I. Le pays des mille rois, des mille reines et des mille palais
– Grand-père, raconte une belle histoire… s’il te plaaaît….
– Oh-ho-hooo… tu sais petit, des belles il y en a plus de nos jours, surtout pas comme celles que j’écoutais quand j’étais comme toi, dans mon enfance. Aujourd’hui la plupart des hist…
– Grand-père, t’as aussi été enfant ?! Comme moi ? Comme moi-moi ?
– Mais bien sûr mon brave, j’ai aussi ét…
– Et t’as eu toujours cette barbe comme ça blanche ? Et grand-mère avait aussi la barbe ?
– Mais non, chez les grands-pères la barbe vient plus tard. Je disais donc, à présent les histoires font peur aux enfants. Ce ne sont pas de belles histoires, je ne saurait pas dire pourquoi. Mais j’essaierai de m’en souvenir une de belle… attends… viens déjà ici sur mes genoux… allez, monte… voiiilà, bien.
– Dis, grand-père.
– Oui, je sais. Écoute. Voilà, il y avait une fois un pays étrange…
– Il existe plus, ce pays ?
– Non, enfin… je ne crois pas.
– Il est où ce pays ?
– Attends, laisse-moi parler. Si ce pays était étrange, c’est parce que là-bas il se passait toutes sortes de choses incroyables.
– Quoi ?
– Tiens, par exemple le soleil brillait toujours, mais alors toujours, toujours, nuit et jour, et…
– Mais comm…
– …enfin, ha-ha, on ne peut pas dire qu’il brillait la nuit, car justement, il n’y avait pas de nuit, non ? Tu comprends ?
– Eh… oui…
– Voilà, donc puisqu’il n’y avait pas de nuit, évidemment que les gens ne dormaient jamais, si tu vois ce que je veux dire…
– Ooohhh…
– Eh oui, ils avaient beaucoup de chance les gens là-bas, pas comme nous, pas comme toi, oh-la-la !
– Oui…
– Et puis, comme le soleil brillait en permanence, il ne pleuvait pas, les gens ne connaissaient donc pas les nuages, la pluie, les orages… ils n’étaient jamais trempés et n’avaient pas de parapluies.
– Oh…
– Evidemment, ils connaissaient l’eau, mais pour avoir de l’eau ils prenaient leurs seaux et allaient à la rivière, un peu comme nous si tu veux, enfin, presque.
– Mais nous on a le robinet, moi je prends l’eau au robinet.
– Oui, je sais, mais pas eux. Tu sais, finalement ce n’est pas important, puisque l’eau du robinet vient aussi de la rivière.
– Ah…
– Oui, et comme eux, leurs animaux aussi buvaient à la source, les vaches, les chevaux, les lapins, les cochons, enfin, tous les…
– Les cochons ?…
– Exact. Alors ces…
– Mais les cochons ne boivent pas, ils mangent des… des choses… sales…
– Non-non mon petit, les cochons, comme tous les animaux, comme nous, comme les plantes aussi, tous boivent de l’eau, car – tu vois ? – sans elle les animaux et les plantes ne peuvent pas vivre, nous non plus. Tu sais ça.
– Ah… Mes poissons aussi ?
– Hé-hé, tu es drôle, eux n’ont pas besoin de boire de l’eau puisqu’ils baignent là-dedans, un peu comme Obélix qui est…
– …dans la marmite quand il était tout petit, je sais ! Ouiii !
– Voilà. À présent, comme je disais, c’était un pays étrange, mais pas seulement à cause du soleil…
– Quoi ?
– …à cause aussi que… tu sais que nous avons un roi, avec sa couronne, et lui il est marié, il a une épouse qui est la reine, sa reine, avec aussi sa couronne, plus petite celle-là…
– Au palais. C’est quoi une épouse grand-père ?
– C’est sa femme, qu’il a épousé, ils sont mariés, et ils ont une foule de serviteurs, enfin, des gens qui sont là pour les aider quand ils ont besoin, ou quand ils on envie, ou quand ils sortent du palais, non ? Ou pour toute autre chose. Tu sais ça.
– Oui.
– Voilà. Ben… ce pays-là n’avait ni roi ni reine. Devine pourquoi ?
– Pourquoi ?
– Hé-hé, parce que la plupart des gens étaient rois, et leurs femmes étaient reines, et tous et toutes portaient des couronnes, t’imagines ça ?!
– …oo-uui…
– Incroyable, et…
– …ils habitaient des palais ?…
– Exact ! Il fallait le voir ce pays, que des palais, un à côté de l’autre, un plus beau que l’autre, plus brillant, avec des écuries, pavillons, bassins, jets d’eau et fontaines, des oiseaux étonnants, de beaux arb…
– Alors ils pouvaient boire !
– Mais oui, c’était facile pour eux, pourtant il y avait un souci.
– Quoi ?
– Cette eau-là n’était pas toujours bonne à boire, personne ne savait pourquoi elle était parfois trouble, ou avait un goût bizarre, donc un roi ou une reine tombait souvent malade.
– Ah…
– Voilà, maintenant, sauf ce…
– Mais grand-père, ils avaient un docteur, non ?
– Oui-oui, certainement, mais… comment dire ? ça restait encore un souci. Maintenant, sauf ce problème-là, ils avaient un autre souci, et – crois-moi – pas plus simple.
– Quoi ?
– Eh bien, notre roi et notre reine n’ont pas longtemps à chercher leurs serviteurs, il y en a plein, tout le monde voudrait travailler pour eux.
– Ah oui ?… Toi aussi grand-père ?
– Bien sûr, mais moi je n’ai plus l’âge. Tu sais, travailler au palais est un honneur, mais dans ce pays-là trouver un domestique n’était pas facile. Très rares – les serviteurs. Alors tous ces rois et leurs reines devaient se les chercher dans les pays voisins. Comme tu vois donc, un vrai souci.
– Et comment ils faisaient ?
– Ben… justement, c’est là que ça devient intéressant. Comme ils n’avaient pas tant le choix, ces rois et ces reines s’étaient habitués à se débrouiller seuls. Comme nous à la maison, comme papa et maman.
– Ah oui ?
– Oui. Et je crois que cela marchait assez bien. Parfois, s’ils n’arrivaient pas à faire quelque chose tous seuls, ils se prêtaient l’un l’autre qui une femme de chambre, qui un cocher ou un cuisinier, un chauffeur, qui un jardinier, mais pour le reste tout se passait avec simplicité et dans la bonne humeur.
– Ah, je suis content.
– Et pourquoi ?!
– Parce que le roi doit être gai.
– Oui… enfin… bien sûr, c’est préférable. Donc voilà, à la fin tout allait pour le mieux là-bas, jusqu’au jour où…
– Quoi-quoi ?!
[…]
[7 février 2020 – 31 janvier 2022]