sur son annulaire. Elle se redresse, intriguée, pour regarder sa main: une chevalière gravée, toute fine! Jacques lui prend ses doigts, dépose un baiser et sourit: «Maintenant c’est un doigt en or. Bienvenue au SABRE!»
À côté, sur une petite table en rotin, posé entre la boîte de Lonsdales3 et les verres de Campari-orange et de Mojito, le téléphone n’arrête de vibrer. C’est W. Mais on avait bien dit que le réseau est approximatif.
Il est +02j11h23’06”.
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[17 octobre 2017]
- Le 2e volet du plan B prévoit de capter le rayonnement solaire par la Station spatiale Dragon Rouge, de le condenser et de l’envoyer vers la cible choisie sous la forme d’un faisceau laser de 8 Tw-h. L’ordre une fois donné, impossible de l’annuler.
- Buzz Lightyear (en français Buzz l’Éclair) dans ‘Toy Story’ (Pixar, 1995) du réalisateur américain John Lasseter.
- Nom donné à un format de cigare d’après le 5e conte de Lonsdale.