« Eu tive um sonho… » (« J’ai fait un rêve… »)
(Abdias do Nascimento, leader noir brésilien)
[…]
Le programme onusien Tampons encreurs contre aliments est aussitôt bloqué. Le conflit à peine engagé, l’on craint déjà le désastre humanitaire. Le cicr (Comité international de la Croix-Rouge) dresse des milliers de tentes en Slovaquie, Suisse et Tchéquie. Ainsi débute la seconde guerre des Alpes, dite Liberdade para a Áustria (Liberté pour l’Autriche). À la différence de la première, elle se livre aussi sur la Toile, à coups de blocages et de piratages de sites internet. Cinq cents journalistes triés sur le volet suivent les troupes alliées, pour distiller les nouvelles. Et tout le monde s’assoit devant les postes de télévision.”
*
À l’heure à laquelle je clos cette fable, les hostilités sont entrées dans leur 8e journée. Sachant que mon but n’est pas de tenir un journal fictif de guerre, et pour ne pas lasser davantage le lecteur, je m’arrête ici.
Aussi ardu serait le retour à la réalité, pensons maintenant que le Brésil de cette fable n’est pas le Brésil, mais les États-Unis, que le Portugal n’est pas le Portugal, mais le Royaume-Uni, et ainsi de suite. D’accord, déjà que l’exercice de placer le Brésil dans la peau d’une superpuissance arrogante et guerrière n’est pas évident à pratiquer ! Mais c’est justement là que se trouvent les particularités qui mettent en évidence le fossé qui sépare les deux cas. Un fossé ? Non, un vrai abysse ! En effet, tel que le monde se présente de nos jours, personne ne peut douter que ce scénario de la Guerre des Alpes I et II est une pure utopie, à tel point qu’il pourrait être facilement traité de loufoque.
Si grand que fût le passé impérial de l’Autriche contemporaine, comment l’imaginer transformée en une dictature sanguinaire ? Et même lors d’une pareille éventualité, ses partenaires continentaux n’auraient-ils pas vite raison d’une telle métamorphose ? Un début de réponse se trouve dans les sanctions de l’Union européenne après les élections de l’an 2000.1 Aussi riche fût le passé colonial du Portugal d’aujourd’hui, comment croire à l’idée qu’il puisse vassaliser à tel point sa politique étrangère au profit de son plus jeune, plus fort et plus grand frère ? Rien qu’en vertu d’une communauté de langue et de certaines affinités culturelles ? Même dans cette hypothèse, n’assisterait-on pas à une prompte correction d’une telle tentative, venant de ces mêmes partenaires de l’ue ? Si prometteur que soit l’avenir du Kazakhstan en termes de richesses, de développement économique et de rôle stratégique, comment concevoir cette ancienne république soviétique en tant que moyenne puissance régionale, ou encore mondiale ? La Russie et ses frères au sein de la cei ne se dépêcheraient-ils pas de la rappeler à l’ordre ? Suprême ineptie : si vivace que soit le grand Brésil, avec ses ressources infinies et son potentiel élevé, comment le prendre pour le gendarme mondial même en lui prêtant, pour la circonstance, un goût planétaire du pouvoir ? Toute possible velléité de ce genre ne serait-elle pas réprimée au moindre geste par l’Organisation des États Américains, États-Unis en tête ?
Certainement, puisque le bon vieux dicton Quod licet Iovis, non licet bovis (Ce qui est permis à Jupiter, ne l’est pas au bœuf) ne s’applique pas qu’aux individus, mais aussi aux nations (qui sont des multiplications d’individus) et aux États (qui sont des récipients pour les nations). Alors que les lois de la nature font que se prend pour le Jupiter de notre proverbe celui qui en a les moyens, force nous est de constater que dans le monde unipolaire qui nous entoure, ce sont les États-Unis qui font, seuls, le jeu politique mondial.
Dans ce jeu, ils endossent à la fois le rôle du mécène (pour le financement des institutions internationales), du président du club (pour les décisions stratégiques), du coach (pour l’approvisionnement en technologie, d’armement et de savoir-faire), du joueur (pour les interventions concrètes comme en ex-Yougoslavie, en Afghanistan, dans le Golfe, en Somalie), de l’idole (côté aspirations et image) et enfin de l’arbitre (pour ce qui est du droit international).
Cette omnipotence est réelle. Elle dérange à coup sûr et à plus d’un titre l’orgueil des anciennes puissances. Elle gêne, certes, les ambitions d’autres puissances en devenir. Il n’en reste pas moins que ce résultat s’est bâti en bonne partie sur toute une série d’échecs des premières, et que pendant ce temps les secondes s’empressaient de frapper à la porte de l’ère moderne.
Aucun gouvernement ne se permet aujourd’hui ce que l’administration américaine s’autorise librement :
• De décréter, sans preuve, que tel régime est nocif au point de devoir être éliminé par une action extérieure. Et de se trouver un auditoire acquis.
• D’envahir “au cas où“ des États indépendants situés à des milliers de milles de ses frontières, sans être menacé. Et de clamer son droit (unilatéral) de le faire.
• De dresser une liste noire – toujours croissante – de pays qui ne remplissent pas toutes sortes de critères. Et d’agir en conséquence.
• De demander à un tiers des pays du monde d’expulser les légats d’un autre pays qui n’a pas trouvé grâce à ses yeux. Et d’obtenir satisfaction, ou du moins en partie.
• De ne pas entériner des conventions internationales vitales pour l’avenir de l’homme, au nom d’intérêts de cartel. Et là-dessus, de pouvoir accuser ceux qui les ratifient.
• De prétendre exporter sa démocratie malgré l’absence de tout exemple réussi en la matière. Et d’y croire, en faisant aussi croire d’autres.
• De dépenser en armement plus que les vingt-deux États suivants réunis, tout en affirmant à tout va que son seul but est l’autodéfense. Et de penser vendre cette optique.
• D’utiliser pour ses propres objectifs expéditionnaires le sol, les eaux et le ciel d’un pays, sans son accord, afin de frapper un autre pays. Et de ne pas s’en soucier.
• De surveiller en permanence – du ciel – les États du globe, tel un véritable voyeur. Et sans justification particulière.
• D’espionner l’intimité des gens à travers le monde, leurs conversations, leur correspondance, leurs déplacements. Et sans le sentiment de violer leurs droits élémentaires.
• De défier ouvertement la seule organisation mondiale des États, en créant ainsi les prémices de son autodissolution. Et en estimant que ce n’est que justice.2
• D’invoquer la raison d’État chaque fois que, à l’évidence, la raison – tout simplement – ne suffisait pas, ou plus. Et de croire cela juste et légitime.
Un jour, je pique-niquais avec des amis. On parlait de tout et de rien, de politique, des choses du jour. Soudain, quelqu’un a eu ces mots qui ne sauraient mieux résumer le fond des choses : ‘ Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi les Yankees n’ont pas le courage de dire ouvertement ‘Voilà, on fait la guerre car on en a tout simplement envie“, et ils cafouillent avec tous ces prétextes, tous plus ineptes les uns que les autres.’
*
Au faîte de la gloire, Alexandre le Grand essaya aussi d’exporter en Mésopotamie les valeurs hellénistiques. Son ambition prit fin à l’âge de 33 ans, à Babylone, à 90 km au sud de Bagdad.
C’était en 323 av. J.-C.
*
Note.
Idéalement, le but de cet exercice serait atteint plus vite sans recours à la légende. Mais, pour le lecteur fainéant (j’en suis un), voici à tout de même le générique.
Les allégories sont en italiques.
États et États autoproclamés | |
Albanie | Israël |
Angola | Canada |
Autriche | Irak |
Belgique | Azerbaïdjan |
Brésil | USA |
Chine | Russie |
Congo | Bangladesh |
Daghestan | Bosnie |
Danemark | Géorgie |
Estonie | Afghanistan |
Finlande | Maroc |
Groenland | Libye |
Hongrie | Syrie |
Ingouchie | Croatie |
Italie | Iran |
Japon | Inde |
Kabardino-Balkarie | Kosovo |
Kazakhstan | France |
Kenya | Myanmar |
Lettonie | Pakistan |
Liechtenstein | Koweït |
Lituanie | Palestine |
Macao | Honduras |
Mongolie | Allemagne |
Mozambique | Australie |
Népal | Corée-du-Nord |
Nigeria | Espagne |
Norvège | Qatar |
Ossétie-du-Nord | Slovénie |
Pays-Bas | Somalie |
Pologne | Soudan |
Portugal | Grande-Bretagne |
São Tomé-et-Principe | Nouvelle-Zélande |
Slovaquie | Kurdistan |
Suède | Mali |
Suisse | Arabie Saoudite |
Tchéquie | Turquie |
Tchétchénie | Yougoslavie |
Trinité-et -Tobago | Cuba |
Tunisie | Estonie |
Ukraine | Égypte |
|
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Regions et divers | |
Caucase | Balkans |
Europe de l’Est | Proche-Orient |
CPLP | OCDE |
Mer Adriatique | Golfe Persique |
OPNA | OTAN |
Pacte andin | Union européenne |
Serra do Mar | Monts Alleghanys |
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Villes | |
Astana | Paris |
Beira | Melbourne |
Belo Horizonte | Los Angeles (ca) |
Brasilia | Washington (dc) |
Curitiba | Boston (ms) |
Gdánsk | Port-Soudan |
Grozny | Belgrade |
Karachaganak | Toulouse |
Klagenfurt | Bassora |
Lagos | Madrid |
Lisbonne | Londres |
Maputo | Canberra |
Mogadiscio | La Haye |
Oulan-Bator | Berlin |
Pärnu | Kandahar |
Pôrto Alegre | Chicago (il) |
Recife | Miami (fl) |
Rio de Janeiro | Philadelphie (pa) |
Riyad | Genève |
Santarém | Lockerbie |
São Paulo | New York (ny) |
Vitòria | Newark (nj) |
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|
Acteurs | |
Francisco de Albuquerque | Tommy Francks |
Caspar Baader | Chalid Mohammed |
Chamil Bassaev | Zoran Đinđić ✝ |
Nadji Bensoussan (fictif) | Gro Harlem Brundtland |
Christoph Blocher | Oussama Ben Laden |
Oumar Botassé (fictif) | Hans Blix |
Fernando H. Cardoso | George W. Bush |
Fernando Collor de Mello | George H. W. Bush |
José M. Durão Barroso | Tony Blair |
João B. Figueiredo | Norman Schwarzkopf |
Thomas Klestil | Saddam Hussein |
Mart Laar | Mohamed Omar |
Paulo Lacerda Ier | Robert S. Mueller III |
Celso Lafer | Colin Powell |
Vello Leito | Ahmed Massoud ✝ |
Marco A. Marciel | Richard B. Cheney |
Aslan Maskhadov | Slobodan Milošević |
Ueli Maurer | Abdelkarim Al-Nasser |
Abdias do Nascimento | Martin Luther King |
Noursultan Nazarbaïev | Jacques Chirac |
Olusegun Obasanjo | José Maria Aznar |
Alfons Piller | Mohamed Atta ✝ |
Ricardo C. Redi (fictif) | Richard C. Reid |
Adrian Risi | Abdulaziz Alomari ✝ |
Rubens da Silva (fictif) | Ridley Scott |
Jiang Zemin | Vladimir Poutine |
[7 juin 2004]
- Cette année-là, le Parti populaire d’Autriche (öVP) de Wolfgang Schüssel et le Parti libéral d’Autriche (öfp) de Jörg Haider ont formé une coalition gouvernementale qui a fait réagir certaines chancelleries.
- En vertu de l’adage (‘Tant pis si tout le monde autour de moi n’est pas capable d’être de mon avis’.)