L’ŒIL et le SABRE (7/15)

Catégorie: Fiction



Pro­to­coles MODIS2 et 4

Au SABRE, c’est le branle-bas de com­bat. Déjà qu’exfiltrer K et ses col­lègues en trois coups de cuillère à pot depuis le fin fond de l’Asie cen­trale en court-cir­cui­tant les Anglais, n’est certes pas cen­sé figu­rer dans les annales du Ser­vice, mais n’est non plus une siné­cure: le plus dur est devant. Une fois déga­gée, l’équipe (bap­ti­sée «méca­nique» pour la cir­cons­tance) doit être cachée et pro­té­gée le temps qu’il faut pour la «répa­rer», puis la «remettre en état de fonc­tion­ne­ment». Les ravages des mois pas­sés dans la steppe mon­gole sont sérieux, et faire reve­nir la méca­nique à son plein régime après un tel séjour exige patience et tact. Sauf que le temps est la den­rée rare du moment, ce qui explique la cris­pa­tion des thé­ra­peutes, psy­cho­logues, logo­pé­distes, mné­mo­tech­ni­ciens et autres secou­ristes spé­cia­li­sés affec­tés à la tâche.

Le pou­voir d’infiltration et d’interception de l’ŒIL est depuis long­temps une cer­ti­tude. La consigne qui entoure l’opération s’oriente donc vers la stricte limi­ta­tion aus­si bien des trans­mis­sions externes et internes, même en code ∑, que de tout dépla­ce­ment, et en géné­ral de toute acti­vi­té pou­vant rendre un être visible ou iden­ti­fiable. Pour ce faire, est enclen­ché le fonc­tion­ne­ment en MODIS41 à tous les éche­lons liés à l’affaire. Ces élé­ments réunis font pour­tant que pour la méca­nique et pour la cel­lule res­pon­sable de ce pro­gramme, héber­ger, pro­té­ger, remettre et entraî­ner ne peuvent sur­tout pas avoir lieu sur terre ou dans l’air, bref à tout endroit visible de l’espace. Déci­sion est donc prise d’utiliser la par­tie dis­po­nible des struc­tures sous-marines de la Mer Cel­tique, pla­cée au large du Finis­tère à 80 m de pro­fon­deur. La logis­tique qu’exige l’installation se fait au pas de charge à la faveur d’une éclipse totale de lune qui a lieu sur un ciel for­te­ment nua­geux. Un pro­gramme achar­né débute une fois les quar­tiers investis.

Aux anti­podes, la situa­tion n’est pas exac­te­ment meilleure. Après le départ de l’acteur, le brillant théo­ri­cien, mis au par­fum par ses deux sen­ti­nelles, se paye le luxe d’une solide dépres­sion dans sa cara­vane de Maria. Un trans­fert aux struc­tures immer­gées où se trouve la méca­nique de K est pour l’instant exclu pour des rai­sons désor­mais connues. Non seule­ment que le temps ne joue pas en faveur de tout ce petit monde, mais si l’activité autour des gens du CERN avance tant bien que mal comme pré­vu, avec des pro­grès réels, à l’évidence un tra­vail simi­laire – fut-il moins assi­du et par­tiel­le­ment dif­fé­rent – doit avoir lieu en paral­lèle avec lui. Par­tant, une antenne est dépê­chée dans les fau­bourgs d’Adélaïde. Un équi­pe­ment d’émission en spectre élec­tro­ma­gné­tique est mis en place aus­si­tôt. Là aus­si, tenant compte du contexte, la direc­tive vient de pas­ser en situa­tion ‹MODIS2› à l’intérieur d’un cylindre de brouillage à son tour revê­tu par un halo de leurres. Un pont infor­ma­tion­nel s’établit entre les deux sites, avec à peu près des objec­tifs iden­tiques à ceux fixés pour la méca­nique: rémis­sion et entraî­ne­ment, la pro­tec­tion étant déjà assu­rée, aus­si que – par la force des choses – l’hébergement, encore qu’il reste précaire.

Le pro­gramme se déroule plus ou moins du même pas avec une évo­lu­tion pal­pable, en dépit des mil­liers de kilo­mètres qui séparent la Mer Cel­tique du désert aus­tral. L’opération béné­fi­cie du degré de prio­ri­té zéro par­mi les autres acti­vi­tés du Ser­vice. Mieux: les cel­lules impli­quées sont appuyées par des uni­tés spé­ci­fiques appar­te­nant à la Bri­gade des opé­ra­tions spé­ciales du Minis­tère de l’intérieur. Seule petite fausse note: la rete­nue du Secré­taire à la défense qui, mani­fes­te­ment, ne tient pas à trop s’impliquer, lui-même comme les struc­tures qu’il dirige. Les argu­ments avan­cés – une expo­si­tion poli­tique trop mar­quée et un dia­logue dif­fi­cile avec l’opposition – sont cer­tai­ne­ment non négli­geables, mais ne semblent pas suf­fire et, sur­tout, convaincre. De sur­croît, l’obligation qui s’imposerait d’élargir le sys­tème de fonc­tion­ne­ment MODIS à l’ensemble des acti­vi­tés et du per­son­nel subor­don­né lui pose pro­blème. Pour ne rien arran­ger, il s’absente très sou­vent, tan­tôt en visite offi­cielle, tan­tôt sans rai­son décla­rée, tan­tôt en dépla­ce­ment pri­vé. Comme c’est le cas actuel­le­ment, à Londres. Tiens…

Herr Schwertz, je présume…

La semaine du défi­lé d’automne com­mence à Somer­set House.2 Si elle devait dîner en tête-à-tête avec la Reine, Moon­na ne serait pas plus exci­tée et pour cou­ron­ner sa fré­né­sie, une bonne par­tie du Ritz est occu­pée par le gotha inter­na­tio­nal des deux sexes et de tous âges: comé­diens anglais, spor­tifs afri­cains, poli­ti­ciens russes, rock-stars amé­ri­cains, hommes d’affaires chi­nois, qu’elle croise au petit-déjeu­ner, sur les cor­ri­dors et dans l’ascenseur. Pour­tant, ce n’est encore rien com­pa­ré à l’excitation qui enva­hit les salons néo­clas­siques où ont lieu les défi­lés, preuve qu’en véri­té la mode est la nou­velle reli­gion, car la jeune femme n’est de loin pas la seule ‘novice’ dans ce monde cos­mo­po­lite de connais­seurs. Autour de ces man­da­rins et man­da­rines bour­donne toute une nuée de star­lettes, escortes, aspi­rants et appren­tis sor­ciers en quête d’occasions Ins­ta­gram ou car­ré­ment les pro­vo­quant. N’empêche, ce soir-là, à sa des­cente du taxi, lorsque d’un geste cal­cu­lé elle prend le bras de son fier espion, sapé lui comme un prince dans son smo­king nacre, nœud lilas assor­ti à ses chaus­sures blanches laquées, Moon­na, longue et simple robe mou­lée en soie jade, géné­reu­se­ment fen­due sur la poi­trine et dans le dos,  rayonne comme une orchi­dée soli­taire dans une mare. Sa splen­deur rayonne, sa pure­té illu­mine l’obscurité et son léger sou­rire dis­trait ferait tom­ber n’importe quel bas­tion phallocrate.

En quelques secondes, elle est sur toutes les lèvres. Les com­men­taires se res­semblent: «Qui est cette fée sublime au bras du pre­mier séduc­teur de la pla­nète?», «Le céli­ba­taire le plus convoi­té de l’univers a-t-il enfin trou­vé prin­cesse à son goût?», «Le sur­pre­nant couple qui embrase la semaine lon­do­nienne de la mode». Dans le lob­by, puis dans la salle, le spec­tacle offert par le public ne cède en rien à celui des col­lec­tions. Gardes de corps sans cou, crâne rasé et tirés au pochoir, avo­cats d’affaires empri­son­nés dans leurs uni­formes gris 50%, femmes fatales fati­guées en négli­gés recher­chés, ath­lètes défé­rents et fiers de leurs chi­gnons, vieilles matrones far­dées à la truelle – la majeure par­tie de ce monde bigar­ré essaie autant que faire se peut d’être en concor­dance avec le niveau du car­na­val sur scène. C’est presque pathétique.

C’est presque pathé­tique puisqu’en réa­li­té et fina­le­ment rien ne sau­rait éga­ler le déluge oni­rique qui, à chaque fois, se suc­cède reli­gieu­se­ment, en marche for­cée, sur l’interminable allée cen­trale. Des modèles, hommes comme femmes, res­sem­blant à des clones arri­vés direc­te­ment du ‹Meilleur des mondes›: même taille, même men­su­ra­tions, même démarche, même âge, même regard hori­zon­tal, même facies vide. Si des man­ne­quins en cel­lu­loïd blanc – méca­ni­sés – défi­laient à leur place, on se ren­drait compte à peine. En revanche, l’objet de l’intérêt – l’accoutrement qu’ils pré­sentent – défie l’imagination.

Cela débute avec les parades de plu­sieurs espoirs de l’industrie, jeunes sty­listes andro­gynes poli­ment applau­dis. L’heure a presque son­né pour cha­cun d’entre eux. Afin de se démar­quer et en même temps confir­mer la confiance qui leur a été accor­dée par les divers inves­tis­seurs asia­tiques, ils font défi­ler qui des gib­bons, qui des vaches, qui encore des canards. En atten­dant la consé­cra­tion, cha­cun de ces épi­gones choi­sit de s’appuyer sur le style abracadabrant.

À la pause, toute cette faune se serre dans le foyer, entre coupes de Dom Péri­gnon et mignar­dises dra­pées d’un léger mate­las truf­fé, avec quelques pointes de caviar blanc. L’acteur est aux aguets, tan­dis que Moon­na prend déjà visi­ble­ment du plai­sir rien qu’à saluer gra­cieu­se­ment chaque habi­tué qui s’empresse comme pas hasard autour, dans un tohu-bohu de «Oh, toi ici, vieux frère?!», «Com­ment vas tu?», «Mais ça fait un bail!» «Per­met­tez-moi de vous pré…» Elle est res­plen­dis­sante, ren­ver­sante. On jure­rait qu’à lon­gueur de jour­nées elle ne fait que rem­plir de bon­heur tous les admi­ra­teurs qui retournent com­blés après lui avoir pré­sen­té inva­ria­ble­ment la même gamme d’éloges. 

Les éloges, ∞8 n’en a pas plus cure que les sou­rires de com­plai­sance, sur­tout qu’au loin il vient d’apercevoir… mais oui!… le Secré­taire à la défense Schabble en per­sonne, mani­fes­te­ment hap­pé par un vif débat au milieu d’un groupe com­pact d’inconnus. Il attrape la main de sa prin­cesse, se fraye un che­min à tra­vers la foule et s’arrête bien en vue de l’homme d’État, à quelques pas de ce groupe. Les échanges sont ani­més, presque trop, et ce n’est qu’après quelques bons moments qu’il se fait remar­quer. Les regards se croisent; l’un a le visage de cire, l’autre change de cou­leur, s’excuse subi­te­ment auprès de ses inter­lo­cu­teurs, tourne les talons et, pro­fi­tant du remue-ménage crée par sa majes­té le Kai­ser qui serre à la chaîne des dizaines de mains juste à côté, se fond dans l’océan bigar­ré. Tout essai de ne pas le perdre de vue s’avère vain puisque les haut-par­leurs annoncent pour la seconde fois la reprise du défi­lé, et c’est la ruée.

L’industrie du style est une reli­gion glo­bale qui, par ailleurs comme toute autre reli­gion, se com­pose du noyau clé­ri­cal, auquel s’ajoute la masse des fidèles. Ce monde est ani­mé par un dogme: la mode. Contrai­re­ment à la voca­tion pas­to­rale uni­ver­selle du Sou­ve­rain Pon­tife, la mode n’a pas de pape. Comme dans l’Église de Rome, elle à tou­te­fois nombre de car­di­naux, et le Kai­ser en est un, à moins qu’il ne soit pri­mus inter pares3. Alors, à l’instant où sa messe est sur le point de débu­ter, comme un seul homme l’assistance arrête son souffle.

Et ça éclate sur des airs de Par­si­fal, dans un bal­let croi­sé de fais­ceaux bleu-blanc-rouge, avec des scènes de Métro­po­lis en toile de fond. Le spec­tacle est sidé­rant. Passent en marche mili­taire inin­ter­rom­pue des nymphes en plumes de paon coif­fées de casques perses, des naïades ano­rexiques pieds nus en com­bi­nai­sons tri­co­lores de latex, des éphèbes en chaus­settes et patch­works de peaux de yak, des grâces en mono sou­tiens-gorge, jupes en papier gau­fré, che­ve­lure élec­tro­cu­tée, des bonzes vêtus d’une feuille de vigne ser­tie de cris­taux Swa­rovs­ki, blouses en cottes de mailles et bottes en skaï noir, des apol­lons por­tant des masques véni­tiens, bla­zers en feuilles de pal­mier, revers en alu­mi­nium, cha­peaux melon cro­che­tés. Les dévots ova­tionnent cres­cen­do à chaque pas­sage. Depuis le coup d’envoi, Moon­na est aspi­rée au sep­tième ciel, pen­dant qu’à force de scru­ter le public, ∞8 réus­sit enfin der­rière lui à loca­li­ser le Secré­taire à la défense, légè­re­ment affais­sé sur sa chaise, l’air per­du. Décou­vrant en revanche que le plus inté­res­sant est encore der­rière celui-ci, il souffle à l’oreille de la fille «Attends-moi ici, sur­tout ne bouges pas.» Elle est tran­sie. «Moon­na, t’entends? T’as com­pris?» Elle fait un signe muet. Il s’arrache.

La parade touche à sa fin. Des feux d’artifices pro­je­tés sur un immense écran qui fait le tour de l’enceinte rem­placent le chef-d’œuvre de Fritz Lang. Côté musique, Ramm­stein rem­place Wag­ner. S’installe une semi-obs­cu­ri­té dosée. Les der­niers ado­nis en body-pain­ting,4 tongs semelles bois, col­lants noirs et capes en chin­chil­la syn­thé­tique quittent le podium cen­tral et rejoignent le reste des man­ne­quins réunis sur scène pour le salut final. L’exaltation atteint des som­mets. On n’attend plus que le car­di­nal de la mode en per­sonne. Le spec­ta­teur Schabble est tou­jours immo­bile, on dirait pros­tré. Der­rière lui, un type bien bâti, la soixan­taine alerte lar­ge­ment enta­mée, veste de chas­seur à manches longues, chi­gnon gri­son­nant, mous­tache épaisse de gau­cho. Il suit atten­ti­ve­ment et le spec­tacle et l’assistance et l’homme devant, et alors qu’il se tourne pour obser­ver la scène, un visage sou­riant l’interpelle: «Herr Schwertz, je pré­sume…» D’un geste vif, il glisse la main droite dans une des poches du ves­ton, mais l’acteur sait le per­sua­der d’y renon­cer. «Venez.» Il s’exécute. Les deux quittent la salle pen­dant que le Kai­ser, pur, tunique et laval­lière blanches, s’avance tirant modes­te­ment sa pre­mière petite révé­rence dans une apo­théose mystique.

Le foyer serait désert s’il n’y avait pas le per­son­nel qui net­toie, ramasse, range. Ça tombe bien. «Qui êtes vous?» «Un ami, et vous êtes Aloïs Schwertz, alias Anto­nio Sán­chez.» L’homme ne réagit pas. Il n’est clai­re­ment pas à l’aise, conscient aus­si que ce n’est guère l’endroit ni le moment pour jouer au plus malin. «Vous pen­sez bien que je connais mes amis. Vous n’en êtes pas un.» «Vrai, mais je le serai bien­tôt.» «En plus, l’on ne tient pas un ami sous la menace.» «Vrai éga­le­ment, sauf que pour l’instant vous m’y for­cez. Chan­ger cela ne dépend que de vous. Dans l’immédiat, il faut abso­lu­ment qu’on change d’endroit, qu’on quitte ce lieu. Nous ver­rons ça plus tard.» Dans la salle, c’est l’orgie des applau­dis­se­ments, des ova­tions et des sif­fle­ments. Le brou­ha­ha est total. Il appelle un employé, lui expli­quant com­ment loca­li­ser la jeune femme en robe jade. La messe est finie, les pre­miers zélotes se sauvent. Quelques minutes plus tard, Moon­na, toute exci­tée, essouf­flée, les joues rouges, un peu déso­rien­tée, les retrouve assis dans un coin.«T’as fait qu…» «Rien, c’est bon, je t’expliquerai après, main­te­nant dépêche, on y va.»

Trou­ver au Ritz, à toute heure de la jour­née ou de la nuit un endroit tran­quille pour s’entretenir, c’est l’embarras du choix, cepen­dant ils choi­sissent le Café de Pierre, vis-à-vis. L’endroit est agréable et il faut attendre quelques minutes la pre­mière table de libre. A.S. est visi­ble­ment ner­veux, il tourne, se retourne, va, vient, garde la dis­tance, ne tient pas en place. Moon­na chu­chote: «Tu peux me dire qui c’est?» Il mime des lèvres: «Sán­chez. Schwertz.» Amu­sé, il voit ses yeux se muer en balles de ping-pong. «Mais com­ment l’as tu cho­pé?! Com­ment tu sais que c’est lui?!» Lui guigne vers A.S., qui est de dos, ouvre légè­re­ment son smo­king, ven­ti­lant du bout des doigts un épais paquet de pho­tos. Elle mime aus­si: «Quoi! C’est quoi?! Com­ment t’as fait?!» Dis­trait, il lui mime la soupe, la mai­son, l’explosion (le bruit ambiant aide, A.S. se retourne, regarde ailleurs), une épée, le cer­veau. Elle est fas­ci­née. Une table se libère près de la fenêtre. A.S., regard noir, est devant eux. Ils s’installent. «Un Cam­pa­ri orange pour moi, sans glace, mer­ci. Tu prends…?» «Un Moji­to5, s’il vous plaît, avec glace», elle sou­rit. «Et mon­sieur?» demande le gar­çon. La tablette de la dame en face livre le pugi­lat de Roger Moore6 avec le colosse aux dents d’acier, sur la télé­ca­bine.7 Elle y est trans­por­tée. «Rien.» «Bien mon­sieur.» «Non, atten­dez, appor­tez-moi une eau plate, Évian, ça ira.» «Très bien mon­sieur.» On éco­no­mise les poli­tesses. «Je serai direct.» «J’attends que ça.» «Je crois que vous jouez un rôle cru­cial dans des évé­ne­ments majeurs immi­nents.» «Ah.» «Pour l’humanité.» «Tiens.» «Vous n’êtes au cou­rant de rien, je pré­sume.» «Je vous sens pers­pi­cace, à pro­pos, quand même, à qui ai-je l’honneur?» «Un ami, je vous l’ai déjà dit. Mon nom importe peu. Celui qui compte main­te­nant c’est vous.»

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Une table se libère près de la fenêtre. A.S., regard noir, est devant eux. Ils s’installent. «Un Cam­pa­ri orange pour moi, sans glace, mer­ci. Tu prends…?» «Un Moji­to8, s’il vous plaît, avec glace», elle sou­rit. «Et mon­sieur?» demande le gar­çon. La tablette de la dame en face livre le pugi­lat de Roger Moore9 avec le colosse aux dents d’acier, sur la télé­ca­bine.10 Elle y est trans­por­tée. «Rien.» «Bien mon­sieur.» «Non, atten­dez, appor­tez-moi une eau plate, Évian, ça ira.» «Très bien mon­sieur.» On éco­no­mise les poli­tesses. «Je serai direct.» «J’attends que ça.» «Je crois que vous jouez un rôle cru­cial dans des évé­ne­ments majeurs immi­nents.» «Ah.» «Pour l’humanité.» «Tiens.» «Vous n’êtes au cou­rant de rien, je pré­sume.» «Je vous sens pers­pi­cace, à pro­pos, quand même, à qui ai-je l’honneur?» «Un ami, je vous l’ai déjà dit. Mon nom importe peu. Celui qui compte main­te­nant c’est vous.»

  1. Abré­via­tion de MOde DIS­cret: pro­to­cole spé­cial, occa­sion­nel, par­tiel ou total, de fonc­tion­ne­ment des struc­tures du Ser­vice, répar­ti sur une échelle de 1 à 5 et uti­li­sé dans les situa­tions où l’organisation tombe sous le coup d’une sur­veillance par­ti­cu­lière. Les noms de code des dif­fé­rents niveaux sont: camé­léon (1, mini­mum), escar­got (2, strict mini­mum), héris­son (3, strict mini­mum auto­ri­sé), huître (4, strict mini­mum abso­lu­ment indis­pen­sable) et chi­mère (5, néant).
  2. Grand bâti­ment néo­clas­sique de la fin du XVIIIe siècle situé au centre de Londres.
  3. Expres­sion latine signi­fiant lit­té­ra­le­ment ‹pre­mier par­mi ses pairs (ou ses égaux)›.
  4. Pein­ture cor­po­relle (ang.): art éphé­mère qui uti­lise le corps nu comme support.
  5. Cock­tail tra­di­tion­nel cubain à base de rhum, citron vert, soda et feuilles de menthe.
  6. Acteur bri­tan­nique (1927 – 2017).
  7. Dans le film ‹Moon­ra­ker› (1979) du met­teur en scène bri­tan­nique Lewis Gilbert.
  8. Cock­tail tra­di­tion­nel cubain à base de rhum, citron vert, soda et feuilles de menthe.
  9. Acteur bri­tan­nique (1927 – 2017).
  10. Dans le film ‹Moon­ra­ker› (1979) du met­teur en scène bri­tan­nique Lewis Gilbert.
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