A guerra dos Alpes (4/4)

Catégorie: Essais
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« Eu tive um son­ho… » (« J’ai fait un rêve… »)

(Abdias do Nas­ci­men­to, lea­der noir brésilien)

[…]

Le pro­gramme onu­sien Tam­pons encreurs contre ali­ments est aus­si­tôt blo­qué. Le conflit à peine enga­gé, l’on craint déjà le désastre huma­ni­taire. Le cicr (Comi­té inter­na­tio­nal de la Croix-Rouge) dresse des mil­liers de tentes en Slo­va­quie, Suisse et Tché­quie. Ain­si débute la seconde guerre des Alpes, dite Liber­dade para a Áus­tria (Liber­té pour l’Autriche). À la dif­fé­rence de la pre­mière, elle se livre aus­si sur la Toile, à coups de blo­cages et de pira­tages de sites inter­net. Cinq cents jour­na­listes triés sur le volet suivent les troupes alliées, pour dis­til­ler les nou­velles. Et tout le monde s’assoit devant les postes de télévision.”

*

À l’heure à laquelle je clos cette fable, les hos­ti­li­tés sont entrées dans leur 8e jour­née. Sachant que mon but n’est pas de tenir un jour­nal fic­tif de guerre, et pour ne pas las­ser davan­tage le lec­teur, je m’arrête ici.

Aus­si ardu serait le retour à la réa­li­té, pen­sons main­te­nant que le Bré­sil de cette fable n’est pas le Bré­sil, mais les États-Unis, que le Por­tu­gal n’est pas le Por­tu­gal, mais le Royaume-Uni, et ain­si de suite. D’accord, déjà que l’exercice de pla­cer le Bré­sil dans la peau d’une super­puis­sance arro­gante et guer­rière n’est pas évident à pra­ti­quer ! Mais c’est jus­te­ment là que se trouvent les par­ti­cu­la­ri­tés qui mettent en évi­dence le fos­sé qui sépare les deux cas. Un fos­sé ? Non, un vrai abysse ! En effet, tel que le monde se pré­sente de nos jours, per­sonne ne peut dou­ter que ce scé­na­rio de la Guerre des Alpes I et II est une pure uto­pie, à tel point qu’il pour­rait être faci­le­ment trai­té de loufoque.

Si grand que fût le pas­sé impé­rial de l’Autriche contem­po­raine, com­ment l’imaginer trans­for­mée en une dic­ta­ture san­gui­naire ? Et même lors d’une pareille éven­tua­li­té, ses par­te­naires conti­nen­taux n’auraient-ils pas vite rai­son d’une telle méta­mor­phose ? Un début de réponse se trouve dans les sanc­tions de l’Union euro­péenne après les élec­tions de l’an 2000.1 Aus­si riche fût le pas­sé colo­nial du Por­tu­gal d’aujourd’hui, com­ment croire à l’idée qu’il puisse vas­sa­li­ser à tel point sa poli­tique étran­gère au pro­fit de son plus jeune, plus fort et plus grand frère ? Rien qu’en ver­tu d’une com­mu­nau­té de langue et de cer­taines affi­ni­tés cultu­relles ? Même dans cette hypo­thèse, n’assisterait-on pas à une prompte cor­rec­tion d’une telle ten­ta­tive, venant de ces mêmes par­te­naires de l’ue ? Si pro­met­teur que soit l’avenir du Kaza­khs­tan en termes de richesses, de déve­lop­pe­ment éco­no­mique et de rôle stra­té­gique, com­ment conce­voir cette ancienne répu­blique sovié­tique en tant que moyenne puis­sance régio­nale, ou encore mon­diale ? La Rus­sie et ses frères au sein de la cei ne se dépê­che­raient-ils pas de la rap­pe­ler à l’ordre ? Suprême inep­tie : si vivace que soit le grand Bré­sil, avec ses res­sources infi­nies et son poten­tiel éle­vé, com­ment le prendre pour le gen­darme mon­dial  même en lui prê­tant, pour la cir­cons­tance, un goût pla­né­taire du pou­voir ? Toute pos­sible vel­léi­té de ce genre ne serait-elle pas répri­mée au moindre geste par l’Organisation des États Amé­ri­cains, États-Unis en tête ?

Cer­tai­ne­ment, puisque le bon vieux dic­ton Quod licet Iovis, non licet bovis (Ce qui est per­mis à Jupi­ter, ne l’est pas au bœuf) ne s’applique pas qu’aux indi­vi­dus, mais aus­si aux nations (qui sont des mul­ti­pli­ca­tions d’individus) et aux États (qui sont des réci­pients pour les nations). Alors que les lois de la nature font que se prend pour le Jupi­ter de notre pro­verbe celui qui en a les moyens, force nous est de consta­ter que dans le monde uni­po­laire qui nous entoure, ce sont les États-Unis qui font, seuls, le jeu poli­tique mondial.

Dans ce jeu, ils endossent à la fois le rôle du mécène (pour le finan­ce­ment des ins­ti­tu­tions inter­na­tio­nales), du pré­sident du club (pour les déci­sions stra­té­giques), du coach (pour l’approvisionnement en tech­no­lo­gie, d’armement et de savoir-faire), du joueur (pour les inter­ven­tions concrètes comme en ex-You­go­sla­vie, en Afgha­nis­tan, dans le Golfe, en Soma­lie), de l’idole (côté aspi­ra­tions et image) et enfin de l’arbitre (pour ce qui est du droit international).

Cette omni­po­tence est réelle. Elle dérange à coup sûr et à plus d’un titre l’orgueil des anciennes puis­sances. Elle gêne, certes, les ambi­tions d’autres puis­sances en deve­nir. Il n’en reste pas moins que ce résul­tat s’est bâti en bonne par­tie sur toute une série d’échecs des pre­mières, et que pen­dant ce temps les secondes s’empressaient de frap­per à la porte de l’ère moderne.

Aucun gou­ver­ne­ment ne se per­met aujourd’hui ce que l’administration amé­ri­caine s’autorise librement :

• De décré­ter, sans preuve, que tel régime est nocif au point de devoir être éli­mi­né par une action exté­rieure. Et de se trou­ver un audi­toire acquis.

• D’envahir “au cas où“ des États indé­pen­dants situés à des mil­liers de milles de ses fron­tières, sans être mena­cé. Et de cla­mer son droit (uni­la­té­ral) de le faire.

• De dres­ser une liste noire – tou­jours crois­sante – de pays qui ne rem­plissent pas toutes sortes de cri­tères. Et d’agir en conséquence.

• De deman­der à un tiers des pays du monde d’expulser les légats d’un autre pays qui n’a pas trou­vé grâce à ses yeux. Et d’obtenir satis­fac­tion, ou du moins en partie.

• De ne pas enté­ri­ner des conven­tions inter­na­tio­nales vitales pour l’avenir de l’homme, au nom d’intérêts de car­tel. Et là-des­sus, de pou­voir accu­ser ceux qui les ratifient.

• De pré­tendre expor­ter sa démo­cra­tie mal­gré l’absence de tout exemple réus­si en la matière. Et d’y croire, en fai­sant aus­si croire d’autres.

• De dépen­ser en arme­ment plus que les vingt-deux États sui­vants réunis, tout en affir­mant à tout va que son seul but est l’autodéfense. Et de pen­ser vendre cette optique.

• D’utiliser pour ses propres objec­tifs expé­di­tion­naires le sol, les eaux et le ciel d’un pays, sans son accord, afin de frap­per un autre pays. Et de ne pas s’en soucier.

• De sur­veiller en per­ma­nence – du ciel – les États du globe, tel un véri­table voyeur. Et sans jus­ti­fi­ca­tion particulière.

• D’espionner l’intimité des gens à tra­vers le monde, leurs conver­sa­tions, leur cor­res­pon­dance, leurs dépla­ce­ments. Et sans le sen­ti­ment de vio­ler leurs droits élémentaires.

• De défier ouver­te­ment la seule orga­ni­sa­tion mon­diale des États, en créant ain­si les pré­mices de son auto­dis­so­lu­tion. Et en esti­mant que ce n’est que jus­tice.2

• D’invoquer la rai­son d’État chaque fois que, à l’évidence, la rai­son – tout sim­ple­ment – ne suf­fi­sait pas, ou plus.  Et de croire cela juste et légitime.

Un jour, je pique-niquais avec des amis. On par­lait de tout et de rien, de poli­tique, des choses du jour. Sou­dain, quelqu’un a eu ces mots qui ne sau­raient mieux résu­mer le fond des choses : ‘ Ce que je ne com­prends pas, c’est pour­quoi les Yan­kees n’ont pas le cou­rage de dire ouver­te­ment ‘Voi­là, on fait la guerre car on en a tout sim­ple­ment envie“, et ils cafouillent avec tous ces pré­textes, tous plus ineptes les uns que les autres.’

*

Au faîte de la gloire, Alexandre le Grand essaya aus­si d’exporter en Méso­po­ta­mie les valeurs hel­lé­nis­tiques. Son ambi­tion prit fin à l’âge de 33 ans, à Baby­lone, à 90 km au sud de Bagdad.

C’était en 323 av. J.-C.

*

Note.

Idéa­le­ment, le but de cet exer­cice serait atteint plus vite sans recours à la légende. Mais, pour le lec­teur fai­néant (j’en suis un), voi­ci à tout de même le générique.

Les allé­go­ries sont en ita­liques.

États et États autoproclamés 
Alba­nie Israël 
Ango­la Canada 
Autriche Irak 
Bel­gique Azerbaïdjan 
Bré­sil USA 
Chine Russie 
Congo Bangladesh 
Daghes­tan Bosnie 
Dane­mark Géorgie 
Esto­nie Afghanistan 
Fin­lande Maroc 
Groen­land Libye 
Hon­grie Syrie 
Ingou­chie Croatie 
Ita­lie Iran 
Japon Inde 
Kabar­di­no-Bal­ka­rie  Kosovo 
Kaza­khs­tan France 
Kenya Myanmar 
Let­to­nie Pakistan 
Liech­ten­stein Koweït 
Litua­nie Palestine 
Macao Honduras 
Mon­go­lie Allemagne 
Mozam­bique Australie 
Népal Corée-du-Nord 
Nige­ria Espagne 
Nor­vège Qatar 
Ossé­tie-du-Nord Slovénie 
Pays-Bas Somalie 
Pologne Soudan 
Por­tu­gal Grande-Bretagne 
São Tomé-et-Prin­cipe Nouvelle-Zélande 
Slo­va­quie Kurdistan 
Suède Mali 
Suisse Ara­bie Saoudite 
Tché­quie Turquie 
Tchét­ché­nie Yougoslavie 
Tri­ni­té-et -Tobago Cuba 
Tuni­sie Estonie 
Ukraine Égypte 


Regions et divers 
Cau­case Balkans 
Europe de l’Est Proche-Orient 
CPLP OCDE 
Mer Adria­tique Golfe Persique 
OPNA OTAN 
Pacte andin Union européenne 
Ser­ra do Mar Monts Alleghanys 


Villes 
Asta­na Paris 
Bei­ra Melbourne 
Belo Hori­zonte Los Angeles (ca)
Bra­si­lia Washing­ton (dc)
Curi­ti­ba Bos­ton (ms)
Gdánsk Port-Soudan 
Groz­ny Belgrade 
Kara­cha­ga­nak Toulouse 
Kla­gen­furt Bassora 
Lagos Madrid 
Lis­bonne Londres 
Mapu­to Canberra 
Moga­dis­cio La Haye 
Oulan-Bator Berlin 
Pär­nu Kandahar 
Pôr­to Alegre Chi­ca­go (il)
Recife Mia­mi (fl)
Rio de Janeiro Phi­la­del­phie (pa)
Riyad Genève 
San­ta­rém Lockerbie 
São Pau­lo New York (ny)
Vitò­ria Newark (nj)


Acteurs 
Fran­cis­co de Albuquerque Tom­my Francks 
Cas­par Baader Cha­lid Mohammed 
Cha­mil Bassaev Zoran Đinđić ✝ 
Nad­ji Ben­sous­san (fic­tif) Gro Har­lem Brundtland 
Chris­toph Blocher Ous­sa­ma Ben Laden 
Oumar Botas­sé (fic­tif) Hans Blix 
Fer­nan­do H. Cardoso George W. Bush 
Fer­nan­do Col­lor de Mello George H. W. Bush 
José M. Durão Barroso Tony Blair 
João B. Figueiredo Nor­man Schwarzkopf 
Tho­mas Klestil Sad­dam Hussein 
Mart Laar Moha­med Omar 
Pau­lo Lacer­da Ier Robert S. Muel­ler III 
Cel­so Lafer Colin Powell 
Vel­lo Leito Ahmed Massoud ✝ 
Mar­co A. Marciel Richard B. Cheney 
Aslan Mas­kha­dov Slo­bo­dan Milošević 
Ueli Mau­rer Abdel­ka­rim Al-Nasser 
Abdias do Nascimento Mar­tin Luther King 
Nour­sul­tan Nazarbaïev Jacques Chirac 
Olu­se­gun Obasanjo José Maria Aznar 
Alfons Piller Moha­med Atta ✝ 
Ricar­do C. Redi (fic­tif) Richard C. Reid 
Adrian Risi Abdu­la­ziz Alomari ✝ 
Rubens da Sil­va (fic­tif) Rid­ley Scott 
Jiang Zemin Vla­di­mir Poutine 

[7 juin 2004]

  1. Cette année-là, le Par­ti popu­laire d’Autriche (öVP) de Wolf­gang Schüs­sel et le Par­ti libé­ral d’Autriche (öfp) de Jörg Hai­der ont for­mé une coa­li­tion gou­ver­ne­men­tale qui a fait réagir cer­taines chancelleries.
  2. En ver­tu de l’adage (‘Tant pis si tout le monde autour de moi n’est pas capable d’être de mon avis’.)
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