L’ŒIL et le SABRE (5/15)

Catégorie: Fiction
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Moon­na Lißah

Sur le point de s’assoupir dans le bus par­ti à midi d’Oulan-Bator, son regard tombe sur la pha­blette1 de son voi­sin, un jeune bran­ché du pays. Ce qu’il voit donne un coup de fouet à ses plans. Le gar­çon suit en direct sur CNN une trans­mis­sion de l’ŒIL. Certes, on n’entend qu’une voix défor­mée, pour autant la tirade reste com­pré­hen­sible. L’essentiel tient en une échéance: le psy­cho­pathe révèle que sa double action, qui ‘amé­lio­re­ra radi­ca­le­ment et défi­ni­ti­ve­ment le sort de l’humanité’, aura lieu pré­ci­sé­ment dans dix jours à 15h07’57” UTC2. Et pour les images? Sans four­nir de coor­don­nées ou autres pré­ci­sions, elles montrent – dans une rafale de flashes – le quar­tier géné­ral de l’organisation, du per­son­nel cagou­lé s’affairant qui en com­bi­nai­sons blanches, qui – les vigiles – en uni­formes ocre, et nombre de silos nucléaires sur terre et sous l’eau. Le tout se ter­mine en apo­théose avec un écla­tant «BRA­VO POUR LES BRAVES!» blanc sur fond noir.

∞8 sait qu’en ce moment les amis du SABRE sont déjà au tra­vail. Arri­vé à des­ti­na­tion, il se concentre sur son objec­tif immé­diat: sans faute et vite trou­ver mon­sieur K. Aux dires du CERN, si le savant du désert aus­tra­lien est l’autorité abso­lue en matière théo­rique, K est le maillon pra­tique indis­pen­sable. Sachant qu’à Bul­gan les hôtels d’un cer­tain stan­dard ne sont pas légion, comme par hasard revoi­là le vieil ami du MI6!… (“À la guerre comme à la guerre”) et il salue son col­lègue. «Whis­ky? Vod­ka?» sou­rit le MI6. (Au-delà d’antipathies dura­ble­ment gra­vées dans les us et cou­tumes des ser­vices, par­fois le stress vécu à des mil­liers de kilo­mètres du foyer peut opé­rer d’étonnantes alchi­mies. Dans l’ensemble, les deux com­pères ne sont pas plus avan­cés l’un que l’autre. Alors pour­quoi s’éviter? Pour­quoi se tirer dans les pattes? Tant que le but est le même, mieux vaut s’entre-aider, ensuite lais­ser faire les choses.) «Mer­ci, j’essaierai un air­bag.» «!!!» «Mais non, je vou­lais dire un airag.3» «Oh, j’admire ton cou­rage. À pro­pos, tu connais les nou­velles?» Ce n’est pas vrai­ment une ques­tion. «Bien sûr, le flash du com­mun…» «Oui, le com­mu­ni­qué… de quel flash tu parles?!» «Eh bien, dans l’autocar j’ai sui­vi sur CNN un dis­cours d’une dizaine de minutes sur un fon­du-enchaî­né d’images assez sug­ges­tives.» «Oui, sauf que depuis midi ça tourne en boucle!» «Ah… sur CNN…» «Oui, et sur BBC, Euro­news, Fox, Jazee­ra, ABC et – devine – CBS!» L’information laisse ∞8 légè­re­ment confus… Les amis auraient dû déjà l’en infor­mer… Il finit sa bois­son, s’excuse, rejoint sa chambre, se lance dans un long tour en ville… (“… mais nom d’un… c’est pas… c’est pas la nana du CERN?! “) En effet, repliée sur le télé­phone d’une cabine, à deux pas de lui, il n’hallucine pas: c’est bien la jeune scien­ti­fique par trop insis­tante remar­quée à Genève.

«…là je ne peux vrai­ment pas te par­ler, il faut que…» «Je crois qu’on se connaît, non?» lui glisse-t-il dans le dos. Pour la belle, pas le temps de dire ‘Oups’: gant sur la bouche, dis­cret et ferme tour de bras, l’affaire est vite bou­clée. «Main­te­nant t’es sage et nous allons quelque part pour cau­ser tran­quille­ment.» Pour­tant, alors qu’il s’empresse de la faire tra­ver­ser la rue, quelques mètres plus loin et trois mou­ve­ments de capoei­ra4 plus tard, une Mosk­vitch5 freine in extre­mis. Le bel homme est par terre. La belle femme est déjà loin.

Douze écrans de télé­vi­sion bien ran­gés dans la vitrine du maga­sin d’appareils élec­tro­niques et ména­gers d’en face roulent les images de midi. Le chauf­feur bara­gouine tout exci­té, l’acteur est un peu son­né, des curieux approchent. Il regarde autour, se décolle du bitume et décampe. Trop tard. Où cou­rir?! Ciel, une MZ6! Halt! Halt! Il arrache le type et démarre sur une roue. Pour l’éclairage urbain, ce n’est certes pas Las Vegas, mais il a déjà pu prendre la signa­ture ADN de la jeune femme, l’envoyer à O et rece­voir la géo­ba­lise de la belle cible. La fille est à peine au bout de quelques rues, à nou­veau en train de télé­pho­ner. Cette fois l’homme s’ajoute à sa moto, et les deux sont plus forts que la cabine ajou­tée à la fille. En plus, comme à pré­sent c’est krav-maga7 contre capoei­ra, ça va très, très vite.

Lames poin­tées contre les reins et même qu’un peu amo­chée, la beau­té conduit sage­ment la MZ à l’hôtel, avec le ∞8 en son dos. Dans la pièce, lui prend ses aises, elle – tou­jours aux aguets – moins. «Café? Rhum? Airag?» Silence hos­tile. Après plu­sieurs essais aimables d’engager la dis­cus­sion, cou­pées par des chi­chis qu’il connaît si bien, il va au direct. «Écoute pou­pée, je ne sais pas si t’es au cou­rant, mais tuer n’est pas jouer, et moi je dois savoir à quoi tu joues. Donc c’est simple: tu peux m’expliquer pour­quoi t’es là, pour­quoi tu me suis, après t’as peut-être une petite chance pour que l’on soit amis, ou tu peux choi­sir de res­ter dans ton petit ciné­ma débile, et à la fin du show même toi tu ne sau­ras plus où tu en es, que dire alors de ton copain au télé­phone?» L’argumentaire semble faire son effet, car elle quitte peu à peu l’air mar­tial tout en dérou­lant son his­toire tel un tapis mongol.

«Ma spé­cia­li­té est la phy­sique des par­ti­cules. J’étudie la dégé­né­res­cence des bosons.» «C’est ça, oui… à tes heures j’imagine et pour le reste du temps ça doit être la flûte et le hin­di.» Elle ne fait pas atten­tion. «Je me suis for­mé à Upp­sa­la et Zürich, j’ai bos­sé chez Stra­to­rius puis chez Läni­kon-Schü­rhle et l’hiver pas­sé j’ai rejoint le CERN. En fait, j’ai plus ou moins sui­vi mon père dans ses man­dats. Mes parents ont divor­cé quand j’avais 16 ans.» «Il fait quoi ton père?» «Il fai­sait… Il a diri­gé des équipes inter­dis­ci­pli­naires de recherche dans la dyna­mique des plaques… mais là… à pré­sent…» «Attends, mais là , quoi? à pré­sent quoi?» Elle s’arrête, clai­re­ment elle peine à conti­nuer. «Pour­quoi tu me suis, hein?» Elle esquive. «Je ne me sens pas bien.» «Oui, moi non plus. Tu disais donc?» N’empêche qu’en réa­li­té elle a encais­sé quelques jolis coups, sauf qu’en ce moment ∞8 n’est pas d’humeur médi­cale. Les secondes passent. «Le temps m’est comp­té, ché­rie. J’écoute.» À l’évidence il n’y a pas d’issue. Tête bais­sée, sa voix est au seuil audible. «Une nuit, au mois de mai, mon père a dis­pa­ru. Depuis, je ne sais rien de lui, s’il est mort ou vivant, dans quel état, où est-il, qu’est-ce qu’il fait». Elle pleure dou­ce­ment. «Et pour­quoi tu me suis jusqu’ici?» Il lui donne un mou­choir. Les secondes passent. «À Genève j’avais com­pris que vous par­tez à la recherche de mon­sieur K.» «Peut-être, et puis?» Le télé­phone sonne. C’est le MI6. «Oui.» «Alors, on se bouge?» «Si. Je te rap­pelle.» «OK. Tu fais vite.» Il rac­croche. «Et puis?» «Eh bien, moi aus­si je veux le trou­ver, votre mon­sieur K c’est… c’est pro­ba­ble­ment… c’est… c’est sûre­ment aus­si mon père! Je le sais. Je le sens.»

Voi­là pour une situa­tion. Doit-il croire cette fille? Et même si cela était vrai, pour­quoi s’en encom­brer? Clai­re­ment pas pour quelques mou­ve­ments acro­ba­tiques afro-bré­si­liens, fussent-ils utiles à l’occasion. D’accord, elle à des atouts phy­siques hors du com­mun, cela n’en fait pas pour autant un must. Dou­teux. Dif­fi­cile. Déli­cat… Entre temps elle s’est cal­mée un peu. Tant mieux. «Qu’est-ce qui te dit que c’est bien ton père? T’as fait tout ce voyage sur un coup de tête!» «Vrai, en fait oui et non. Non, parce que je l’ai enten­du plu­sieurs fois par­ler du désert de Gobi, du Roi du Monde, alors qu’il n’a pra­ti­que­ment aucun inté­rêt scien­ti­fique ici. C’est pour ça. Et comme je n’ai pas une meilleure idée où le cher­cher, je n’ai rien à perdre. Voi­là pour­quoi. Et je n’ai pas peur.» «For­mi­dable, en voi­là un cri­tère. Tu sais, je tra­vaille tou­jours seul. Eh bien là, vrai­ment, tu me poses un pro­blème.» «J’apporte peut-être aus­si une solu­tion. Que savez vous de lui? Pou­vez vous au moins le recon­naître?» «Ne t’en fais pas, j’ai des pho­tos.» «Bien sûr, mais êtes vous cer­tain qu’il n’a pas chan­gé? Et puis, c’est quelqu’un de très dif­fi­cile.» Hon­nê­te­ment, à ces éven­tua­li­tés ∞8 sait trop bien qu’il n’est pas vrai­ment pré­pa­ré. O a eu beau lui confec­tion­ner dif­fé­rents por­traits-robot de K sur la base des images se trou­vant dans les archives, pour­tant com­ment envi­sa­ger tous les chan­ge­ments qu’un homme peut subir dans un tel envi­ron­ne­ment? Alors que c’est vrai, la voix du sang ne trompe jamais. Si seule­ment c’était son père… «OK, pré­pare-toi, on y va. Attends, avant, encore une chose: à qui par­lais-tu au télé­phone?» Le visage de la fille s’éclaire. «Un pas­seur d’ici, j’ai eu son numé­ro par un ami, artiste à Genève. Ce n’est rien de sûr, tou­te­fois c’est la seule piste que j’ai… Bon, à pré­sent que mon­sieur sait ce qui l’intéresse, je me dis que peut être mon­sieur m’accordera la grâce de me faire aus­si com­prendre à qui j’ai vrai­ment l’honneur.» «Chaque chose en son temps, mon petit lapi­nou.» «Ah, je vois… puisque c’est comme ça, moi c’est Lißah, Moon­na Lißah.»

Le père de Cro-Magnon

Au tom­ber de nuit, le MI6 attend de pied ferme dans le par­king de l’hôtel. Pas­sées les pre­mières poli­tesses, un contact de l’Anglais les guide vers K. Vers l’avatar de K serait plus cor­rect. Après une heure de marche sous les étoiles, ce qu’ils découvrent fait plus pen­ser aux hommes de Cro-Magnon.8 Déjà l’endroit: un abri tro­glo­dyte d’à peine 20 m2 creu­sé dans le sol érup­tif. Une dou­zaine s’y terrent. Per­sonne ne peut vrai­ment tenir debout. Ensuite, les hommes eux-mêmes semblent encore plus tro­glo­dytes que leur logis. Et les femmes ce n’est pas mieux. Sans le guide local, la cause serait per­due d’avance. Et K, serait-il vrai­ment par­mi ces gens? Moon­na est dépas­sée. Au risque de glis­ser à chaque pas sur un lit d’ordures, elle trouve une bûche pour s’asseoir, tête entre les mains. Tout est écœu­rant. L’endroit empeste la cha­rogne. Hor­mis le guide qui s’efforce d’y voir un peu plus clair, per­sonne ne parle, sur­tout pas les pri­mates: mar­mon­ner leur suf­fit. À moi­tié voû­tés, l’acteur, smo­king blanc, nœud papillon noir, rose rouge au revers, et le MI6, car­di­gan en jer­sey sombre, pan­ta­lon sel et poivre, béret du Sur­rey, attendent incré­dules. Mais les minutes passent en vain. Il fait froid, il fait bon noir, on s’éclaire au Zip­po9. Moon­na pleure dou­ce­ment, encore. Elle se lève et sort de la grotte. Les trois hommes la suivent pour bien­tôt la dépas­ser, et alors qu’ils s’éloignent tous en silence, un bruit de pas indé­cis les arrête. Un zom­bie s’approche à tâtons de la fille, tourne autour, la renifle lon­gue­ment, tâte ses épaules, son dos. La jeune femme est pétri­fiée, ∞8 est prêt à sau­ter. Inutile, car le dan­ger recule, se retourne et s’estompe. Ils reprennent leur marche. À peine quelques pas encore et le zom­bie revient, réso­lu. Il s’arrête. Les quatre aus­si, et ils entendent tous, clai­re­ment, comme un gémis­se­ment: «Moo… n… na?». Eh bien, y a des moments où rire et pleurs ne font qu’un, et celui-là en est jus­te­ment un. Père et fille aus­si ne font donc qu’un: exclu de les sépa­rer. Pour­tant le temps presse. Les deux espions ont de quoi être inquiets. Le MI6 tente une approche, ce à quoi le reve­nant bon­dit, mugit, se cabre. «Papa, non! ce sont des amis». Le guide et la fille doivent faire un solide effort de per­sua­sion pour le modé­rer quelque peu.

On retrouve le che­min et on aug­mente la cadence. Les deux ne se quittent pas de mains. Per­sonne ne parle. Que dire? De toute façon, une arma­da de cri­quets l’interdit. Enfin la ville. Pas ques­tion de ren­trer à l’hôtel. Le guide prend son che­min et sa paye. Un petit parc. Une aire de jeu, par chance mal éclai­rée. Par­fait: le bac à sable est la salle de confé­rence idéale, bien qu’envers et contre toutes insis­tances de la fille, le père reste muet, inerte. Les minutes passent. Sou­dain, il aper­çoit le sceau sur la che­va­lière de l’acteur et il tres­saille. Il se lève, s’éloigne len­te­ment, mani­fes­te­ment inter­pel­lé par la décou­verte, revient, repart, revient… Il reprend sa place aux côtés de sa fille qui, elle, reprend son argu­men­taire. Peu à peu la confiance se pro­file, s’installe, la mémoire refait sur­face, le lan­gage arti­cu­lé revient dans un tor­rent de pro­pos sou­vent embrouillés par l’émotion.

Il a eu de la chance, trop de chance, il a pu échap­per aux vigiles de l’ŒIL, lui et cer­tains de ses col­lègues, pas tous hélas! quand même par­mi des plus solides, ils ont eu vent de la des­cente, cer­tains, c’était en pleine nuit, c’est pour ça qu’il n’a pas pu réveiller Moon­na, qu’il n’a pas eu le temps de prendre ses affaires, juste un peu d’argent, puis ils ont tous dis­pa­ru, sépa­rés, seuls ou par groupes de deux, après avoir déci­dé en vitesse de s’enquérir l’un l’autre par des mes­sa­gers fiables ou par des pigeons voya­geurs, pas d’appels, pas de cartes de cré­dit, rien, et comme ça, après avoir erré de bled en bled pen­dant des semaines, auto-stop, pas­seurs, etc, ils ont pu se retrou­ver ici, per­sonne, enfin! presque per­sonne ne sait qu’ils sont tous ici, ha! com­ment pour­rait-ils savoir alors qu’ils vivent comme des rats d’égout? mais sans lui et ses hommes, ce monstre-là a per­du six mois, MI-NI-MUM six mois dans ses recherches de fou, voi­là, s’ils les avaient cap­tu­ré là, main­te­nant les quatre seraient assis sur une ban­quise en train de navi­guer vers le Congo, au moins là, dans leurs tanière, ils peuvent dor­mir tran­quille, man­ger tran­quille, enfin, quand ce ne sont pas les sco­lo­pendres, les mygales du désert et les scor­pions qui les mangent, eh, ils se sont habi­tués à les attra­per, ça en fait de bons repas, pleins de pro­téines… C’en est de trop pour la jeune femme, qui éclate dans une hur­lée de fauve que les deux hommes peinent à maîtriser.

Et le père conti­nue, pas pré­vu de s’arrêter. Il se répand en détails tech­niques, expé­riences, échecs, per­for­mances, équi­pe­ments, risques, records. Sa fille s’emballe aus­si et bien­tôt les agents se retrouvent au milieu d’un vrai sym­po­sium. À l’évidence, ils tiennent leurs hommes. C’est le grand suc­cès de la nuit, ou plu­tôt du matin, car le jour se pro­file. Un plan est vite dres­sé: K retour­ne­ra à l’abri, le MI6 fera venir un moyen de trans­port dis­cret pour les éva­cuer, tan­dis que ∞8 mon­te­ra la logis­tique accé­lé­rée des futures étapes. Bien, mais Moon­na leur apprend la mau­vaise nou­velle: son père et le théo­ri­cien aus­tral, c’est l’histoire d’une longue riva­li­té, c’est l’amour-haine, ou plu­tôt l’inverse. Mais il y a aus­si une bonne: un troi­sième homme (véreux, pense-t-elle) pour­rait les réunir. En fait, ce serait le seul qui aurait une chance de réus­sir ce miracle. Car autant le pou­voir créa­teur conju­gué des deux savants est abso­lu­ment sans pareil, autant cha­cun seul est lar­ge­ment moins effi­cace. (“Déci­dé­ment rien n’est simple.”)

Ils se séparent, cha­cun pour un peu de repos. À l’hôtel, Moon­na devient madame Mar­tin, le temps du bref séjour. Ses infor­ma­tions sont trans­mises de suite au Ser­vice. L’homme devrait s’appeler Aloïs Schwertz, du moins c’est ce qu’elle a comme sou­ve­nir. Alle­mand ou Autri­chien. 65 ou 70 ans envi­ron, assez grand. C’est tout. Rideau. Dodo. Le mari de cir­cons­tance aime­rait aus­si dor­mir un peu, si le MI6 ne lui souf­fle­rait pas dans la nuque. Un peu de son rhum pré­fé­ré serait le bien­ve­nu. Et du bien il lui fait: le Ser­vice lui apprend que le voi­sin est don­né pour conva­les­cent, après deux mois d’une obs­cure mala­die. Tiens! Bul­gan ne semble pas un sana­to­rium adé­quat pour un Bri­tan­nique. Mais l’effet du rhum se pro­longe, et il rejoint vite la fille dans la dou­ceur de ses occu­pa­tions oniriques.

Alors qu’un rayon de soleil l’emporte sur le rideau de la chambre, le télé­phone vibre, un mes­sage arrive. Il sur­saute et lit: (1. A.S. = Anto­nio Sán­chez, 1931 – Pas­sau, 1952 – Nue­va Ger­manía, Para­guay, 23°54’42”S, 56°41’57”W. Import-export. Divor­cé. W.) (“Tiens, tiens… ça devient vrai­ment…”) La fille dort le som­meil de la juste. Lui, il essaie de l’imiter. “Ahh, ces rideaux mon­gols…” Rien à faire, un autre mes­sage: (2. Pho­to ci-joint. Pos­sible trans­plant facial. D3.8.10 Billets AsiAir AZ3127, 16h45 UTC. Mes­sage 3 à 16h00 UTC. …Al11)

Ciel: presque 12h15! Il arrache du lit une madame Mar­tin nase, règle l’hôtel, détourne cette fois une vieille Vol­ga,12 tombe en panne de car­bu­rant au milieu de nulle part, s’empare d’un camion. Enfin, pour abré­ger, vers 15h30 il arrive à l’aéroport. En route, il s’occupe. Avec le concours de Al et de O, il court-cir­cuite le MI6: le soir même, l’équipe de K est éva­cuée au grand dam du per­fide Albion. Des­ti­na­tion: ter­ra inco­gni­ta.13 Aus­si, il dépêche auprès du vieil Aus­tra­lien deux tireurs d’élite asso­ciés au Ser­vice, pour un mini­mum de sécu­ri­té. Enfin, à force de har­ce­ler Leo I. Schabble, l’ambigu, l’inquiétant, l’indéboulonnable Secré­taire à la Défense et pres­sen­ti futur Pre­mier ministre, W obtient pour l’acteur la per­mis­sion expresse, excep­tion­nelle, de pou­voir uti­li­ser l’inverseur de pro­tons, sur demande en hyper­code sous les 60 s et sans faute pour une durée ne dépas­sant pas 10 ms. (Soit dit en pas­sant, l’absence d’un autre rara avis pour effi­ca­ce­ment se char­ger de l’opération, ajou­tée à l’ampleur crois­sante du dan­ger et aux pro­grès rapides de ∞8, avaient fina­le­ment contraint W d’admettre l’évidence: son homme sur place connais­sait son travail.)

L’enregistrement à l’aéroport lui offre l’occasion inat­ten­due de saluer – à dis­tance – son col­lègue qui, enra­gé car dupé, fait appel à la vieille tac­tique de la fausse alerte à la bombe. À l’aéroport inter­na­tio­nal Gen­gis Khan ça marche encore. N’empêche: en com­bi­nant de manière équi­li­brée jog­ging ultra-rapide, billets de 20 dol­lars, Nine­bots,14 cha­riots élec­triques, cou­loirs des employés, sou­rires com­plices et accu­sa­tions de dis­cri­mi­na­tion envers une per­sonnes han­di­ca­pée (en son dos, Moon­na se fait tri­so­mique durant plus de trois minutes), les deux fugi­tifs réus­sissent à gagner leur sièges pour décol­ler au nez et à la barbe du brave agent et des bre­douilles armés de l’aéroport.

[…][…]

L’enregistrement à l’aéroport lui offre l’occasion inat­ten­due de saluer – à dis­tance – son col­lègue qui, enra­gé car dupé, fait appel à la vieille tac­tique de la fausse alerte à la bombe. À l’aéroport inter­na­tio­nal Gen­gis Khan ça marche encore. N’empêche: en com­bi­nant de manière équi­li­brée jog­ging ultra-rapide, billets de 20 dol­lars, Nine­bots,15 cha­riots élec­triques, cou­loirs des employés, sou­rires com­plices et accu­sa­tions de dis­cri­mi­na­tion envers une per­sonnes han­di­ca­pée (en son dos, Moon­na se fait tri­so­mique durant plus de trois minutes), les deux fugi­tifs réus­sissent à gagner leur sièges pour décol­ler au nez et à la barbe du brave agent et des bre­douilles armés de l’aéroport.

  1. Smart­phone dont l’écran est d’une taille inter­mé­diaire entre celui des smart­phones stric­to sen­su et celui des tablettes tactiles.
  2. Uni­ver­sal Coor­di­na­ted Time (angl.): Temps Uni­ver­sel Coordonné.
  3. Bois­son tra­di­tion­nelle d’Asie cen­trale, à base de lait fer­men­té de jument.
  4. Art mar­tial ludique et acro­ba­tique d’origine afro-brésilienne.
  5. Marque sovié­tique d’automobiles de taille moyenne inférieure.
  6. Marque est-alle­mande de moto­cy­clettes de petite cylindrée.
  7. Méthode com­bi­née d’autodéfense et de com­bat rap­pro­ché d’origine israélienne.
  8. Espèce de homo sapiens ayant vécu en Europe au paléo­li­thique supé­rieur, envi­ron 45 000 ans en arrière.
  9. Marque de bri­quets amé­ri­cains à essence.
  10. Code interne indi­quant – sur une échelle de 0.0 à 5.0 – le degré de dan­ger pré­su­mé d’une per­sonne ou d’une situation.
  11. De: Argen­li­quide, Josette Argen­li­quide, la fidèle secré­taire per­son­nelle de l’acteur.
  12. Marque sovié­tique d’automobiles de taille moyenne supérieure.
  13. Terre (dans le sens de région) incon­nue (lat.).
  14. Marque chi­noise de véhi­cules élec­triques mono­places se condui­sant debout.
  15. Marque chi­noise de véhi­cules élec­triques mono­places se condui­sant debout.
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